Chapitre 18 : J’ai besoin de toi, tu sais ? (Tom Ripley)

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Le 26 janvier 2022 0h30 dans le lit de Jérémie.

Heureusement, j’ai viré mon t-shirt de pétasse, car la température est dangereusement montée dans cette minuscule piaule. Je commence déjà à étouffer. Je finirais par bénir Mike de porter cette jupette. Au moins, je me sens presque à mon aise, à défaut d’être à poil pour dormir, comme à mon habitude. J’ai beau essayer de ralentir ma respiration, rien n’y fait. ça mouline à fond dans ma tête. Si on m’avait dit que je me retrouverais ce soir avec trois mecs dans une chambre de cité U, en plein mois de janvier pour tenter d’échapper à la mort ! Ce qui nous arrive ressemble à une mauvaise série B. À ce rythme, je ne donne pas cher de nos peaux. Nos peaux d’ailleurs qui sont un peu trop collées les unes contre les autres.

Je suis allongé sur le dos, calé contre le mur, avec Jérémie à mes côtés. Je me tourne vers lui. Sa tête est enfoncée dans son oreiller. Si ça continue, il va étouffer lui aussi. À moins qu’il ait choisi cette position pour cacher une érection intempestive. Après sa petite excursion dans le couloir, son téléphone portable à la main, il a fini par revenir sur la pointe des pieds et retirer son slim pour se glisser entre moi et Alex. Au début, il n’arrêtait pas de bouger, marmonnant de plates excuses. Puis, j’ai ressenti une énergie sexuelle décuplée. Pour une fois, ça ne venait ni de Mike, que nous avons aussitôt entendu ronfler, affalé sur le lit remonté du sous-sol, ni de moi, bien refroidi par les paroles d’Alexis qui a fait son offusqué à l’idée de dormir à mes côtés. Avant de revenir dans sa chambre, notre petit renard aurait dû aller faire un arrêt aux sanitaires pour se soulager. Parce qu’il va vraiment avoir du mal à s’endormir s’il continue comme ça.

Les yeux rivés au plafond, je souris. J’aurais presque envie d’éclater de rire de la situation. Mais aussitôt, des flashes de notre fuite de l’appartement de Céline me reviennent. Et là, mon cœur se serre. Je me sens tellement honteux de mon attitude. J’étais tétanisé, incapable de prendre la moindre décision, à part celle obéir aux ordres de Mike et d’Alexis, quand celui-ci m’a pris les clés des mains pour conduire. Je ne sais pas ce qui s’est passé... Enfin, si, je le sais trop bien. Après les cascades, je n’ai pas eu le temps de me recharger énergétiquement comme je l’aurais voulu. J’ai essayé de garder mon calme et d’être convaincant devant les autres pour ne pas perdre la face, mais j’étais à deux doigts de craquer. Alexis l’a forcément remarqué. Il me connaît par cœur, ou presque. C’est bien ça le problème. Je maudis un instant Céline, de nous avoir réunis une nouvelle fois. Et puis… Oh, arrête, Tom, de te trouver toujours des excuses ! Maître Ly te l’a répété combien de fois ? Applique-toi à garder en toute chose le juste milieu. Je n’y arrive décidément pas. Depuis des mois, je fais n’importe quoi.

Une voix douce chuchote dans ma tête ces quelques mots : calme-toi, et respire. Je regarde de nouveau Jérémie. Cette fois-ci, il a bien l’air de s’être endormi. Cela se pourrait-il alors que cela provienne de… Je n’ose pas y croire.

Ni une, ni deux, je me lève le plus délicatement possible du lit, attrape mes vêtements et mon téléphone que j’ai laissé sur la table basse. Habillé, je quitte la chambre en refermant la porte doucement. La seule lumière qui éclaire le couloir est celle du boîtier de sortie de secours. Cet endroit me rappelle immanquablement mes années de fac, lorsque je sortais en douce de la chambre de mes rencontres d’un soir. Toujours cette même odeur si particulière de bouffe et d’eau de javel. Une enfilade de portes s’offrent à moi. Un raie de lumière sous plusieurs d’entre elles attire mon attention. Je viens coller mon oreille à la porte la plus proche de moi. J’entends le son d’une musique entraînante qu’un étudiant doit écouter au casque. Je reste quelques secondes, essayant de reconnaître en vain le morceau. Je finis par me lasser et vient assouvir ma curiosité derrière une autre porte. Des rires étouffés de jeunes filles. Une nuit de confidences à n’en pas douter. La dernière porte sous laquelle j’aperçois de la lumière est tout au fond du couloir. Cette fois-ci, je n’entends absolument rien. Un étudiant insomniaque qui en profite pour potasser ? L’écran de mon téléphone indique déjà presque trois heures du matin. Tiens, j’ai reçu un texto ! C’est un message de mon amie Cindy qui m’envoie une photo d’elle, avec sa poitrine généreuse nue au premier plan, avec contre elle, un mec au sourire béat. Je ne le connais pas celui-là ! Un petit message coquin codé par des émoticones d’un petit bonhomme jaune qui bave et le dessin de trois courgettes. Décidément, Cindy est aussi voire plus insatiable que moi. Cette petite attention aurait dû m’émoustiller. Mais là, pas du tout. Et dire qu’il y a à peine deux jours, je m’éclatais au lit avec elle. Cela me paraît si lointain et si décalé ! Je frissonne. Je me sens idiot d’être ici, mon visage éclairé par l’écran de mon téléphone… Et surtout très seul.

Je ne peux pas rester ici, une minute de plus. Malgré la promesse que j’ai faite aux garçons de sauver Céline, c’est une évidence : je serai un poids pour eux. C’est au-dessus de mes forces. Je n’ai pas les épaules taillées pour ce genre d’aventure. Retourne donc dans tes bouquins pour y moisir avec !

Je quitte donc le couloir froid de l’étage et aperçois la porte qui mène aux escaliers. J’appuie sur le bouton de la lumière qui m'éblouit et commence à descendre les marches. Au bout de quelques-unes seulement, un vertige vient me saisir, m’obligeant à me tenir à la rampe. Ce n’est pas possible, mais dans quel état tu te mets Tom, ça ne va pas recommencer, fais quelque chose ! Mes pieds refusent bientôt d’avancer. Je suis contraint de m’asseoir dans l’entre sol, adossé au mur. Je m’astreins à prendre de grandes respirations, mais rien n’y fait. La lumière se coupe brutalement. Me voilà plongé dans la semi-pénombre grâce à une petite fenêtre qui laisse pénétrer une faible lueur.. Je ne sais pas combien de temps je reste prostré comme ça. Je sens une boule d’angoisse cogner dans mon ventre. Une sueur froide me parcourt l’échine, mes mains tremblent. Ça ne va pas du tout, mais vraiment pas. Je ferme les yeux, je suis en plein cauchemar. Tout ceci n’est pas réel, je vais bientôt me réveiller.

Lorsque je les ouvre de nouveau, un beau visage me fait face. Malgré son sourire, les yeux d’Alexis sont inquiets.

— Hé, ho, Tom, qu’est-ce que tu as ? Calme-toi et prends une grande inspiration… Oui, comme ça, c’est bien, et maintenant expire… Oui, voilà, parfait. Encore une fois…

Je lui obéis, comme le blessé que l’on vient secourir pour la deuxième fois de la journée. Son regard n’est plus distant comme ce matin ou même ce soir. C’est celui que j’aime, celui d’avant, lorsque nous étions ensemble. Un regard doux, celui qu’il s’autorisait, lorsqu’il se laissait aller. Je suis à la fois décontenancé de le voir ici, à mes côtés et honteux de me présenter dans cet état de vulnérabilité qu’il a malheureusement déjà connu. À tel point que mes yeux s’emplissent de larmes que je ne peux retenir plus longtemps. Mes mains servent de paravent à ma fragilité. Je sanglote comme un enfant. Je sens alors deux bras me réconforter.

— Tom, s’il te plaît, regarde-moi.

Je refuse, bien trop embarrassé, mais Alexis me force calmement en me prenant délicatement les mains dans les siennes. Une chaleur se diffuse dans tout mon corps, encore secoué par mes pleurs. J’affronte alors son regard pénétrant qui m’enivre en quelques secondes. Je sais déjà qu’il ne mettra pas longtemps avant de comprendre ce qui vient de m’arriver. Malgré la semi-obscurité, je profite de l’intensité de ses yeux qui me désarment comme pour la première fois, de son sourire, avec sa petite fossette au coin de sa bouche qui lui donne tant de charme. Le voir torse nu devant moi me replonge instantanément dans des contrées de liberté qui m’avaient affreusement manquées.

— Hé mon petit Tom-Tom, ressaisis-toi. J’ai besoin de toi, tu sais ?

Mon cœur vient de manquer un battement.

— Je ne crois pas, tu dis ça uniquement pour me faire plaisir…

Il pose son doigt sur mes lèvres.

— Je ne veux rien entendre. Et tu vas me faire la promesse d’arrêter immédiatement ton auto-apitoiement.

Je m’apprête à répondre, mais ses yeux plein de douceur et de tendresse me font perdre mes moyens. Pourtant, comme moi, je le sens fébrile. Nos visages l’un en face de l’autre se rapprochent.

— Tom, je sais que ce n’est pas le moment, mais… Je voulais te dire…

La lumière crue du plafond vient nous éblouir brutalement.

— Putain, j’y crois pas ! Ils peuvent pas s’en empêcher de copuler n’importe où ces deux-là !

Alexis se relève aussitôt pour faire face à l’homme, qui nous toise, du haut de l’escalier. J’en aurais presque oublié son humour dévastateur.

— C’est ce qui s’appelle se faire prendre la main dans le sac, enfin dans le sac, c’est vite dit, j’aurais plutôt dis...

— Ta gueule, Mike, lançons-nous à l’unisson, pour le faire taire.

— Ok, ça va, j’ai compris. C’était juste pour vous dire que je n’arrivais pas à dormir à cause de notre petit étudiant belge. Vous avez bien fait d’aller baiser ailleurs parce que lui, il a oublié de nous prévenir qu’il parlait en dormant. Heureusement que je n’ai pas les oreilles chastes, car je peux vous dire, que ça y allait côté galipettes chez Macdo. Alors, au menu du jour, c’était hamburger fourré à la grosse saucisse allemande, frites garnis devant et derrière, et sauce à volonté…

— Non, mais vraiment, t’es dégueulasse, sans déconner, lui assène Alexis, excédé. Ah, mais je vois que ça t’a fait de l’effet, mon cher Ronald !

Je m’aperçois alors de la bosse volumineuse à travers le pantalon de notre étalon.

— Très drôle, elle est juste au repos, je te ferai dire. Jaloux, hein ?

— Menteur, Alexis a raison, tu bandes !

— Bon, toi au lieu de faire ta Marie couche toi là, habille toi.

Voilà qu’il me jette au visage, sortis de nulle part, un pantalon et un sweat à capuche. J’évite les projectiles de peu.

— D’où tu sors ça ?

— De mon cul… Allez, t’occupe, et dépêche toi, car je viens d’avoir un message de Céline.

— Quoi ? Elle a appelé ?? s’écrie Alexis.

— Mais non… dit-il, hésitant.

— Vas-y accouche !

— Une autre fois, on n’a pas le temps.

— Va falloir que tu nous expliques, sérieux ! s’énerve Alexis.

— Oui, je sais, mais c’est un peu compliqué, là comme ça, à trois heures du matin, une autre fois, Alex, promis.

— Alexis, bordel, Alexis !!

— Te fâches pas. Je vous ai laissé un message sur le bureau de Jérémimi.

— Et il disait quoi ton message ?

Mike dévale les escaliers et vient déposer un baiser sur la joue.

— Je m’excuse, A-lex-is. Va donc assouvir les fantasmes de notre hôte pendant que je t’emprunte Tom. Ça ne te dérange pas, j’espère.

Je vois Alexis rougir imperceptiblement. Je réprime un petit fou-rire. Est-ce l’adrénaline soudaine qui me saisit, la vue de l'entrejambe de Musclor qui me motive, la chaleur d’Alexis qui continue à s'immiscer en moi, ou bien le tout à la fois ? Ce qui est sûr, c’est qu’en deux trois mouvements, je retire mes baskets, fait tomber ma jupe pour enfiler mes nouveaux vêtements.

— Ayé, je suis prêt, professeur Mike !

— Suivez-moi jeune sot, sinon vous subirez mon terrible bizutage !

Alexis lève les yeux au ciel. Je lui souris, mais Mike me tire déjà la manche.

— Oui, j’arrive, vas-y, toi, je te rejoins en bas.

Mike nous regarde d’un air entendu, avant de disparaître dans les escaliers.

— Alexis, je… Tu voulais me dire quelque chose avant que Mike ne…

— Je… Non, rien, c’était juste… Ça ne fait rien.

Je le regarde bien droit dans les yeux.

— Il semblerait que le devoir t’appelle. Alors file, mon petit Tom-Tom. Et fais attention à toi, promis ?

— … Promis. Toi aussi, fais attention.

— Promis…

Je le vois hésiter à ajouter quelque chose, mais je le devance en approchant mon visage du sien. En une fraction de seconde, je viens déposer un baiser sur ses lèvres. Je suis aussitôt soulagé lorsque je sens qu’il répond à mon audace, avec envie et sincérité. Ma langue s’engouffre dans sa bouche, retrouvant avec euphorie un plaisir que je croyais perdu à jamais.

— Tom… Arrête, je ne crois pas que cela soit une bonne idée…

Je grimace.

— Oui, je sais.

Il grimace à son tour, à la fois amusé et gêné.

— Bon, et bien, à bientôt, alors ? me fait-il en m’offrant un clin d'œil complice.

— Prends soin de notre petit renard, je compte sur toi.

— Seulement si tu fais de même avec notre bel étalon.

— Ok, ça roule.

Nous avons alors un léger fou rire, avant qu’Alexis m’invite gentiment à descendre l’escalier.

Le 26 janvier 2022 3h21 du matin, parking de la Cité U, boulevard Jourdan.

Je retrouve Mike qui m’attend sagement dans la voiture.

— C’est bon, on peut y aller ? Quoi, qu’est-ce que j’ai dis ?

— Non, rien, c’est juste que je m’attendais à ce que tu me demandes si on avait eu le temps de s’enfiler un coup rapidos.

— J’ai comme l’impression que vous n’aviez pas du tout envie de ça, là, maintenant.

Il lit l’étonnement dans mes yeux.

— Monsieur est fin psychologue, qui l’aurait cru ? Bon, changeons de sujet, si tu veux bien. Où comptes-tu m'emmener en pleine nuit ? On aurait pu attendre demain matin pour décider ensemble, non ?

— Sauf que si j’avais attendu demain matin, mon cher Tom, nous n’aurions été plus que trois à partir à l’aventure. Je me trompe ?

— Mais… ?

— Si je te dis Dragon, tu penses à quoi ?

— Attends, Mike. Je suis perdu là. Tu me parles de quoi ?

— J’en sais rien, moi. Mais toi, tu devrais. C’est ce que Céline m’a dit.

— Comment ça, Céline t’a dit ? Elle t’a appelé, oui ou merde ?

— Non, bien évidemment, qu’est-ce que tu crois. On va dire qu’elle m’a envoyé un message.

— Un message ?

Tout à coup, un éclair surgit dans ma tête !

— Mais oui bien sûr, le dragon ! Comment je n’y ai pas pensé plus tôt.

Je souris pour moi-même. Aussitôt, mon cerveau se met en branle. Je sens le bout de mes doigts et de mes pieds fourmiller, signe que l’énergie revient au galop dans mon corps.

— Tu sais ce que ça veut dire ?

— Heu… oui, je crois. Tu connais le quartier chinois ?

— Hein ? Il y a un quartier chinois dans cette ville ?

— Vas-y laisse tomber et démarre, je vais te guider. Direction le Lotus Bleu, dis-je avec un grand sourire, avant de sortir mon téléphone pour y pianoter un bref texto.

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