En ce moment, je suis bien loin de ma maison de mots. La cendre dans la cheminée est sans doute toute froide, les rideaux pleins de poussière, les fantômes eux-mêmes doivent mourir pour la mille et unième fois. Il doit y avoir là-dedans une odeur de renfermé et de soupirs retenus, comme après de longues vacances, après un long exil.

   Je ne sais pas.

   Car tout est menacé, toujours et partout, et ma maison de mots aussi peut disparaître car j'en suis responsable et je suis loin, bien loin d'elle. J'ai déjà eu peur de me perdre. Le monde a déjà bien souvent failli m'engloutir tout entière, et si j'ai toujours retrouvé le chemin, la porte bleue, la poignée d'or, les murmures de fantômes et les pissenlits invincibles, et tout ce qui compte, je ne peux pas m'empêcher de me demander, lors de toutes mes errances : et si c'était la fois de trop ? Car, parfois, dans ces trop longues aventures, je me demande si ma maison de mots est encore debout ; si elle m'attend quelque part, si je saurais retrouver le chemin, si je n'ai pas perdu la clé, par hasard (on ne sait jamais), si on ne m'a l'a pas volée à force de me répéter que je ne savais ni lire, ni sentir, ni aimer, ni m'émerveiller. Il y a des nuits que j'ai passées à gratter sur le seuil comme une bête assoiffée, sans oser entrer, sans entendre, de l'autre coté, quoique ce soit qui clapote. Il me semble qu'autour tout est mort et j'entretiens la peur secrète que dedans...

   Alors je me retourne sous l'orage et je griffonne quelques signes comme une empreinte pour me rappeler de ne pas oublier d'où je viens, au cas où, pour pouvoir rebrousser chemin. Je n'ai jamais su marcher droit et les arbres qui me surplombent sont couverts de béton et de dents ; je frissonne et je languis pour la maison, la seule qui vaille.