Chapitre 41 : Tout est question d'apparence (Alex's_18) 

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— Est-ce que tout le monde est prêt ? demandé-je en rentrant dans la pièce principale de la chambre d'hôtel.
— Ouais, pour moi c'est bon.
Mike lève les yeux et siffle entre ses lèvres en voyant mon accoutrement.
— Dis donc, je comprends mieux pourquoi Tom reste pendu à tes couilles.
Je le fusille du regard en attachant mon bouton de manchette alors qu'il m'adresse un grand sourire angélique.
— On n'a pas le temps pour ce petit jeu, Mike.
— Non c'est vrai, le costume trois-pièces te va comme un gant, on dirait presque que t'as l'habitude d'en porter.
Il tourne autour de moi.
— Regardez-moi ce port de tête altier et cette droiture dans cette posture. Comparé à toi, j'ai l'impression d'être un pingouin endimanché dans un costard trop petit.
— C'est un des avantages à ne pas fréquenter les salles de sport. On ne peut pas avoir le beurre et l'argent du beurre.
— Perso, je préfère le beurre, et le beurre bien gras...
La voix de Tom qui résonne depuis la salle de bains me sauve de devoir chercher une explication à cette métaphore douteuse et je m'empresse de le rejoindre.
— Qu'est-ce qu'il y a ?
Il marque un temps d'arrêt en m’apercevant, certainement surpris de me voir ainsi. Je ne crois pas qu'il ait jamais eu l’occasion de me voir en costume, nous n'étions pas du genre à sortir et fréquenter le beau monde, préférant de loin l'intimité d'une chambre. Tout comme moi. Le bleu lui va très bien.
— Je n'arrive pas à attacher ma cravate, explique-t-il d'un air penaud.
Je ne peux réprimer le sourire qui me vient aux lèvres.
—Tu n'as jamais su le faire.
Je chasse ses mains et m'attèle à faire son nœud de cravate, les yeux rivés dessus pour ne pas affronter son regard en plus de notre proximité.
— Ça te va bien les cheveux attachés comme ça.
Je resserre le nœud et m'écarte.
— Merci, soufflé-je.
— Ce soir, c'est toi qui porteras le noir.
— Il fallait demander à Maître Xing un autre costume.
— Je n'ai pas eu le choix, figure-toi !
Je souris une seconde fois et un silence s'installe entre nous.
— Je suis...
— On devrait...
— Désolé, tu voulais dire quoi ? s'excuse Tom.
— Non vas-y toi.
— Je voulais juste te dire que je suis content que tu sois rentré sain et sauf. Ça n'avait pas l'air de tout repos en Argentine (il glousse, dénotant son embarras). On n'aurait peut-être pas dû se séparer.
— J'ai survécu, alors tout va bien. Et puis, ça nous a permis d'en apprendre plus pour pouvoir sauver Céline.
— Tu m'as manqué ces derniers jours.
— Je...
— Bon, les amoureux, vous avez fini de vous compter fleurette ? retentit une voix dans la pièce voisine. Faut qu'on se magne.
— Il m'avait pas manqué lui, en tout cas, sifflé-je entre mes dents.
J'adresse un regard remerciant à Tom et rejoins Mike. Jérémie est là aussi, dans son smoking de soirée. Le nœud papillon lui donne un air encore plus enfantin et il est aussi raide qu'un piquet ; il n'a pas l'habitude de porter une tenue pareille. Mais il ne laisse rien paraître et va même jusqu'à mettre les mains dans ses poches.
— Tout le monde est prêt ? Ce soir, on retrouve notre Céline et on l'arrache aux griffes de ceux qui l'ont enlevée.
Mes comparses hochent la tête, les sourcils froncés et le regard droit. Ce soir, c'est le grand soir et nous devons à tout prix réussir. Ce sera notre seule chance et quoi qu'il arrive, nous sauverons Céline.


30 janvier 2022, Parlement du Land de Stuggart, 19h47
Le taxi s'éloigne et nous laisse tous les quatre devant un gigantesque bâtiment tout en verre entouré de verdures. Une allée éclairée à quelques mètres semble être le chemin pour entrer. Des barrières ont été installées tout autour, délimitant un périmètre de protection et une zone relativement grande pour permettre à toutes les personnalités qui composent les Nations Réunies d'accéder au Parlement où se tiendra la session extraordinaire. Derrière, les barricades, une foule massive de journalistes, appareil photo d'une main et bloc-notes de l'autre, se battent pour être au premier rang et assister à l'arrivée de tous ces beaux gens.
— Franchement, on peut remercier Céline d'être l'ambassadrice des Nations Réunies, lance Tom. Grâce à elle, la langue officielle est le français depuis qu'elle est en poste.
Nous hochons la tête sans bouger de notre place.
— Vous êtes sûrs qu'on pourra rentrer ? demande Jérémie d'une voix faible.
— Evidemment ! rétorqué-je. Je vous rappelle que Céline nous a tous invités il y a déjà plusieurs mois. Nous avons tout autant le droit d'être ici que les autres, surtout que c'est l'ambassadrice elle-même qui a fait la demande.
— Eh bien, on te suit, Monsieur-je-suis-sûr-de-moi, me nargue Mike en faisant une courbette.
— Je croyais être le redresseur de torts ?
Je prends tout de même la tête du groupe et sors de l'ombre pour rejoindre l'allée principale. Aussitôt, une centaine de têtes se tournent vers nous et l’ombre d'une hésitation passe sur leur visage. Après s'être assurés que nous ne sommes pas des diplomates étrangers ou des membres d'une ONG multinationale, les journalistes se désintéressent complètement de nous pour guetter avec attention le prochain venu.
— Je m'attendais à retenir un peu plus longtemps l'attention... ronchonne Mike.
— C'est le costard, lance Jérémie. Il cache tes arguments.
Une armoire à glace se matérialise subitement devant nous et empêche Mike de répondre.
— Bonsoir, messieurs. Puis-je avoir vos noms et une pièce d'identité ?
Nous lui donnons notre identité et il fait glisser son doigt sur tablette qu'il tient.
— Parfait. Je vous souhaite une agréable soirée.
Il se décale pour nous laisser entrer à l'intérieur. Aussitôt, les sons extérieurs s'atténuent et nos pieds frôlent une moquette qui étouffe les bruits de nos pas. Nous suivons le parcours tout tracé et débouchons dans une vaste salle illuminée d'une myriade de lustres. Le plafond est si haut qu'ils sont suspendus par une chaîne de plusieurs mètres de long. Au fond, une estrade est installée, là où Céline devrait faire son discours. Pour le moment, un orchestre modeste entame un énième morceau de musique. Des fauteuils en tissu rouge, qui semblent plus confortables que le canapé de mon appartement, sont alignés en rang d'oignons devant. La salle est déjà pleine à craquer et les discussions font
un brouhaha sonore mais supportable.
— Wouaah, je pensais pas que ça serait comme ça, s'exclame Jérémie en se hissant sur la pointe des pieds pour tenter d'apercevoir la salle dans son ensemble.
— Cette pièce regroupe les personnages les plus influents du monde entier et les plus fortunés. La conférence a été organisée pour eux et par eux. Quelle ironie du sort quand on sait que la teneur de celle-ci n'est autre que les questions environnementales et le dépérissement de notre planète. Tous ceux dans cette salle en sont les principales causes, raillé-je.
— Tu as certainement raison. Mais pour le moment, je ne vois qu'une chose : ce magnifique buffet qui m'attend.
— Attends ! retiens-je Mike avant qu'il ne parte. N'oubliez pas pourquoi nous sommes là. On s'en tient au plan : on se disperse pour récolter le maximum d'informations avant que le discours de Céline ne commence. On ne la lâche pas du regard et quand elle termine, on l’intercepte avant qu'elle ne rejoigne sa loge.
— Je ne sais pas si tu as vu autour de toi, Alexis, mais il y a des men in black aux quatre coins de la salle, chuchote Tom.
Effectivement. Et ils ne se cachent pas, arborant fièrement des armes de poing à leur ceinture. Il doit y avoir des agents de sécurité dans le lot, mais impossible de faire la distinction.
— Nous sommes des amis de Céline, ils ne peuvent pas nous empêcher de la voir, d'autant plus qu'elle nous a invités personnellement.
— Peut-être, mais personne nous connaît, rappelle Jérémie.
— Alors vous avez une heure devant vous pour vous faire connaître.
Nous échangeons un dernier regard avant de s'éloigner chacun de notre côté. Je me faufile dans la foule et rafle une coupe de champagne posée sur le plateau que tient un serveur en le remerciant d'un sourire. Ici, les apparences sont tout, et un homme qui sirote un verre de champagne se veut décontracté et enclin à la discussion. Je prends une gorgée pour me donner une contenance et me permettre de réfléchir. Nous nageons dans une mer de requins et les seules issues possibles sont au nombre de deux : l'entrée principale dont nous venons et celle qui se situe près de l'estrade, par laquelle Céline apparaîtra. La salle est surveillée en permanence par des caméras en plus de la présence de vigiles armés.
Et pourtant, l'adrénaline coule à flots dans mes veines et inonde mon système nerveux ; je suis mille fois plus à l'aise dans ce milieu qu'en Argentine. Certes, le danger rôde mais il est plus pernicieux, il agira comme un poison plutôt que comme un coup de poignard dans le dos. Et cela me convient mieux.
J'aperçois un groupe de journalistes en retrait au fond de la salle, reconnaissables par leur appareil photo accroché autour de leur cou. Je souris malgré moi : il est temps d'aller se pavaner.
Je marche vers eux, feignant la distraction pour attirer leur attention. Ils prennent conscience de ma présence solitaire et se jettent aussitôt sur moi.
— Bonsoir monsieur, avez-vous quelques minutes à nous octroyer ?
— Bien sûr, si vous en avez également pour moi.
— Oui... évidemment.
Ils tendent comme un seul homme leur téléphone dans ma direction.
— Êtes-vous présent ce soir en qualité de représentants d'une organisation non gouvernementale ?
— Pas du tout, même si c'est un objectif que je me fixe et qui serait une grande réussite personnelle. Non, j'ai simplement été invité par l'ambassadrice des Nations Réunies.
— Madame Lavoisier ? s'exclame une journaliste, surprise.
Ils ont mordu à l'hameçon. Je n'ai plus qu'à les ferrer.
— Bien sûr, nous sommes de grands amis elle et moi. Bien que je n'ai aucun poids dans l'union des États qu'elle représente, je suis de tout cœur avec elle et la soutiens dans ses projets.
— Comment l'avez-vous rencontrée ?
— Quel est votre nom ?
— L'aidez-vous dans l'ombre ?
— Pas tous en même temps, je vous prie, supplié-je en gloussant. Je suis Alexis Fowl et exerce le poste de magistrat au sein de la cour d'appel de Paris. Vous voyez, nous sommes très loin des enjeux environnementaux pour lesquels nous sommes réunis ce soir.
Je leur souris. Plus qu'à tirer un peu sur la corde.
— Mais dites-moi, peut-être pourriez-vous me renseigner ? Céline m'a parlé d'un très bon ami, il se fait appeler par son titre de noblesse, un duc, il me semble. On dit que sa femme est ravissante.
Des éclats de rires masculins retentissent parmi ma cour d'admirateurs.
— Le Duc von Lächerlich-Kleinschwanz ? répond l'un deux sans bégayer, ce qui suscite mon admiration. Oui, il sera présent, d'après le protocole, il se tiendra à côté de l'ambassadrice pendant son discours. Il doit déjà être dans la loge en sa présence.
— Céline est déjà arrivée ?
Ma surprise n'est pas surjouée. Je pensais qu'elle arriverait au dernier moment mais après réflexion, c'est stupide. Un retard n'est pas permis. Ce que je ne comprends pas, c'est pourquoi ses ravisseurs veulent à tout prix qu'elle fasse son discours. Pourquoi ne pas la garder en lieu sûr pour faire pression ?
— Bien sûr, elle a été aperçue entrant dans le Parlement quelques heures plus tôt.
— Quand, exactement ?
Ma question brusque suscite des regards entre eux mais on me répond tout de même :
— Un ami journaliste qui a couvert l'événement pendant la première partie de l'après-midi m'a dit que sa voiture était arrivée vers dix-sept heures.
— Elle était accompagnée ?
— Je ne pense pas, enfin mis à part une escorte habituelle.
— Et le Duc ?
— Il est arrivé plus tard.
Un frisson d'impatience commence à parcourir le petit groupe. Je ne peux plus rien leur soutirer sous peine d'attirer trop l'attention. J'espère que les autres ont plus de chance que moi. Je me compose un masque courtois :
— Il est temps pour moi de vous laisser, je vous remercie et vous souhaite une agréable soirée.
Je leur tourne le dos et m'éloigne avant qu'ils ne puissent poser d'autres questions et rejoins les privilégiés.
— Vous ici ?
Je me retourne instinctivement pour voir à qui appartient cette voix et découvre une femme habillée d'une robe noire et les cheveux relevés en chignon qui m'observe sans pudeur. Mon visage doit exprimer l’incompréhension que j’éprouve car ses sourcils se froissent.
— Allons, cela ne fait pas si longtemps que ça que vous avez quitté les bancs de l'école pour m'avoir complètement oublié, n'est-ce pas ?
Soudain, les souvenirs me reviennent. Comment pourrais-je oublier une personne au visage aussi sévère et à la voix aussi nasillarde et coupante qui a su faire pleurer de honte plus d'un étudiant ?
— Évidemment, Mme Deschamps, dis-je à la place, un sourire poli plaqué sur les lèvres.
— Je savais bien que vous vous souviendriez. On n'oublie pas ses professeurs aussi vite.
— Surtout quand ils sont très présents pour leurs étudiants. Tout va bien à la cour ? On m'a dit qu'il y a eu du changement, récemment, assené-je d'une voix mielleuse.
Son sourire se crispe et ses yeux bleus deviennent aussi glacés que la banquise. Les rumeurs vont vite dans le monde de la magistrature, celle qui lui colle à la peau est croustillante : elle aurait été évincée du poste de Président de la cour d'appel de Bordeaux suite à une affaire de prise de position et de conflits d'intérêts. Autant dire que son nom a résonné longtemps dans les couloirs des palais de justice.
— Quelle ne fut pas ma surprise quand j'ai appris que vous aviez été admis comme magistrat à Paris. Mais j'aurais dû m'en douter, vous aviez toujours été un excellent étudiant.
— Il est vrai que la compétition a été rude, surtout lorsque ceux qu'on croit être dans votre camp vous mettent des bâtons dans les roues. Mais je vous remercie de votre sollicitude, remercié-je en penchant légèrement la tête de côté.
— Je ne pensais pas vous voir ici ce soir, s'exclame-t-elle en regardant autour d'elle. Êtes-vous membre d'une quelconque association ?
— Pas du tout, même si l'envie n'est pas ce qui me manque...
— Vous avez toujours été solitaire, seul dans votre coin. Vous n'êtes pas très associatif, ce n'est pas votre genre.
Elle me lance un de ses sourires suffisants dont elle a le secret.
— En effet, je ne vis pas à travers le regard des autres. J'ai toujours préféré agir dans l'ombre, plutôt qu'écraser mon entourage.
Un duel de regard s'engage. J'ai toujours eu du mal à croire les chuchotements entre étudiants à l'école de la magistrature sur son potentiel divorce avec son mari à cause d'une coucherie avec une étudiante qu'elle lui avait elle-même présentée. Mais il faut dire que le coup du hasard était vraiment étrange : l'étudiante n'avait pas réussi ses examens, examens notés sous la supervision de Mme Deschamps.
— Non, reprends-je, je suis proche de l’ambassadrice, figurez-vous. Une vieille amie...
— Vous avez des amis hauts placés.
— On m'a enseigné à créer des contacts. Ce n'est pas à vous que je vais apprendre cela.
— Bien entendu, répond-elle.
Une moue passe soudain sur ses lèvres.
— Cette discussion fut éclairante mais je dois malheureusement vous quitter. L'un des magistrats du Conseil supérieur de la Magistrature sera présent ce soir et il me tarde de le rencontrer.
— Naturellement. Le plaisir est partagé.
Dernier sourire avant qu'elle ne me tourne le dos, ses talons résonnant sur le sol lisse. Une flamme de suffisance s'allume au creux de mon ventre. Je n'aurais jamais pensé prendre autant de plaisir à rabattre le caquet de cette ignoble femme.
Mais ce n'est pas le moment de s'attarder sur les souvenirs d'une vie passée. Il faut que je retrouve les autres. J'espère de tout cœur qu'ils ont réussi à glaner plus d'informations que moi.

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