Lèvius - 1.1

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La lumière avait décliné aussi vite que l’attention du Baron Devràn.

Lèvius se trouvait assis derrière son bureau d'où il pouvait observer les grandes fenêtres de la pièce ainsi que la pénombre qui régnait à l'extérieur. Les épais carreaux formaient comme une muraille infranchissable face à l'obscurité qui ne demandait qu'à avaler le bureau. La tombée de la nuit s’était lentement, mais inlassablement répandue sur Aldius pour en prendre entièrement possession sans que Lèvius ne s’en rende vraiment compte. Sa réunion s’était étirée en longueur de manière bien inattendue, par-delà le coucher de l’astre flamboyant de Céresse.

Seules les deux lunes étaient maintenant visibles au travers des nombreux nuages.

Le grand luminaire qui dominait les occupants de la riche pièce ne luttait d’ailleurs pas seulement contre les ténèbres qui prenaient la cité nation juste derrière les vitres, mais bien aussi contre les mines sombres et solennelles qu’arboraient les membres de cette réunion de crise. Car d’une crise, il en était bien question. Les nouvelles n’étaient pas bonnes, ni les discussions qui en découlaient.

Cette œuvre d’art qui dominait la pièce se voyait toute parée de cristal de Vüllaryn*. Les invisibles réservoirs d’huile se trouvaient camouflés par l’acier forgé de main de maître tels les bras noueux d'un arbre. Le léger sifflement trahissait toutefois bien leur présence. Leur office était visible derrière les belles ampoules de verre qui retenaient les tempêtes de feu qui créaient des halos de lumières orangées. Ces points de clarté se voyaient uniquement blanchis par la parure décorative qui recouvrait l'objet telle une robe d’un blanc inégalable pour offrir une lumière à la hauteur de la noble demeure.

Cet impeccable lustre aux moindres parties nettoyé et briqué était un objet de collection inestimable, un de plus dans le véritable petit musée qui entourait les trois hommes présents.

Cette pièce, toute particulière, était ainsi le fruit de toutes les petites mains de l’Empire d’Aldius. Combien de discussions politiques Lèvius avait-il menées sous son éclairage salvateur… Combien de Barons s’étaient précédés dans cette pièce qui lui était si chère ? Trop pour les citer de mémoire. Le Baron Devràn se voyait à l’adolescence dans le même siège qu'occupait Horace a écouté sans vraiment le faire l'ancien Baron Devràn énumérant la longue liste de ses soucis politiques. Tout comme lui à présent :

— Et qu’on dit nos sources à ce sujet ?

— Rien, répondit simplement le capitaine Braggs.

Le milicien d’habitude serein se trouvait mal à l'aise face à sa propre réponse. Il percevait la déception de son Baron qui appréciait toutefois son honnêteté toute naturelle. Lèvius se mit alors à observer les différents documents qui parsemaient la surface de son robuste bureau pour oublier cette déception. Son regard sérieux balayait les lettres et comptes rendus de son réseau d’informateurs, en vain.

La moindre nouvelle était devenue rare ces dernières semaines, les sources se réduisaient comme peau de chagrin. La cité nation d’habitude si bourdonnante de nouvelles et autres ragots s’était mue en une entité plus que fantomatique. Une masse muette dont le Baron n’en tirait définitivement plus rien.

En une tentative pour montrer toute sa bonne volonté, Braggs reprit la parole en s'éclaircissant la voix.

— J’ai (hum), bien évidemment poussé les recherches, mais nos miliciens sont tenus à l'écart du quartier en question.

— Et pas que, coupa le Baron Ryther. Certains bâtiments officiels se trouvent également entourés par des miliciens affiliés à l'opposition qui en bloquent l’accès à nos propres gens. Je dirais simplement qu’une chape de plomb se pose autour de nous dans le plus grand des silences. Et ce, de la plus inquiétante des manières.

Lèvius observait son confrère de l’assemblée formuler son amer constat. Horace Ryther se voyait habillé de son habituel trois pièces, le tissu noble contrastait avec la laine amalgamée quasi omniprésente dans tout Aldius avec les légions de fonctionnaires et gratte-papier. Cela était d’ailleurs directement visible par l’uniforme du capitaine de la milice à ses côtés qui faisait bien pâle figure malgré les épaulettes dorées qui rajoutaient un tant soit peu de richesse au tout.

Le confrère de Lèvius était avachi de manière nonchalante malgré son titre sur l’un des sièges nobles bordant le bureau. Le capitaine Baggs quant à lui se tenait debout et droit comme un I. Horace avait un air désabusé, il fixait le Baron Devràn en pleine réflexion.

Déjà des semaines que les événements de la course avaient eu lieu et aucune découverte notable n’avait été faite quant aux explosions. Lèvius n’était pas dupe, depuis les barges tribunes, il avait observé les détonations fleurir dans le quartier Jeandain. Là où son fils avait porté son enquête. Et que dire du Magister Devràn disparu depuis lors avec sa consœur.

Avait-il poussé son propre fils à la mort ?

Le doute assaillit le Baron le temps d’un instant, juste assez pour être perceptible des autres occupants de la pièce. Cependant, Lèvius ne les laissa pas cogiter plus que de raison face à cela et reprit la discussion :

— Je suppose également, capitaine, que le collègue de Villanium n’a pas retrouvé la trace de mon fils…

— Non monsieur, leurs recherches sont toutes aussi vaines que les nôtres.

— Misère, fit Lèvius en soufflant de dépit. Des magisters ne peuvent disparaître comme ça sans laisser de traces !?

Le Baron avait la machoire crispée à présent debout soutenue par sa fidèle canne.

— Si nous voulons la vérité sur les récents événements, j'ai bien peur que ce soit eux qui nous en donneront. Enfin, s'ils ne sont pas déjà morts.

— Très réconfortant Horace.

Il leva la main en simple signe d’excuse. Un silence des plus lourds prit possession du bureau jusqu'au constat du Baron Ryther qui s’était redressé pour s’approcher de Lèvius.

— Il semblerait que nous ayons été battus par notre adversaire, il faut se rendre à l'évidence. Nous sommes aveugles face à leur machination. Nous n’avons plus l’initiative que ce soit à l'assemblée ou à l'extérieur.

Une rage insidieuse se répandait en Lèvius, les derniers mois l’avaient poussé à la méfiance. Un simple épisode de paranoïa pour sa femme ou ses soutiens a l’assemblée. Mais il avait eu raison d’adopter ce comportement, tout le montrait bien maintenant.

Les machinations prenaient forme sans que le Baron Devràn ne puisse voir clairement quoi. Il semblait participer contre son gré à une représentation portée sur sa personne en étant bien évidemment pied et poing lié. Ou plutôt aveugle et sourd dans le cas actuel. Un homme ne pouvait espérer un futur s'il avançait dans le noir. Il en était bien conscient, et pourtant, il en était réduit à ça.

Avec la tension qui prenait le bureau, les rôles devenaient échangés entre les deux Barons. Lèvius d’habitude calme et tempérée se voyait pousser dans ses retranchements. La colère, la haine commençaient à prendre possession de ses pensées, de son esprit. À grignoter toujours plus de terrain. L'habituelle sérénité de Lèvius se trouvait absente au grand dam de ses invités.

Face à son impuissance actuelle, Lèvius brouilla l’une des frêles missives et frappa la table de son poing fermé. L’action aussi étonnante que soudaine fut uniquement oubliée du capitaine et d’Horace par le bruit mécanique qui se mit à résonner juste après.

L’horloge qui bordait les bibliothèques bien fournies du lieu de travail sonnait. La grande pièce décorative en bois qui s’étendait avec grâce en hauteur faisait résonner son carillon en annonçant le passage de l’heure. Le son pur tintait avec force.

Sur la partie supérieure, un complexe jeu d’Automate se mettait en branle.

Juste sous le cadran blanc et ses aiguilles dorées qui indiquaient les dix-heures, deux minuscules portes s'ouvraient. Un carrousel se mit à fonctionner, des figurines miniatures sortaient en des rangs impeccables tels des soldats de l’Empire. La parade miniature était nette, les personnages se mouvaient en rythme. Les artisans d’Aldius avaient fait un travail d'orfèvre sur cette quasi-œuvre d’art. Lèvius aurait aimé en dire autant de ses informateurs.

Quittant du regard ce spectacle dont il était déjà trop familier, il rapporta son attention sur le milicien.

— Capitaine, laissez-nous seuls.

Braggs salua de manière militaire les deux nobles en faisant claquer ses bottes. Braggs s'éclipsa ensuite en veillant à fermer avec le plus grand soin la porte du bureau.

Pour calmer la tempête qui grondait en lui, Lèvius se mit à penser au plus rapide des remèdes qu’il connaissait. Une habitude qui n’était pas des plus apprécier de sa femme, mais qui par contre ne pouvait déplaire à son ami. Le Baron fit un signe à son homologue pour le rejoindre vers les luxueux canapés de cuir de la pièce. Horace ne perdit pas un instant.

Lèvius une fois arrivé se sépara de sa canne en prenant place dans le siège de cuir à la couleur brune d’un vernis impeccable. Il profita de ce confort qui lui fit perdre momentanément toutes ses préoccupations.

Horace, qui échangea un regard avec lui comme pour rechercher son approbation, se mit à remplir les verres présents sur la petite table qui les séparaient. Par la même il inaugura l’eau-de-vie présente. La bouteille de Morpin* était pleine et juste décachetée. Lèvius avait un faible pour ces alcools vieillis des quatre coins de l’Empire. Chacun avait son propre goût, son propre caractère comme les peuples qui composaient l’Empire et ses colonies.

Après avoir trinqué de leur verre légèrement rempli, les deux hommes n’échangèrent pas de suite des mots. Ils appréciaient le goût corsé de la liqueur ambrée. Les notes recherchées de cette bouteille tout droit venue des vastes caves du manoir.

La liqueur laissait son bouquet complexe s’épanouir dans la bouche du Baron. Il se mit également à sentir les effluves que laissait échapper son verre. Le goût de la boisson était corsé et brut. Forte. Il y avait cet univers boisé qui se présentait à Lèvius en rappelant un arrière-goût de résineux comme ceux qu’il avait découverts dans les colonies du nord de l’Empire.

Lèvius laissait son ami profiter de ce moment de calme, son titre et sa fortune lui avaient permis également de devenir amateur de telles boissons, il le savait bien. Entre deux gorgées, Horace sortit une lettre qui avait dû traîner depuis trop longtemps dans les poches de son manteau au vu des pliures qui décoraient les coins du papier.

D’une main, le Baron Ryther profita de ce moment pour lire les paragraphes de sa lettre avec attention, de l’autre, il tenait son verre pour boire lentement le Morpin qu’il contenait.

— Un rapport ? s’aventura à demander le Baron en sirotant son propre verre.

Horace lui lança un regard avant de ranger le courrier en s'enfonçant dans son siège.

— Des nouvelles “fraiches” du front.

— Ha, fit simplement Lèvius. Que te rapporte donc cette lettre sibylline du nord ?

Horace grinçait des dents, les nouvelles ne devaient pas être bonnes. L'avaient-elles déjà été ces dernières années ? Bien sûr que non, mais quelque chose avait changé récemment. Le Baron Ryther n’agissait plus comme à son habitude. Il ne formulait pas de mots, mais son attitude et son phrasé quant à la guerre avaient changé.

*

Vüllaryn : Le cristal de Vüllaryn est un verre rare façonné dans les colonies du désert de cendre. S'est dans ces régions difficiles de l'Empire que des artisans ont pu mettre au point une fonte amalgamant différentes pierres ainsi que du plomb pour sortir de leurs fourneaux une matière aussi noble que translucide.

Morpin : Morpin est le nom générique donné à un ensemble d'eaux-de-vie fabriquées par distillation de céréales maltées ainsi que de sève de conifères. L'origine du Morpin est encore aujourd'hui sujette à controverses, mais ses racines les plus anciennes remontent aux colonies de Breddas, Laveau ou encore Orhme

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