Troisième voyage (17) — Conclusion

18 minutes de lecture

Hélène Gretel

 Les portes de la remise se referment derrière moi. Je prends une grande inspiration en ignorant le son métallique du vieux battant. Ce nouvel air suffit à m’apporter fierté et satisfaction. Après tout, je viens de réussir une épreuve, et pas n’importe laquelle ! J’ai voyagé au sein de mes souvenirs, oubliant mon moi présent de nombreuses fois. Mais peu importe le temps, j’ai su me retrouver plus puissante que la fois précédente. C’est comme si j’étais né plusieurs fois durant cette traversée. Et maintenant, je me tiens debout, victorieuse face à cet esprit à tout faire. Je me demande ce qu’il a pensé de moi pendant ce long moment. J’aurais aimé, au même titre que lui, partager ses émotions, mais j’ai conscience que cela aurait ruiné l’épreuve.

 Qui plus est, je ne ressens aucune gêne. Certes, mon passé lui a été révélé, cependant, je suis contente que ce soit lui qui l’ai observé. Je me demande depuis combien de temps je lui fais autant confiance. C’était le but de son marché, et pour moi, il est réussi.

  • Et vous, Gaston, me faites-vous confiance ?

Je n’ai même pas besoin de lui expliquer mon ressenti, il l’a sûrement compris. Après tout, la fiole est toujours contre ma poitrine.

  • Je vous fais confiance, répond-il sobrement.

Je suis un peu déçue de cette réponse. Certes, c’est Gaston, mais je m’attendais à le voir plus chaleureux. Après tout, ce n’est plus comme si nous étions des étrangers.

 Tiens, j’avais totalement oublié, il manque quelqu’un avec nous ! Où est-elle ? Cette petite lapine qui avait toujours le mot pour me faire sourire.

  • Dites, où se trouve Alice ?
  • Elle est prise par le travail.
  • Je vois.... Dommage, j’aurais aimé la revoir.
  • Sa présence n’est pas nécessaire pour conclure notre marché, je suis l’unique personne dont vous avez besoin.
  • Très bien, répliqué-je en grimaçant.

Il était obligé de le dire de manière aussi prétentieuse ?

  • Par ici, me fait signe Gaston, suivez-moi.

 J’obéis en accompagnant le balayeur à travers les couloirs de l’auberge. Sur le chemin, je jette un léger coup d'œil à l’extérieur. La nuit à l’air d’être présente depuis un bon moment, et vu la couleur de l’horizon, l’aube ne devrait pas tarder.

 Il faisait jour lorsque je suis rentrée dans la remise, je me demande depuis combien de temps je suis restée à l’intérieur. Et surtout, je ne ressens aucune fatigue, aussi bien mentale que physique. Tout me semble si différent d’auparavant. Dans mes souvenirs, je ressentais la faim, le besoin de dormir. Et là…

  • Hélène ? Que se passe-t-il ?
  • Rien, je réfléchissais juste.
  • Au point de vous attrister ?
  • Comment…
  • La fiole, me coupe Gaston.

Ah, oui, c’est vrai ! Pour le coup, je regrette vraiment de ne pas l’avoir retiré.

  • Gardez là, m’ordonne-t-il, je tiens à ce que vous la conserviez.
  • Pour pouvoir m’espionner de l’intérieur ?
  • Dites-moi ce qui ne va pas.
  • Répondez à ma question avant !
  • Et vous répondez à la mienne ! Pendant que nous avons encore le temps…

Je sursaute en l’entendant hausser le ton. Je ne m’attendais pas à ça…

  • Alors ?
  • Un instant, râlé-je. Je réfléchissais au mal de temps, c’est tout. Dans mes souvenirs, je n’avais pas ce problème. Je pouvais vivre normalement, alors que là… j’ai l’impression de ne plus être vivante. Comme si j’étais présente... juste présente.
  • Je vois.
  • Mais vous ne pouvez pas comprendre, n’est ce pas ? Après tout, vous n’avez jamais voyagé.
  • C’est vrai, mais j’ai connu quelqu’un qui avait le même ressenti que vous.

Vraiment ?

  • Vous faites référence à un autre voyageur ?

L’esprit à tout faire fait non de la tête avant de me tourner le dos.

  • Ma femme, répond-il en reprenant sa route.

Je reste bouche bée en écoutant sa réplique. Une femme... Gaston ?! Comment a-t-il pu se dégoter une compagne avec un caractère pareil ?!

  • C-C’est vrai ?! Vous êtes marié ?!
  • Étiez.
  • Ah… vous avez divorcé.
  • Pas du tout. Disons juste qu’elle est partie trop tôt.
  • Oh… euh… pardon.

Quelle idiote, j’aurais dû arrêter de lui poser avant de ruiner l’atmosphère. Mais dans un sens, il faut dire que je ne sais presque rien de lui. Par contre, quelque chose me turlupine. Si sa femme a eu un ressenti similaire au mien concernant le mal de temps, alors qui pouvait-elle être ? Je suis sûre que Gaston ressent ma curiosité en ce moment, et pourtant, il continue son chemin sans y porter attention. J’imagine que le sujet lié à sa compagne doit être épineux.

  • Nous y voilà, entrez dans cette pièce, je vous prie.

J'exécute sa demande en m’asseyant sur l’un des deux coussins de cette salle. Je sursaute de joie en apercevant mon sac à ma droite. Sans attendre, je le traîne jusqu’à mes genoux avant de l’ouvrir. Je prends le soin de retirer prudemment une partie des objets pour vérifier que rien n’a été oublié. Tiens ? Qu’est-ce que ces boîtes font là-dedans ?

  • Cela vous plaît-il ? me demande Gaston en prenant place sur le deuxième coussin.
  • Je pensais que vous aviez conservé mes bagages juste pour prendre de la nourriture, pas pour en déposer !

Mince, le ton de ma voix n’avait rien de reconnaissant.

  • Pardon, je veux dire… Merci. J’apprécie le geste.

Même si je n’ai pas d’appétit pour engloutir ces petites salades…

  • C’est la moindre des choses, dit-il avec une petite mine, j’espère qu’elles seront à votre goût.
  • Vu vos compétences, je n’en doute pas.

Un silence gênant s’installe après ma dernière réplique. Aucune réponse ne sort des lèvres du balayeur. Son visage reste de marbre, sans exprimer la moindre émotion. Je n’aime pas cette atmosphère…

  • Euh… commencé-je en cherchant un sujet de conversation. Dites ?

Trouve quelque chose à dire, trouve quelque chose à dire, trouve quelque chose à dire.

  • Oui ?

Je voulais briser le silence, c’est réussi, mais à ce rythme, il risque de revenir. Un sujet de conversation, ce ne doit pas être difficile à trouver. Parler de sa femme ? Non, mauvaise idée ! Je pourrais parler du marché, mais je n’ai aucune envie d’accélérer mon départ. J’aime cet endroit et, surtout, ses habitants. Je voudrais profiter de leur présence jusqu’au dernier moment, malgré ma quête et mes responsabilités. Dans l’idéal, je voudrais retrouver le Désastre aux côtés d’Alice et de Gaston. Malheureusement, sans mon navigateur, il m’est impossible d’emmener quelqu’un d’autre avec moi.

  • Puis-je vous demander quelque chose, Hélène ?

Cette question ne pouvait pas mieux tomber !

  • Bien sûr, je vous écoute.
  • Que comptez-vous faire après votre départ ?

Ses paroles suffisent à me plonger dans une intense réflexion. Il est vrai que mon objectif en arrivant ici était de trouver le Désastre et reprendre ma mission à ses côtés. J’étais poussé par le désespoir, cherchant à récupérer ce que l’on m’avait dérobé. Depuis toujours, je déteste être seule, et il m'était insupportable de le devenir dans un espace aussi grand que l’Univers. Mais depuis ma rencontre avec Gaston et Alice, ainsi que cette traversée dans mes souvenirs, je commence à voir les choses sous un autre angle.

 L’intervention de Taxus dans l’académie sous-marine n’était pas un simple aléa du voyage, elle devait arriver. Grâce à mon passé, je connais ses motivations et la pression qui la pousse à se mettre sur mon chemin. Jahan est la cause de tout ceci. Dire qu’il a fallu une simple amnésie pour oublier un détail aussi crucial. L’Univers ne va pas bien, non, il est odieusement menacé. Est-ce que les autres voyageurs sont au courant d’une telle vérité ou seule l’Évolution en a conscience ? Et Ginkgo, pourrait-il savoir ? Lui, qui poursuivait la Source pour des raisons qui me sont encore inconnues, serait-il lié à cette affaire ?

 Et moi, là-dedans, où est ma place ? Je suis, selon cette horrible peluche, le "joker". Est-ce un rôle attribué par défaut ou possède-t-il une importance ? Taxus, était-elle au courant lorsque nous nous sommes vues dans cette académie ? M’a-t-elle reconnu ? Lors de ce deuxième voyage, elle m’avait laissé en vie dans ce monde à cause de l’ordre dicté par la Naissance. Mais… si l’Évolution voulait vraiment me tuer, pourquoi ne m’a-t-elle pas emmené dans une autre annexe de l’Univers pour le faire ? Qu’est-ce qui l’en empêchait ? Elle avait toutes les raisons du monde ! J’étais lié à son ennemi et ma présence engendre des malédictions. Du point de vue de cette Source, c’est comme si je participais aux desseins de Jahan. Et l’Avarice là-dedans ? Pourquoi s’est-elle interposée ? Aurait-elle trouvé les actions de Taxus injustes ? Ignorait-elle tout de la menace ?

 Plus j’y réfléchis et plus je me perds. Quel que soit l’angle avec lequel je regarde cette situation, c’est comme si j’étais à part de tout cela, bien que je sois impliqué jusqu’au cou. C’était pareil lorsque j’avais huit ans, j’ai rencontré une Source, un voyageur et une malédiction, alors que ces phénomènes sont extrêmement rares ! Minute, et si c’était justement ça, le message caché derrière mon rôle ? Dans un jeu de cartes, le joker est à part et pourtant… il est là. Bon nombre de parties s’en passent, mais il finit toujours dans le paquet avec les autres cartes.

  • Hélène ? Tout va bien ? Si ma question est trop difficile, vous n’êtes pas obligé d’y répondre.

Je sursaute en entendant la voix du balayeur. Pendant un instant, j’avais oublié que j’étais ici avec lui.

  • Il faut pourtant que je sache quoi faire, je ne peux pas partir sans but clair en tête.
  • C’est vrai. En revanche, vous n’aurez pas ce privilège, surtout lorsque le temps est derrière vous.

Que veut-il dire par là ?

  • Quel temps ?
  • Ce n’est pas grave, concentrons-nous sur l’essentiel. Si vous avez du mal, alors laissez-moi vous aider.

Pourquoi cherche-t-il à esquiver ce sujet ? C’est étrange....

  • Vous voulez toujours retrouver votre partenaire, Hélène ? me demande Gaston.
  • Oui, ce souhait ne change pas ! Mais je me demande si c’est pour le mieux.
  • Que voulez-vous dire ?
  • Si ma présence risquait de lui causer des torts envers lui et les autres, alors…
  • Et vous là-dedans ? Vous êtes prête à vous sacrifier pour le bien commun ? Comme si vous comprenez tout et que vous savez où se trouve votre place ?

C’est justement ça le problème.

  • Je ne sais pas où se trouve ma place.
  • Alors trouvez là. Écoutez vos désirs et essayez de les atteindre. Peut-être que ces derniers causeront du tort à d’autres, mais sachez qu’un nombre incalculable de personnes le font sans se soucier d’autrui. Que ce soit pour atteindre la richesse, le pouvoir ou l’être aimé, ils sont prêts à employer tous les moyens pour y arriver. Et vous avez le droit de le faire, soyez égoïste et faites les choses que vous souhaitez réaliser. Vous voulez retrouver votre partenaire ? Faites-le. Vous voulez sauver l’Univers ? Allez-y.
  • Vos paroles sont bien belles, Gaston. Mais dans le cas présent, ce n’est pas possible de concilier ces deux souhaits.
  • Vous voilà devenue bien pessimiste, ne vous a-t-on jamais dit que tout était possible dans l’Univers ?

Ces mots… Il est vrai que je les utilisais souvent, y compris aux côtés du Désastre.

  • Rejoignez-le, Hélène, votre partenaire vous attend.

Cette dernière phrase suffit à m’émouvoir, faisant perler les larmes sur mes joues. Mon cœur se serre, tandis que mes mains s’accrochent à ma poitrine. C’est vrai, comment ai-je pu oublier la volonté de Gangrène ? Lui qui se retrouve seul aux côtés de Taxus, sans avoir eu son mot à dire. Nous étions proches avant notre séparation et je lui avais promis de trouver un moyen de le guérir. Je veux que mon partenaire soit heureux et vive dans un avenir sans douleur. Peu importe qu’il soit un être repoussant, je le pense sincèrement. Son corps n’est rien comparé à sa gentillesse et son sourire est bien plus étincelant que n’importe quel diamant. Je veux le revoir et continuer à voyager à ses côtés !

  • Merci Gaston, dis-je en essuyant mes larmes, c’étaient les mots qu’il me fallait.

La suite du voyage s’annonce compliquée, mais je n’abandonnerai pas pour autant ! Je trouverai ma place sur ce long périple aux côtés d’un Désastre souriant.

  • Je vous en prie, dit-il avec une mine joyeuse avant de retirer ses lunettes sombres.

Je contemple la vue qu’offrent ses yeux découverts, illuminés par la lumière de l’aube s’échappant par les fenêtres. Ses iris sont teints d’une couleur jaune tachés de marron, comme le seraient ceux d’un fauve. À présent, je comprends mieux pourquoi il ne se qualifiait jamais comme étant un homme. Gaston est un monstre, mais seulement de nature.

 Cette démonstration illustre très bien la confiance qu’il me donne. Durant la traversée dans le temps, Gaston a pu me voir telle que je suis, sans le moindre masque. Lui aussi souhaite se dévoiler de la sorte, afin que je puisse l’observer purement et simplement. Ma lèvre inférieure tremble, je le ressens au plus profond de moi. Cette action, qui est la sienne, marque la fin de mon troisième voyage. Nous sommes tous les deux confiants l’un envers l’autre et bientôt, nous nous déclarerons nos adieux.

  • L’aube se lève, il ne me reste plus beaucoup de temps, dit-il tout bas.
  • Que voulez-vous dire ?
  • Vous le saurez bien assez tôt. En attendant, je vais vous donner le moyen de contrôler la méthode initiale.

Je hoche la tête d’un air inquiet, les agissements de cet esprit à tout faire me perturbent, je n’aime pas ça.

  • Je vais aller à l’essentiel, vu que vous savez voyager par vous-même. Le moyen pour diriger la méthode initiale est très simple, vous devez vous accrocher à une sensation familière en rapport avec la personne que vous cherchez.
  • J’ai du mal à vous comprendre, pouvez-vous être plus clair ?
  • Votre corps et votre esprit se rappellent bien de votre partenaire, et ce, grâce à vos sens. Que ce soit son odeur ou les sensations qu’il vous procurait par le biais de diverses émotions.
  • Donc si je les ai durant ma traversée, ils me feront atterrir dans le monde où se trouve le Désastre ?
  • En théorie, oui. Je n’ai jamais testé cette technique.

Logique.

  • Et si je peux me permettre, déclare le balayeur, ne cherchez pas à faire la sainte.
  • Quoi ?
  • Si les sensations les plus puissantes que vous ressentez à son égard sont associées à des sentiments négatifs, utilisez-les. La traversée n’en sera que plus précise. Ne cherchez pas à vous mentir.

J’esquisse une légère grimace en écoutant le conseil de Gaston. J’ai beau avoir du mal à l’admettre, il a raison. Les premières sensations que mon corps et mon esprit associent à Gangrène sont avant tout liées à son odeur et à son aspect repoussant. D’ailleurs, cette pensée envers le Désastre m’amène à une autre interrogation :

  • Je vous remercie pour ce conseil, en revanche, j’ai une question. Je peux retrouver le Désastre, certes, mais comment pourrais-je l’emmener avec moi ? Je n’ai plus de navigateur.

Ce problème m’avait échappé durant tout ce temps, car mon objectif premier était de le trouver. Cependant, compte tenu de l’avenir qui m’attend, je dois être capable de me projeter bien plus loin qu’à nos retrouvailles. La seule personne capable d’ouvrir des portails sans navigateur est Taxus, mais je doute qu’elle accepte de le faire pour mes beaux yeux. J’espère sincèrement que Gaston possède une solution.

  • Vous pourrez, il existe d’ailleurs trois méthodes différentes pour emmener une personne avec vous. Seulement, vous ne pourrez prendre qu’un seul individu.

Cette nouvelle attire toute mon attention sur le visage du balayeur. La joie et l’espoir emplissent mon esprit, nourrissant ma motivation pour un prochain voyage. Je suis vraiment curieuse de connaître ces méthodes !

  • Mais elles ont tout de même un risque, je suis presque sûr que vous n’allez pas les apprécier.
  • Peu m’importe ! Du moment que je peux voyager aux côtés du Désastre !
  • Je vous aurai prévenu, soupire l’esprit à tout faire. Tout d’abord, le secret de ces méthodes reste le même : vous devez vous convaincre que la personne que vous emmenez fait partie de vous.

Rien que cette astuce me paraît compliquée, comment vais-je réussir à tromper mes sens et considérer Gangrène comme étant un morceau de mon être ?

  • Vu votre tête, je comprends que vous soyez perdue, mais n’ayez crainte, ce ne sont pas les moyens qui manquent. D’après les méthodes utilisées par les voyageurs, vous pouvez faire un échange sanguin.
  • C'est-à-dire ? Je dois lui donner mon sang et vice versa ?
  • Tout à fait, c’est un moyen simple, mais efficace.

Et dangereux si l’on ne fait pas attention. Si nos groupes sanguins ne s’accordent pas, j’ai peur du résultat. Minute, il y a moyen que le panel de gènes lié au sang soit totalement différent entre les mondes.

  • Et la deuxième technique ?
  • Vous ne pourrez pas la faire.
  • Et pourquoi donc ?
  • Le mal de temps vous en empêche, tout simplement.

Il ne pourrait pas être plus clair ?

  • Puis-je au moins savoir à quoi elle consiste ?

Sans attendre, Gaston positionne ses mains devant mon visage. À l'aide de sa main gauche, il forme un cercle qu’il comble à l’aide de son majeur droit.

  • Que...

Dites-moi que j’ai seulement les idées mal placées.

  • Vous voulez un dessin ? me demande-t-il tout doucement.
  • Dites moi juste pourquoi le mal de temps est un obstacle !
  • En plus de vous empêcher de vieillir, il vous interdit de vous reproduire ; et par conséquent, vous prive de la moindre libido.

Donc c’était bien ce que je pensais. Dieu merci, je n’aurais pas à le faire avec Gangrène !

  • Ah la la, quel dommage que je ne puisse pas le faire, maudit soit ce mal de temps ! m’exclamé-je en dissimulant ma joie. C’est vraiment pas de chance !
  • Rassurez-vous, me répond Gaston avec un petit sourire, il reste une troisième méthode. La plus complexe, mais la moins dangereuse pour vous.
  • Laquelle ?

Pitié, faites que ce soit moins tordu que la deuxième !

  • Vous devrez vous convaincre avec votre cervelle. Imaginez que votre partenaire n’est qu’une simple extension de votre corps.

Effectivement, cela parait compliqué, mais bien plus accessible pour moi.

  • C’est tout ? Vous n’avez pas une astuce en stock ?
  • Bien sûr que si j’en ai une. Vous devez accorder votre pouls et votre respiration avec celle de votre partenaire, sans oublier de coller vos lèvres contre les siennes.

Je m’étouffe en entendant la fin de la phrase.

  • Décidément, l’échange sanguin semble être la meilleure solution, marmonné-je après avoir repris mon souffle.
  • Hélène, faites un effort.
  • Non, hors de question !
  • Dites vous que c’est uniquement pour vos voyages, qu’il n’y aura pas de sentiments derrière.
  • Évidemment, ce n’est pas ça le problème ! Au cas où vous ne le sauriez pas, le Désastre possède des nécroses sur l’ensemble du corps et je n’ai aucune envie d’avaler un bout de sa langue !

Littéralement.

  • Je n’ai jamais dit que vous devrez vous servir de votre langue.
  • Ne changez pas de sujet, que ce soit une langue, une dent, c’est la même histoire ! Surtout que son odeur est… Non, vraiment, nous sommes bien trop différents pour que je puisse le considérer comme étant un morceau de moi-même.

Gaston hausse les épaules en entendant ma réplique.

  • Cherchez autant d’excuses qu’il vous faudra, elles ne vous aideront pas le moment venu.
  • J’utiliserai l’échange sanguin, c’est tout.

En espérant qu’il fonctionne !

  • C’est vous qui décidez, soupire Gaston.

Je grimace en laissant échapper un petit grognement. Cette idée ne me plaît pas, c’est vrai, en revanche, je n’aurais pas le choix d’utiliser cette technique si l’échange sanguin est impossible. Voyager aux côtés du Désastre est mon souhait et je veux y parvenir par tous les moyens... même les moins ragoûtants.

 La lumière de l’aube s’intensifie, éclairant d’une lueur réconfortante la pièce dans laquelle nous sommes. Les grains de poussière, désormais visibles, dansent au gré de nos respirations. Mon regard se pose discrètement sur Gaston, la tristesse envahit son visage.

  • C’est la fin, déjà… murmure-t-il.

Je reste bouche bée devant cette scène, saisie par une sensation familière. Depuis le début, les employés de l’auberge me cachaient quelque chose, qui, selon eux, ne me concernait pas. Au final, je n’ai eu que peu d’informations, et j’ai tout de même fini par ignorer le sujet. En revanche, il y a cette phrase d’Alice que je n’ai pas su oublier :


“Demain, au lever du soleil, l’auberge est finie.”


Dès l’instant où je suis sortie de la remise, je n’ai vu personne mis à part Gaston. L’aube s’est levée et le lendemain est arrivé. Ce qui veut dire que cette lapine est...

  • Alice ne travaille pas, pensé-je tout haut. Elle a démissionné, n’est-ce pas ?

L’esprit à tout faire hoche la tête d’un air sinistre avant de me répondre.

  • Je m’excuse à sa place, elle aurait aimé vous donner ses encouragements.

Si c’est le cas, alors pourquoi n’est-elle pas restée ? Le soleil n’était pas levé et Gaston m’a même dissimulé son départ, pourquoi ? Que se passe-t-il ici ?

  • Dites-moi la vérité, pourquoi est-elle partie aussi vite ? Pourquoi m’avoir caché la vérité et pourquoi avoir attendu jusqu’à aujourd’hui pour prendre la place du patron ?

Des larmes s’écoulent des yeux du balayeur tandis qu’un sourire tremblotant prend place sur ses lèvres.

  • Parce que c’est la fin, tout simplement. Ce monde se termine aujourd’hui.
  • Quoi ? Mais ce n’est pas possible ! Un monde ne peut pas se finir si soudainement !
  • Il le peut, lorsque l’on effectue certaines actions. Par exemple, un voyage dans le temps.

Non, c’est faux !

  • Cessez de mentir, Gaston ! Nul ne peut voyager dans le temps, même les Sources en sont incapables !
  • Croyez-le ou non, Hélène, j’ai rendu cela possible. J’ai créé une machine capable de cette prouesse et nous en payons maintenant le prix. Elle n’a fonctionné qu’une seule fois, mais le résultat est là. Lorsque l’on modifie le passé, le présent n’a pas d’autre choix que d’être revu et reconstruit. Ce monde-là ne va pas tarder à mourir et sera remplacé par un nouveau.
  • Et vous alors ?! Qu’allez-vous devenir ?!

Ses larmes s’intensifient.

  • Je disparaîtrai. Moi, Alice, mes proches, tous les gens de ce monde partirons à jamais.

Non, je refuse ! Les choses ne peuvent pas se passer comme ça !

  • Alors, voyagez avec moi, Gaston ! Acceptez mon sang et partons ensemble !

Je ne veux pas l’abandonner, pas lui ! Soudainement, l’esprit à tout faire se rapproche de moi. Ses mains saisissent avec ferveur les miennes, tandis que son regard soutient ardemment le mien.

  • Je refuse, ma place n’est pas à vos côtés. Je dois mourir ici.
  • Mais…
  • Hélène, ce ne sera pas la fin définitive. Un autre monde prendra la relève et je prendrai place dans celui-ci, bien que notre rencontre sera effacée de ma mémoire.

Un grondement sourd résonne au loin, faisant agiter le sol sous nos pieds.

  • C’est… commencé-je paniquée.
  • Hélène, écoutez-moi une dernière fois. Je voudrais que vous partiez le plus vite possible. Si vous disparaissez ici, vous ne pourrez pas revenir. Vous ne désirez pas une telle fin, n’est ce pas ?
  • Je… Non, mais vous… tenté-je de formuler.

Ses lèvres s’écartent, me dévoilant toutes ses dents dans un sourire désespéré.

  • Tout ira bien, car j’ai confiance en toi, Hélène. Je voudrais que tu fasses quelque chose pour moi.

Gaston ouvre mes mains tremblantes et y dépose un carnet de notes.

  • Ces pages contiennent mes souvenirs et mes sentiments les plus chers. Je t’en prie, lorsque tu reviendras ici, donne-les au Gaston de ce nouveau monde. Fais-moi vivre à travers lui.

Je regarde le carnet en sanglotant, toujours abasourdie par ces révélations, tandis que l’esprit à tout faire positionne les lanières de mon sac sur mes épaules.

  • Tu es sûr de toi ?
  • Oui, car je te donne toute ma confiance, répond-il en me prenant dans ses bras. S’il te plaît, ne nous oublie pas.

Je lâche un dernier sanglot, le visage contre sa poitrine, avant de préparer ma traversée. Je porte mon attention sur les sentiments que m’inspire le Désastre, malgré l’obstacle du chagrin. Je sens mes sens s’engourdir. Ça y est, le quatrième voyage me tend les bras. Je ferme les yeux puis hurle de tristesse au moment où la force de cette étreinte se met à disparaître, comme si elle n’avait jamais existé. 

 Ne t’en fais pas, Gaston, je ne vous oublierai pas. Je te promets que lorsque l’on se reverra, je te donnerai ce carnet et nous referons à nouveau connaissance, toi et moi.

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