Chapitre 35 : Le jeu du chat et de la souris (Alex's_18)

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29 janvier aux alentours de 23 heures Capitanía du port de Bahia Blanca

Alors que nous nous apprêtons à quitter le poste de contrôle du port, une fois la certitude que la plante se trouve bien à bord du cargo en direction de la Chine, une alarme stridente retentit et un gyrophare rouge se met à luire dans la pièce.
— Il se passe quoi ? s'écrie Jérémie.
L'employé du port se précipite vers les écrans des caméras de surveillance du port et clique frénétiquement sur la souris pour faire défiler les différents points de vue.
— Dios mío, murmure-t-il en reculant, apeuré.
— ¿ Qué ? rugis-je en le bousculant pour me précipiter au bureau.
Sur les écrans, je vois trois 4X4 s'arrêter brusquement et deux, quatre, puis une douzaine d'hommes armés jusqu'aux dents et en combinaisons semblables à celles que portent des soldats descendre. Ils tiennent des armes à feu dans les mains et l'un deux lève la tête en direction de la caméra. Il braque son arme et fait feu. Un cri étranglé retentit lorsque l'image se brouille.
Je me retourne pour voir un Pablo les yeux écarquillés de frayeur et aussi pâle qu'un linge blanc. Un flot de paroles s'échappent de ses lèvres, trop vite pour que je puisse seulement traduire pour moi-même un seul mot. On ne peut pas savoir à quelle vitesse les Argentins peuvent déblatérer lorsqu'ils sont terrifiés.
— Ils sont où ? hurlé-je en espagnol à l'employé, recroquevillé dans un coin.
Il lève sur moi un regard hagard avant de m'indiquer d'un balbutiement l'entrée par laquelle nous sommes arrivés. Ils ont dû se frayer un chemin entre les barrières qui interdisent normalement l'accès aux véhicules en foncer dessus, très certainement.
— Jérémie, lancé-je d'une voix neutre en me relevant.
Je me tourne vers lui et il me fait face, les yeux ancrés dans les miens.
— Tu sais ce qu'il nous reste à faire.
Il redresse le menton.
— On ne peut pas les laisser mettre la main sur la fleur. Ils nous ont déjà pris Céline. Il est hors de question qu'ils nous rient encore au nez. On va leur faire payer.
— Ce sont certainement que des hommes de main, de simples pions sur un échiquier.
— Raison de plus. J'ai comme une envie de me défouler depuis Carmen de Areco.
Les yeux de Jérémie brillent d'une lueur déterminée et de quelque chose en plus : la flamme de la vengeance. Si la situation était tout autre, j'aurai commencé à croire que Jérémie dérailler et qu'il s'engageait sur un chemin dont il ne pourrait plus quitter une fois qu'il sera trop tard. Mais au vu de ce qu'il se passe dehors, je vais me satisfaire de ça et utiliser cette nouvelle force.
— Ça sera dangereux, préviens-je tout de même.
— Je sais.
Il me passe devant et je le retiens par le bras.
— Sérieusement, Jérémie. Ne tente rien qui serait pure folie. Je n'ai pas envie de te perdre... ni moi, ni Tom ou Mike. Ni Hugo.
Il cille et son masque de confiance se fissure.
— Je sais, répète-t-il pourtant, d'une voix plus douce. Allons-y.
— Vous ne bougez pas d'ici, ordonné-je à Sergio et Pablo. Ne faites aucun bruit et ne sortez pas de la pièce sous aucun prétexte. Nous reviendrons vous chercher quand tout sera fini. Vous avez compris ?
Ils hochèrent la tête et nous sortons dans le couloir qui mène à l'extérieur.
— Pour l'instant, ils ne savent pas où nous sommes. Mais ils sont armés et pas nous : un affrontement direct équivaut à notre mort. Il faut qu'on les mette KO un par un, en étant le plus discret possible. Jusqu'à quelle distance tu peux utiliser tes pouvoirs sur eux ?
Jérémie fait la moue.
— Je sais pas trop, dix, peut-être vingt mètres.
— Ok, ça devrait suffire. Utilise ta capacité de suggestion le plus possible, comme l'autre fois. Pour ma part, je peux les utiliser sur plusieurs gars en même temps mais il faut à tout prix que j'ai un visuel sur eux. Le problème, c'est que je dois me concentrer pour maintenir l'illusion parfaite. Et plus je contrôle l'inconscience de plusieurs personnes, plus ça me donne des efforts.
— Je comprends. En gros, il faut agir stratégiquement pour ne pas s'épuiser.
— Par contre Jérémie, quelle que soit ta colère contre eux... contrôle-toi.
Il me regarde comme s'il n'a pas compris puis hoche lentement la tête.
— On reste ensemble, quoi qu'il arrive. À deux, on peut se protéger.
Nouveau hochement de tête puis il ouvre lentement la porte. Il passe la tête avant de me faire signe et nous sortons dans la fraîcheur de la nuit. Un frisson me parcourt, ce n'est pas seulement à cause du vent qui souffle. Mon cœur bat la chamade. Ni Jérémie ni moi pensions qu'on devrait risquer notre vie à ce point pour sauver Céline. Mais depuis que nous avons posé le pied en Argentine, je sens le danger rôder comme un loup autour d'un pâturage de brebis. Il nous colle à la peau et nous suit dans nos moindres mouvements. Finalement, je ne sais plus si nous avions bien fait de nous séparer en deux groupes, avec Mike et Tom à l'opposé du globe. L'union fait la force.
Nous repérant de tête, nous avançons prudemment jusqu'à l'entrée principale. Les phares de nous signalent la présence des voitures avant que nous ne les voyions. Nous nous accroupissons derrière un muret et je me redresse pour jeter un regard. Personne. Ils ne sont plus là.
Je chuchote si près de l'oreille de Jérémie que mes lèvres touchent sa peau :
— Ils sont partis vers les docks. Ça sera le jeu du chat et de la souris.
Il se tourne vers moi et je vois ses yeux briller dans la pénombre. Son sang-froid est implacable. Il m'impressionne. Il a encore deux jours de ça, il dansait sur ses pieds, mal à l'aise, quand je l'avais rencontré aux Cascades.
Je lui fais signe de me suivre et nous nous dirigeons silencieusement en direction des docks, et longeons les caisses aussi hautes que des maisons attendent d'être chargés sur leur navire.
Soudain, je vois une lumière surgirent de derrière une de ces boîtes. J'agrippe le t-shirt de Jérémie derrière moi et le plaque vivement contre la paroi. Il comprend aussitôt et se fige.
Je risque un coup d'œil et aperçoit enfin une silhouette tenant une lampe de poche. À côté d'elle, je distingue une seconde qui porte une arme similaire à une mitraillette. Mon pouvoir se réveille et je pénètre leur inconscience. Aussitôt, j'imprime dans leur cerveau une fausse image des docks. Ils s'immobilisent, puis reprennent leur marche comme si de rien n'était.
— Fonce jusqu'à l'abri devant toi. Ils ne peuvent pas nous voir.
Enfin, si j'ai bien anticipé leur trajectoire et qu'ils ne changent pas d'avis. Jérémie s'exécute et file à toute vitesse jusqu'à l'endroit que j'ai indiqué, passant devant les hommes qui ne le voient pas. Quand vient mon tour, je m’immisce un peu plus dans leur cerveau et leur inflige le même châtiment que sur notre pauvre Pablo. Ils s'effondrent au sol quelques instants plus tard comme de simples poupées de chiffons.
Nous continuons notre chasse à l'homme qui se révèle plus simple que prévu : ces tas de muscles n'ont rien dans le cerveau, leur lampe torche nous indique facilement leur position dans la noirceur totale de la nuit. Lorsque je repère trois autres hommes près de nous, j'use de la même stratégie mais cette fois-ci, elle nous oblige à leur passer juste sous leur nez. Je les transporte mentalement sur une plage des îles pacifiques et y ajoute quelques jeunes femmes à moitié dénudées. Je croise les doigts en espérant que je ne me sois pas trompé sur leur orientation sexuelle. Nous passons si près d'eux que nous pourrions les toucher. Mais ils ne semblent s'apercevoir de rien et subissent le même sort que leurs compagnons.
Les prochains sont les victimes de Jérémie. Il se concentre sur eux et quelques secondes plus tard, un des hommes qui détient une arme assène un coup de crosse à l'homme à côté de lui.
— Mais qu'est-ce que tu fous, putain ? hurle le troisième le voyant s'approcher de lui.
Il subit le même sort puis le type s'approche d'une caisse et commence à se frapper le front contre elle. Je regarde Jérémie, surpris, qui m'adresse un grand sourire.
— J'ai réussi, ça a marché ! exulte-t-il.
— Bien joué, murmuré-je.
Nous filons ventre à terre alors que le type continue de se fracasser le crâne quand une voix forte s'élève dans le silence total.
— Là-bas, ils sont là !
Jérémie me lance un regard terrifié et je lui prends le bras pour nous enfouir. Des bruits de bottes contre le sol retentissent et le cliquetis des armes qui s'entrechoquent résonne près de nous.
— Putain, ils arrivent ! s'étrangle Jérémie.
— Par ici.
Nous courons à perdre haleine entre les caisses pour tenter d'échapper à nos poursuivants. Alors que je prends le risque de regarder derrière moi, j'aperçois le faisceau lumineux de lampes.
— Accélère, ils sont là !
Une explosion retentit à nos oreilles et nous sursautons de peur.
— Ils nous tirent dessus, Alexis !
— Je sais, hurlé-je.
Je tourne brusquement à gauche puis à droite, Jérémie dans son sillage. Au loin, je visualise une forme dans la pénombre. Une des caisses est ouverte, les grands battants écartés. Une cachette. J'entraîne Jérémie là-bas et nous nous glissons derrière une des portes. L'espace laissé est tel que je dois écraser Jérémie contre la paroi de la caisse pour pouvoir m'y faufiler. Mon corps est plaqué contre le sien, mes mains sur ses hanches et je sens sa poitrine s'élever au rythme de ses respirations saccadées. Son menton frôle mon nez. Il lève la tête pour me regarder, son souffle chaud glissant sur mes lèvres. Ses yeux reflètent la peur qu'il éprouve. Je ne fais pas le fier non plus, mon cœur résonnant douloureusement dans ma poitrine.
— Dès qu'ils passent, on sort et je me charge d'eux. Ne bouge surtout pas.
Il hoche la tête, sa bouche contre mon menton.
— J'ai peur.
— Moi aussi.
Il presse son corps contre le mien, comme s'il cherchait à se protéger. Des bruits de courses se font entendre et bientôt, ils sont dans le couloir qui passe devant notre cachette. Nous les entendons avancer lentement et Jérémie se tétanise. Je comprends qu'ils viennent juste de passer devant nous. Sans nous voir.
— Maintenant, soufflé-je.
Je m'extirpe de derrière la porte et me glisse derrière leur dos. Ils sont cinq, tous armés jusqu'aux dents.
Je puise dans mes réserves, pénètre leur esprit. Quatre d'entre eux sont immédiatement sous mon emprise. Je m'empare de leur inconscience et stoppe leurs poumons. Alors que je m’immisce dans le cerveau du dernier, une vive douleur me transperce le crâne. Je crie de douleur et je me sens éjecté de leur inconscience. Je tombe à genoux, la tête entre les mains, en proie à un étau qui comprime mon cerveau. Ma vision devient floue et je distingue l'homme se retourner. Incapable de faire le moindre geste, je le vois lever son arme sur moi.
Un cri retentit à côté de moi.
— Non !
Je sens une main se poser sur mon épaule et mon pouvoir afflue à travers mes veines jusqu'au point de jonction. Le militaire s'immobilise avant de lentement lever son arme. Sous mes yeux effarés, il pointe le canon de sa mitraillette sous son menton. Une lumière vive m'éblouit au moment où le son d'une rafale de tir me perce les tympans. Quand j'ouvre les yeux, l'homme s'effondre au sol.
La douleur dans mon crâne cesse immédiatement et je lève la tête pour apercevoir Jérémie près de moi. Il baisse les yeux sur moi avant de m'aider à me relever. Il fait un pas vers les hommes devant lui mais je le retiens par le bras.
— Jérémie, viens. Il faut qu'on parte et vite.
Il résiste un instant avant d'obéir. Nous rejoignons la poste de contrôle et quand j'ouvre la porte à la volée, un spectacle effroyable se dresse devant moi : un mercenaire est allongé au sol, du sain s'échappant imbibant sa combinaison. En face, l'employé du port est assis contre de poste de contrôle, une arme à poing dans sa main, une balle entre les yeux. Et enfin, Pablo agenouillé près du corps de Sergio, lève un visage humide de larmes sur nous.
— Está muerto, está muerto, gémit-il, les mains plaquées contre le flanc du professeur.
Je me précipite près deux et pose mes doigts sur la jugulaire de Sergio.
— Son pouls bat encore. Il faut appeler les urgences, vite.
— Non, on doit l'emmener là-bas. S'ils viennent, on ne pourra jamais quitter le pays, s'écrie Jérémie.
Il a raison.
— Chargeons-le dans un des 4X4, vite !
Nous le portons et l'allongeons sur la banquette arrière, Pablo à ses côtés. Je prends le volant et remercie le ciel que les clés soient restées sur le contact. Je démarre en trombe et quitte le port à toute vitesse. Nous laissons dans notre sillage une traînée sanglante et une odeur de mort. Je jette un regard en coin à Jérémie assis à côté de moi. Il regarde fixement la route devant lui, la mâchoire serrée. Je sais ce qu'il ressent. Il a pris une vie pour en sauver une autre. La mienne. Et pour ça et le prix qu'il devra payer, je lui serai éternellement reconnaissant.

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