Chapitre 15 : Seule dans leur monde (Attrape rêve)

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Mes deux molosses me jettent au sol sans ménagement , je viens de subir le premier interrogatoire. Je ne sais pas ce qui l'a fait changer d'avis. Pourtant il n'a rien obtenu de moi. J'ai l'impression de sentir encore ses mains qui s'amusent sur mon corps. Ce terrible personnage a pris un plaisir malsain à me caresser les cheveux puis à laisser paresser ses doigts sur le bout de mes lèvres. Comment ne pas me détester de n'avoir pu rien faire d'autre que de mordre son pouce ? Une fois seule dans ma cellule, elle me semble moins désagréable à côté de ce que je viens de vivre. Ils ont l'élégance de m'enlever le bandeau qu'ils avaient posé sur mes yeux. Que croit - il ? Qu'avec mon regard je pourrais les foudroyer ? Si seulement cela pouvait être la réalité.

J'essaie de m'installer au mieux au fond de mon refuge au plus proche du halo de lumière qui se diffuse. Même si son intensité est très faible, elle a le mérite d'exister, un peu comme moi à cette heure. De la compagnie me ferait tant de bien. Je cherche à percevoir la petite beauté velue ne serait-ce qu'un instant. Juste pour m'enlever de la tête que chacune des minutes que je vis ne sera pas là dernière. Pas vraiment le temps de me lamenter ou de continuer d'envisager le pire que mes deux toutous se tiennent à nouveau devant moi. S'ils pouvaient, ils remueraient la queue, sombres idiots. Je tente d'attirer leur attention. Si je peux effleurer même qu'un instant leur peau, peut être que je pourrais me servir d'eux comme récepteur offrant une piste à mes quatre fantastiques.

Alors que j'allais établir un contact, même maigre avec le petit trapu, son pote le bouscule et lui dit :

— Déconne pas, le patron nous a prévenus. Fais gaffe tu vas te faire avoir.
— Écoute une petite gâterie, ça me tente.
— T'es con ou quoi, c'est ta cervelle qu'elle va pomper.

À cette dernière remarque, il s'éloigne. Raté, ce sera pour la prochaine fois. Comment leur chef peut-il être au courant de mes capacités ? C'est en moi depuis petite fille. Un flash soudain me revient. J'avais pris la main de Jérémie, c'était la première fois que nos routes se croisaient. Il avait vu des images que moi seule pouvais connaitre. Je me souviendrais toujours de la rivière qui me tendait les bras. J'étais sur un ponton en bois proche de notre chalet d'été. L'orage avait gonflé le cours d'eau, je me tenais sur le rebord, hypnotisée. Puis tout a basculé. Je me revois tomber dans l'eau, mon petit corps ballotté par le courant. J'hurlais, j'appellais désespérément mon père qui essayait de me rejoindre. Je sens encore sa main qui m'a attrapée et dans un dernier effort il m'a accrochée à un bois qui flottait. Puis le trou noir, la seule image qui est restée ancrée en moi, son dernier sourire et ses mots que j'ai entendus dans ma tête alors que l'eau l'avalait " tu es une Attrape rêve, ne l'oublie jamais. Je t'aime".

À chaque fois que mes doigts effleurent ceux de Jérémie, cela me rassure. Comme si sans qu'il le perçoive, ses gestes tendres ont le pouvoir de m'apaiser. Même si nous n'avons jamais parlé de mon don, quelque part je pense qu'il l'a découvert. Mais, à aucun moment, il ne l'aurait dit à qui ce soit. C'est une certitude. Pas le temps de m'interroger plus, qu'à nouveau mes pieds ne touchent plus terre.
J'essaie de percevoir un indice quelconque qui pourrait à mon tour m'aider à faire passer un message le moment venu. Une odeur, un son, un détail insignifiant. Rien, il semble qu'il soit bien plus intelligent que je ne le pensais. La tâche risque d'être ardue voire insurmontable.

Une fois à destination, l'ambiance de la pièce dans laquelle on m'installe est à l'opposé de la salle humide et moisie où on m'a laissé croupir. Je ne sens plus la présence de ma garde personnelle. Je suis assise sur un canapé, le tissu de velours est une douce sensation sur ma peau. Mon corps s'enfonce lentement, je me sens bien trop détendue. Les parfums qui envahissent la pièce me semblent connus. Peu à peu, je perds conscience. Quand je réalise tout à coup que l'odeur est celle de la Datura ou herbes des sorciers, je sais que si elle est mal dosée, je ne donne plus cher de ma peau. Sergio m'a appris à l'éviter comme la peste pendant mon séjour en Argentine.

Lentement le produit pénètre chacun de mes pores, je cherche un point d'attache pour ne pas perdre le contrôle. Il vient de faire sa première erreur, il m'a détaché les pieds. Je m'installe et cherche au plus profond de moi la force qui me permettra de transmettre un message. J'espère que de son côté Tom sera apte à le recevoir. J'ai besoin qu'il soit dans sa bulle pour que nos énergies fusionnent. C'est peut être totalement fou ou suis-je simplement en train d'halluciner ?

Tout à coup des sensations se déversent en cascade : une chaleur m'envahit. Non, ce n'est pas possible, ils sont devenus des cibles. Mon kidnapping est un piège. Je ne suis plus la seule à être en danger.

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