Chapitre 32 : Les montagnes de Wutang 3/4 (Attrape rêve et Tom Ripley)

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25 décembre 2020, 1h du matin Montagnes du Wutang, Chine.

*Céline*

Nous quittons le temple, chacun a chaussé des boots fourrés de laine et revêtu les ponchos que les moines nous ont offerts au cours de la cérémonie. Celui de Tom est couleur nuit contrastant avec le mien couleur ivoire. Maître Kumeï a été très clair, à aucun moment nous ne devons nous séparer et nous quitter des yeux. La lune nous accueille et guide nos pas dès que nous franchissons le portail. Au loin le sommet que nous devrons atteindre avant que le jour se lève. Notre parcours initiatique ne fait que commencer, il ne sera d’aucun repos. Il nous a prévenu, insistant sur le fait que nous ne pourrions pas faire demi-tour. Les cauchemars nous assailliraient et nous devrions les affronter main dans la main. Je mets ma capuche et me cale dans les traces de Tom, son dos est le repère sur lequel je veux fixer mon attention.

Notre entreprise est démente et pourtant je ne sais pas comment l’expliquer mais tout me semble évident à cette heure. Les peurs et les doutes qui m’ont oppressée s’effacent peu à peu avec la chaleur qui se diffuse dans mon corps encore transi de froid après le bain glacé dans lequel on m’a plongée avant que je ne revêtisse ma tenue de voyage. Les nuages tapissent le ciel, une toile magnifique sur laquelle se dessinent des ombres sur lesquelles je dépose mes espoirs et mes chagrins. Je les nomme en silence pour me rassurer, cherchant dans chacune d’elles une image rassurante qui pourrait m’encourager dans les missions qui m’attendront par la suite.

*

*Tom*

Je ne sais pas depuis combien de temps nous marchons, mais le froid et la fatigue physique sont de plus en plus difficiles à supporter. Cette excursion est pure folie. Je ne compte pas le nombre de fois où j’ai eu envie de faire demi-tour. La montagne qui nous attend, certes renommée est d’une extrême dangerosité à ce que l’on dit. On raconte aussi que pour y parvenir, il faut traverser un pont de cordes long d’un vingtaine de mètres qui nous mènera à une autre montagne encore plus haute, où nous pourrons admirer, depuis un plateau, l’immensité des Monts Wutang. J’espère sincèrement que c’est une simple légende.

– Tout est dans le mental, Tom ! Courage, nous devrions y être bientôt, me répète Céline.

Je préfère ne pas lui répondre car ma colère est immense. Je sais qu’elle cache une peur abyssale qui me ronge également. Et dire qu’hier, j’étais détendu et ressourcé.

Nous avons beau nous encourager mutuellement pour avancer à un rythme soutenu, bientôt, nos corps exsangues réclament une pause. J’ai littéralement envie de m’écrouler au sol.

– Tom, on ne peut pas se permettre de s’arrêter...

– Oui, je sais…

– Oh, regarde… Je crois apercevoir quelque chose au loin !

Je regarde dans la direction qu’elle m’indique. C’est impossible, ce ne peut pas être…

Nous reprenons notre marche et découvrons un vieux pont de cordes usées qui disparaît dans une brume épaisse.

– Moi qui croyais que c’était une simple légende…

– Tom, nous devons traverser, nous n’avons pas d’autre choix.

Je la regarde en secouant la tête.

– Il doit y avoir un autre moyen ! Mais, qu’est-ce que tu fais, tu ne vas tout de même pas…

Je n’ai pas le temps de terminer ma phrase que Céline a déjà les mains sur les cordes situées de part et d’autre du pont revêtu de simples dalles en bois dont la solidité m’inquiète.

– Évite de regarder en bas et suis-moi, dit-elle pleine d’assurance.

Je suis stupéfait de sa détermination, même si je n’en ai jamais douté un instant. Je la laisse prendre un mètre d’avance avant de me décider à lui emboîter le pas. Mes mains gelées s’accrochent de toutes leurs forces aux cordes. Et comme un idiot, je ne peux m’empêcher de regarder en bas. Je suis aussitôt pris d’un vertige. Je me mets à trembler de partout. Je fais tanguer malgré moi le pont. Surprise, Céline hurle. Elle se retourne et me lance, sur un ton que je ne lui connais pas :

– Tom, tu te fous de moi ! C’est pas le moment de s’amuser !

C’est la première fois que je l’entends me parler ainsi.

– Ah, parce que tu crois que ça m’amuse !!! Désolé, mais je suis incapable de bouger le moindre doigt. Continue sans moi, je savais que ça allait mal finir pour moi et…

– Ferme là, idiot et avance !

Son ton est ferme et sans appel.

*Céline*

Je ne peux pas laisser Tom ainsi, j'ai conscience qu'il est tétanisé et que ce n'est pas raisonné. Hors de question qu'il s'arrête et qu'il reste planté au milieu de nulle part. Il ne maîtrise pas ses émotions. S'il savait que je suis autant effrayée qu'il peut l'être. Il faut que je trouve les mots qui pourront l'apaiser ou tout au moins l'aider à se projeter vers l'inconnu qui nous enveloppe peu à peu. La brume se fait plus dense encore quelques secondes et il disparaîtra. Je ne veux pas revivre toujours le même cauchemar, voir ce que j'aime s'évanouir sans intervenir. Pour transpercer les murs invisibles que la nature vient d'ériger, je ne peux contenir mon cri :

– Tom, Tom ... écoute seulement mes mots et ferme les yeux. Fais-moi confiance. 

Aucune réponse, seul l'écho de ma voix résonne dans la nuit. Les battements de mon cœur s'emballent, je tremble de toute part et le froid n'y est absolument pour rien. Qui a le plus besoin d'aide ? Assurément c'est moi mais comment pourrait-il en avoir conscience ?

– Tom, si tu m'entends il faut que tu saches une chose je ...

Le vent se lève et emporte avec lui mes dernières paroles qui se perdent dans le précipice. Je me sens partir en arrière, mes doigts serrent la corde seul lien encore visible et possible nous reliant l'un à l'autre. Je ne comprends pas ce qui se passe. 

– Tom, si tu m'entends, tiens toi prêt. Ne me demande rien. 

Je ressens toutes les énergies qui m'entourent. Celles-ci viennent me pénétrer. Mes pieds sont ancrés dans le bois qui compose le pont et mes mains puisent une force insoupçonnée dans la corde tressée. Tout accélère et Tom se matérialise devant moi en un battement de cils.

– Céline, qu’est-ce qui s'est passé ? 

–Cherche pas, l'essentiel c'est que tu sois là.

– Mais je ne comprends pas, comment as-tu fait ça ?

– Je n'en sais rien, suis-moi quelque chose me dit qu'il ne faut pas traîner plus longtemps ici. 

Sans réfléchir, je saisis sa main. 

– Ferme les yeux s'il te plaît.

- Et qui est-ce qui m'a dit arrête de t'amuser ? Tu penses que c'est le moment de jouer à Colin Maillard. 

Je me hisse sur la pointe des pieds pour déposer un baiser sur sa joue et lui susurrer à l'oreille.

– Maintenant.

Sans hésiter je le vois baisser les paupières. Je le serre fort contre moi et viens poser ma tête sur son torse. Dès que je le sens pleinement relâché et que nos respirations ne font qu'une, je l'aide à avancer pas à pas. Dans le silence de la nuit, tels des fantômes nous progressons. À chaque inspiration nous accélérons et à chaque expiration nous ralentissons. La destination est proche, plus qu'un mètre. Une fois le pied sur la terre ferme, épuisée je m'effondre dans la neige entraînant dans ma chute Tom qui surpris laisse échapper un juron.

Allongés côte à côte, nous observons les étoiles, la brume s'est évaporée. Le sommet n'est plus très loin, nous accordons à nos corps cette pause salutaire. Nos mains ne se sont pas lâchées. 

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