Chapitre 11 : Jeeey ! Tu me manques (lelivredejeremie)

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Le 25 janvier 2022 17h28 dans l'appartement de Céline.

Dans le séjour de Céline, Alexis s’est affalé sur le canapé, alors que je reviens pour la troisième fois du balcon, d’où j’ai essayé de repérer l’arrivée des autres, histoire de mitiger l’angoisse qui m’étreint.

Tom n’avait peut-être pas tort avec sa remarque sur mes moments de rêverie, quoique ce soit plutôt un cauchemar, là ! La situation est franchement dramatique, et je me dis qu’aucun d’entre nous n’a encore d’idée un minimum claire de ce qui va suivre. ‘Plus dans quatre têtes que dans deux’, qu’il disait…

Tu perds un temps précieux me tancé-je. D’ailleurs, quelle heure est-il ai-je pensé, en checkant l’écran de mon portable. Dix-sept heures quarante-trois… et un appel manqué de Hugo, eh flûte.

Ma faute, je l’avais mis en mode avion au lieu de rendez-vous lorsque j’avais vu approcher mister Tai-chi-à-l’horizontale, quoique de ce que ma vision involontaire m’a montré, il serait plus adepte du corps-à-corps-longitudinal, lui…

Hmmm, je devrais peut-être suspendre mon verdict, comme pour les autres, d’ailleurs, genre... Comment l’a-t-il appelé, déjà ? Ah oui, Musclor… Connaissant Céline, il ne peut pas n’être que ce qu’il montre. Puis, bon, Tom l’a choisi comme binôme, et il semble avoir pas mal de psychologie, tout comme en formant le nôtre. Après, Alexis est parfois déstabilisant, lui aussi, terriblement secret, limite méfiant, mais en même temps, il ne se cache pas de percer les autres d’un regard acéré. Donc, à la fois fermé et curieux, il me rappelle quelqu’un… Ah ben oui, moi, un peu.

Je soupire en reportant les yeux sur l’écran de mon portable, et la notification d’appel de Hugo. J’aurais dû me douter, aussi, c’est son heure. Il a dû penser que je venais d’entrer dans le métro, tant mieux, ça me laisse un moment pour reprendre contenance avant de le rappeler, car il n’a pas laissé de message vocal joyeux et un peu fou, pour une fois. Cette nuit, je me suis repassé quatre fois celui d’hier.

[Jeeeyyy ! Tu me manques trooop, penser à toi, si loin, est douloureux ! Enfin, ce qui l’est surtout, c’est Petit Hugo, il s’est pris un coup de soleil, le con. Oli a proposé d’y passer de la biafine, j’ai refusé tout net, il n’y a que Jérémie qui peut me toucher là, j’ai dit. Il te fait la bise, j’ai juste autorisé sur ta joue, même en virtuel.]

Mais quel est le mec de trente-quatre ans qui donne encore un petit nom à son sexe, sérieux ?

Aussi, je comprends mieux son insistance auprès de son best pour le choix de ce club de Taormina en particulier, monsieur bronze à poil, c’est nouveau, ça. La marque du maillot, qu’il exhibera fièrement encore plusieurs jours après son retour, sera moins nette cette fois. Pas que le naturisme doive trop déplaire à Olivier qui m’a promis d’être un chaperon intransigeant ! Indiscutablement hétéro, lui, raison non-négligeable pour ma validation de leurs vacances à deux, aussi blond que mon mec est brun, largement aussi beau et parfait.

Je ne suis pas entièrement futile, c’est juste un constat, régulièrement ravivé par la comparaison que je fais de nos reflets dans le miroir, lorsque nous nous brossons les dents le soir, puis… ensuite, bien sûr. Il est tellement… pas moi, quoi. Au point où j’avais mis quinze jours à capter qu’il me kiffait, puis deux autres semaines à douter, avant de m’offrir à lui, l’après-midi - et la nuit - de mon vingtième anniversaire, le plus beau cadeau de ma petite vie. Et je ne parle pas que du plaisir physique presqu’inattendu, non…

— Le tee, et les chaussettes, vraiment ? m’avait-il demandé, nu, en me surprenant à la sortie de sa salle de bain.

— Je… préfère.

— Soit, soit. Je vais avoir du boulot avec toi.

— Faut pas te forcer, hein, avais-je gémi.

— Ta confiance en toi est assourdissante, Jérémie… Accroche-toi, c’est partiiiii, avait-il dit, avant de passer ses mains sous mes bras pour me soulever et vraiment trop facilement me coller à lui, et que j’enroule mes jambes sur sa taille.

J’avais perdu le compte des mouvements de son corps dans le mien, lorsqu’il les avait interrompus, pour murmurer, le menton sur mon épaule C’est un peu brimant, retourne-toi, s’il te plait, là, c’est moi qui préfère. La mort dans l’âme, je m’étais posé sur le dos, m’exposant un peu trop à mon idée, il avait délicatement pris mes chevilles entre ses doigts doux mais assurés de professionnel de la manipulation, et avait repris possession de mon intimité.

Pour à nouveau s’immobiliser après une minute.

—Tu sais, faut pas me prendre pour une bille, c’est pas parce qu’on partage la fac avec les EPS qu’on a aussi un QI de calamar, et j’ai fait une spé’ en kiné respiratoire, j’ai déjà vu… le creux, quoi. Aussi, là, avec la chaleur de ton corps et la transpiration, ton tee te colle au torse.

— C’est pas trop beau, avais-je geint.

— C’est un détail, et perso, c’est pour le tout que je t’aime, tu es beau, et quitte à être ridiculement terre-à-terre, très excitant, j’espère que je tiendrai jusqu’à ce que tu aies ton plaisir, avait-il murmuré, avant de m’embrasser et de soulever sans le moindre effort mon bassin pour modifier son angle d’attaque, pour des sensations graduellement augmentées, dont l’expression sur mon visage lui a mis un sourire entendu, mi-lubrique mi-fier.

Mes jambes tremblaient encore après qu’il ait noué et jeté le préservatif, pour se rallonger sur le matelas. Je souriais probablement comme un idiot, et j’avais été incapable de répondre à sa question autrement qu’en indiquant du doigt les traces de ma jouissance sur mon ventre, exposé en toute première faible concession à ses regards.

J’avais encore mis un mois avant d’arriver, à mon tour, à lui dire que je l’aime.

Hey ! Mais nooon… Seconde raideur spontanée en une grosse heure ai-je pensé, avec Alexis à deux mètres de moi, heureusement le dos tourné, maintenant perdu dans la contemplation de la bibliothèque de Céline, blindée de livres de géopolitique, d’économie, de relations internationales, de climat… À quoi ne s’intéresse-t-elle pas ? Sinon, bah, aucune touche masculine dans l’appart, Mike serait peut-être apaisé de savoir qu’il garde toutes ses chances avec elle… Enfin, si ce n’est pas déjà arrivé, et qu’il ne les a pas flinguées, comme le voile de tristesse – ou de dépit ? – sur son visage lorsqu’il parle d’elle pourrait le laisser imaginer. C’est parfois compliqué, les relations.

D’ailleurs, à ce sujet, puis un peu à celui du responsable de mon état… Euh, je dois vite… Ai-je balbutié à l’attention d’Alexis, en secouant mon portable, avant de me diriger vers la terrasse pour rappeler Hugo.

— Jeeey ! Tu me manques… Hey ! C’est mon petit mec à moi, a-t-il crié.

— Je pense qu’Olivier s’en doute, tu sais.

— Oli est au bar, c’est Léo et Gunther, nos potes de vacances, tu les rencontreras, on va se revoir à Paris, pour un verre ou…

— Ou rien du tout, vu qu’ils ne sont que ça, des potes de vacances, n’est-ce-pas ?

— Ben oui ! Pâââs mon genre du tout, zéro culture, et à deux, ils font le quart de tonne de muscle, même moi, ils me déglingueraient, sauf qu’ils sont exclusifs, mais je leur ai montré ton museau et ils te trouvent choupinou.

— Hugooo ! Pas ma photo, j’aime pas, puis tu dis ça devant eux ?

— Ils rigolent, là, t’inquiète, pas de malaise. Oh, diiis… J’ai goûté la noccioletta, et j’ai réalisé un truc, c’est juste toi.

— Hein ?

— Ben, tu sais, quand on… et que tu… ça me laisse un goût de noisette en bouche !

— Mais ne dis pas cela en public, voyons, sois sérieux, un peu !

— Moi, sérieux ? Ça t’emmerderait vite, avoue.

— Pas faux… Sinon, c’est bien ?

— Attends, je m’éloigne un peu… Voilà. Oui, bien, juste qu’Oli fait un peu chier à vouloir visiter des trucs, on a fait le teatro antico, puis la grotta dell’amore et là, j’ai pensé à toi… Je t’aime, a-t-il chuchoté, avant de reprendre à voix haute. Sinon, toi, la fac ?

— La fac, oui… La semaine va être chaude, en plus des cours magistraux, elle est blindée de TD, tu vois ?

— Oh ! Moche, ça. Mais je peux tout de même t’appeler ? Il y a un truc que je dois te répéter tous les jours…

— Et que je voudrai toujours entendre, donc oui, et au pire, moi, je te rappellerai.

— Deal ! À demain.

— Hugo, je t’aime, je t’aime tant, n’en doute jamais, ai-je soufflé, avant de penser ‘quoiqu’il doive arriver. Car oui, il me manque énormément, mais avec ce qui risque d’arriver, je préfère le savoir à deux mille bornes d’ici, insouciant.

J’ai encore fixé un moment l’écran de mon portable, les coins de la bouche légèrement relevés, en glissant le doigt où son prénom venait de disparaitre… L’effet Hugo ai-je pensé, entré dans ma vie comme une tornade et qui depuis y met une agitation et un bruit continuels, qui en a soufflé la solitude et la tristesse trop fréquente pour les remplacer par des sourires, sinon de grands éclats de rire.

J’ai rejoint Alexis dans le salon de Céline. Il a soulevé un sourcil interrogateur sur un œil pétillant de curiosité.

— Mon… référent à la fac, pour mes absences possibles des prochains jours.

— Il est cute ?

— Chauve, en surpoids, à cinq ans de la retraite, mais à chacun son kiff, j’imagine.

Il t’a tout de même mis un sourire benêt.

Cramé, encore une fois ! Soit, c’était mon copain, mais il me semblait que ton truc, c’était la projection d’images mentales, pas la perception.

—Langage corporel, mec, comme tout à l’heure sur la colline.

— Mon prénom, steuplé… Alexxx, ai-je claqué.

— OK, désolé… Jérémie… Sinon, renard, je peux ?

— Si tu veux, ai-je soupiré, avant de capter son sourire taquin, et de l’imiter. Bon, ils font quoi, les autres ?

— Ils allaient visiter la grotte derrière la cascade, elle est peut-être inondée et ils pataugent, va savoir… Quoique non, Tom est… Je veux dire, j’imagine Tom pouvoir être assez persuasif mais pas au point que Mike se tape en boxer devant lui. Bon, faut savoir, là, je l’appelle, et non, ne me demande même pas comment j’ai son numéro !

J’ai mimé une tirette que je faisais glisser sur mes lèvres en prenant l’air aussi innocent que possible avec mes années d’entrainement à la dissimulation, mais en me disant qu’il s’était presque trahi, malgré qu’il semble également assez fort à ce jeu. Je devrai être à la hauteur et continuer à cacher que… je sais.

J’ai bloqué mon esprit à toute image mentale que le sien pourrait à nouveau créer durant la conversation, et j’ai pris la place qu’il occupait il y a une minute, devant le rayonnage de livres, pour me replonger dans le souvenir de ma rencontre avec notre amie commune… Our Mutual Friend, comme le titre du roman de Dickens… dans la librairie au rez-de-chaussée de l’immeuble, d’ailleurs. Sauf que ce n’est pas si ironique que ça, vu la place des bouquins dans ma vie. Ma vie d’avant Hugo, quoi.

Elle m’avait vu y feuilleter le quatrième box de Death Note, puis vérifier mes finances du moment et, avec un soupir déçu, le remettre à sa place. Le temps que je rejoigne la porte du magasin, un orage jetait des trombes d’eau sur le boulevard, je n’aurais jamais atteint la bouche de métro sans être trempé comme une soupe, j’avais attendu une accalmie, assez pour qu’elle me rejoigne et me tende un sachet en papier.

— Vous avez oublié ceci’’, m’avait-elle dit, m’offrant les derniers albums de la série.

À l’époque, je commençais seulement à discerner des éclats de ce que je n’osais pas encore appeler mon pouvoir, et parce que là, je le… "sentais", faute d’un meilleur terme, je n’avais pas réagi lorsqu’elle m’a dit habiter deux étages au-dessus, ce qui lui avait fait ajouter : Mais vous semblez déjà le savoir, non ?

— J’ai parfois… Ce sont juste des impressions fugitives, mais je ne vous stalke pas, vous savez, avais-je gémi piteusement.

— Je m’en doute, avait-elle souri, mais l’inverse aurait pu être vrai, en tout cas, votre… don ? m’intrigue. L’orage est parti pour durer, puis-je vous offrir un verre chez moi ? Martial nous ouvrira l’accès au hall de l’immeuble, du fond du magasin, nous éviterons les gouttes.

Une fois dans son appartement, j’ai retiré mes Vans et l’ai suivie dans le séjour avec cuisine ouverte, où elle m’a proposé un soda. Alors, ce manga ?

J’ai expliqué Light Yagami, étudiant calme et solitaire, le shinigami qui lui confie son Death Note, en test un peu cruel pour voir s’il l’utilisera, et… Mais je ne crois pas que ça vous intéresse.

— Disons que j’aime beaucoup le Japon, mais c’est une tranche de sa culture qui m’échappe un peu, c’est assez éloigné de mon champ de recherche, en fait. Si c’est l’étudiant… calme et solitaire en couverture, il y a aussi une légère ressemblance physique.

— Aussi ? Ah, solitaire, oui, peut-être un peu… Avec les gens, c’est pas toujours… Et c’est un peu bateau, mais les livres ne déçoivent jamais eux.

— Si vous arrivez à développer ce que je soupçonne de votre don, il pourrait vous aider à voir à qui faire confiance, entre autres, probablement. Voudriez-vous… Oh, tutoyons-nous, OK ? Voudrais-tu m’en parler ?

— Je ne peux pas en dire grand-chose, je commence seulement à le découvrir. Comme j’ai dit, c’est juste une sorte de flash et…

Je me suis interrompu lorsqu’elle m’a pris la main, et j’ai sursauté. Qu’as-tu vu ?

— Une rivière… une petite fille qui tombe d’un ponton… un homme saute à l’eau pour la sauver ! C’est… ça n’a jamais été aussi fort !

— C’était moi, et papa, m’a-t-elle répondu en souriant.

Le 25 janvier 2022 18h02 dans l'appartement de Céline.

— Ouais, bon, les ennuis commencent vraiment’, a grogné Alexis. Ils ont pu échapper à des mecs qui les coursaient, ils nous rejoignent le plus vite possible. En attendant, Tom dit de commencer à chercher des indices, n’importe quoi, peut-être des courriers, messages ou autres traces papier de menaces qu’on lui aurait faites, vu qu’elle se savait en danger et se méfiait probablement des communications, même cryptées. Mais où aurait-elle planqué ça ? a-t-il murmuré en fixant la bibliothèque, avant d’ajouter Hmmm… Je t’interdis de te moquer, renard mais quand j’étais ado, j’avais écrit un récit de vacances un peu… Enfin, bref, je cachais les feuilles dans une BD, où ma mère ne les aurait jamais trouvées.

— Le rayonnage fait six mètres, et tu as vu la hauteur, ai-je glapi. Tous des livres thématiques ou des traités techniques, aucune BD ici, je le saurais, et je pense qu’il n’y a qu’un seul roman… Hey ! Mais oui, Céline !

— Oui, je sais, on est dans son salon.

— Non, Louis-Ferdinand Céline, l’auteur ! Le Voyage au Bout de la Nuit est mon roman préféré, je le lui ai offert. Ah, il est là, ce serait énorme que…

Lorsque je l’ai ouvert, quelques feuilles pliées s‘en sont échappées et sont tombées sur le sol, Alexis les a ramassées.

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