Mémoires monstrueuses (11)

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22 octobre, an X732 (troisième partie)

Mihan, terre des monstres

Gaston


 Je sens le contact de mes doigts sur mon torse. Je sens mon emprise autour d’un corps autre que le mien. Je sens... sa terreur. Je sens une odeur nauséabonde qui emplit mes narines. Je sens la colère et le mépris de cet être qui m’habite. Et surtout, je contemple l’intégralité des scènes qui se présentent à mes yeux. La vue, le toucher et l’odorat me sont permis. En revanche, je n’en dirais pas autant de mon ouïe. Celle-ci est dérangée par un bruit qui m’est affreusement familier.


BZZZZZZZZZZZZZZZZZZ !


 Compte tenu de ma situation, je comprends très bien ce qui m’arrive. Mon corps ne m’appartient plus, quelqu’un d’autre le contrôle. Cette possession est une première pour moi, sachant qu’aucun spectre n’avait la force nécessaire de réaliser cet exploit. Quant à l’esprit responsable de mes actions, je cerne très bien sa nature : l’incarnation du temps. Ce fait est la seule chose dont je suis certain. Pour le reste, je n’ai pas d’explications. Comment a-t-elle pu sortir de sa cage ? Comment a-t-elle pu prendre possession de mon corps ? Pourquoi m’a-t-elle aidé à trouver Lazuli ? Pourquoi agresse-t-elle un soldat qui n’a rien demandé ? Ou encore, pourquoi touche-t-elle ma musculature de manière obscène ?


BZZZZZZZZZZZZZZZZZZ !


 De temps en temps, ce son devient plus fort. Et dans ces moments, la douleur qu’elle m’inflige est telle que j’en perds connaissance. Lorsque je reprends possession de mes sens, je constate que les éléments autour de moi ont changé. Ce phénomène est, malheureusement, de plus en plus récurrent. C’est douloureux, gênant et terrifiant à la fois. À chaque reviviscence, je me retrouve assailli de panique, l’esprit obnubilé par une seule et même pensée : et si je ne me réveillais pas la prochaine fois ?


BZZZZZZZZZZZZZZZZZZ !


 Encore… Je commence sérieusement à être épuisé. Quand cessera ce supplice ? Je veux retrouver le contrôle de mon corps au plus vite ! Tiens ? Je suis dans l’entrepôt maintenant. C’est un soulagement de savoir que je suis chez moi, mais il me manque encore une chose : le contrôle sur moi-même. J’ignore si cette possession est due aux différentes interactions que j’ai eu avec cette femme durant mes “rêves”, mais s’il vous plaît, faites qu’elle s’en aille au plus vite !

 Je sens mon corps verser quelque chose dans une grande cuve d’eau : du sel. Jusque-là, les actions de l’autre suivent mes objectifs. Ce qui est, au moins, une bonne chose. Même la dose incorporée est exacte. Si tout se passe bien, Lazuli devrait… Minute, pourquoi est-ce qu’il flotte dans les airs au gré des mouvements de ma main ?! Dites-moi que je rêve, c’est impossible que je puisse faire une telle chose !

 Mon index amène le corps de la selkie à mes côtés, avant que mes mains ne le déshabillent avec célérité. Dans ce genre de situation, je me sentirais gêné de ne pas pouvoir fermer les yeux. Mais pour être honnête, la haine prend le dessus sur ma honte. La beauté du sergent ne se limite pas à son faciès, elle recouvre l’entièreté de son corps. Il est tellement bien foutu qu’il me donne envie de vomir.

 Mes mains enfilent la peau de phoque autour des épaules de Lazuli, provoquant immédiatement sa transformation. Dieu merci, cette apparence balaye l’ignoble vision qui m’était imposée. Ceci dit, je suis surpris de la forme bestiale qu’adopte la fée. En regardant ce mammifère souriant de manière stupide, j’arrive très bien à reconnaître les traits du sergent. Peut-être l’ai-je un peu trop observé durant nos moments ensemble ?

 Je sens mes lèvres bouger après avoir déposé l’animal dans la cuve. Cette sensation dure un long moment, la personne qui me possède doit en avoir des choses à dire. Pendant ce temps, je vois le visage bestial de Lazuli changer d’expression. Une lueur particulière prend place dans ses yeux noirs, cette expression suffit à me donner de la peine, comme si une partie de ses sentiments m’était communiquée. Après ce petit moment de contemplation, la bouche du phoque s’ouvre, tentant de formuler une quelconque réponse. Qu'essaye-t-il de...


BZZZZZZZZZZZZZZZZZZ !

  • Gaston ? Tu m’entends ?

Je sursaute en écoutant cet appel soudain, le regard faisant le tour de la pièce. Actuellement, je me trouve face à la machine, les doigts posés sur l’armature en métal. La personne m’ayant interpellé n’est autre que Lazuli. Je cligne des yeux en essayant de détruire la présence d’une possible illusion. Ma vision ne change pas. Le sergent est bel est bien devant moi, le teint éclatant et le corps recouvert par ses vêtements sales.

  • Lazuli ? demandé-je déboussolé. C’est vraiment toi ?

Un sourire radieux prend place sur son visage.

  • En chair et en os ! Et c’est à toi que je le dois, Gaston !
  • M-Moi ?
  • Oui, tu es celui qui m’a sauvé et jeté dans cette cuve d’eau salée. Grâce à cela, j’ai pu obtenir la force de lancer un sort de guérison et me soigner.

J’ai l’impression de rêver, comme si toutes les épreuves que je venais de traverser n'étaient, au mieux, que de lointains souvenirs. Cette sensation que m'offrent les événements m’effraie. Au plus profond de moi, je ressens une peur soudaine, comme si mes tripes me disaient que les choses étaient loin d’être terminées.

 Et pourtant, Lazuli me fait face, le teint lumineux, illustrant sa bonne santé. Son expression est devenue aussi vive qu’auparavant. C’est une bonne nouvelle, vraiment. Mais, pour combien de temps exactement ?

  • Gaston ? Tu en fais une de ses têtes, ça ne va pas ? demande la selkie d’un air inquiet.

Honnêtement, je ne comprends pas la tournure que prennent les événements, tout comme les envies qui me traversent l’esprit. Actuellement, je souhaite oublier l’histoire de la maladie, ma possession et le sort incertain d’Aurore. Je voudrais juste finir la machine en compagnie de Lazuli dans un moment de paix et de complicité. Malheureusement, ce n’est pas mon genre de céder à la tentation.

  • Tu te trompes, je n’ai fait que te chercher dans ton appartement. La personne qui t’a ramené et plongé dans la cuve, ce n’était pas moi.
  • Si ce n’était pas toi, qui était-ce alors ?

Va-t'il me croire si je lui dis la vérité ?

  • Pour être honnête, j’étais possédé par quelqu’un de…
  • Je n’y crois pas, me coupe-t-il sèchement.
  • Quoi ?
  • Tu étais le même qu’à ce moment-là, il était impossible que tu sois possédé. Ta façon de bouger et de parler étaient comme d'habitude .

Je plisse les yeux en constatant sa réaction. Dites-moi que c’est une plaisanterie ! Je me rappelle des gestes que j’ai effectués durant ma possession et il est impossible que j’ai pu les faire de mon propre chef ! Qui plus est, la réponse de Lazuli me paraît bien suspicieuse. Il ne m’a pas laissé le temps de m’exprimer comme si… il savait.

  • En tout cas, reprend-il d’un ton plus doux, je ne comprends pas pourquoi tu t’es arrêté. Tu disais que tu avais bientôt fini la machine.

Je lui ai dit ça ?

  • Vraiment ? Je ne m’en rappelle pas, répliqué-je en fixant mon œuvre inachevée.

Serait-ce un mensonge ? Ou alors, des paroles dites par cette femme aux cheveux blancs ?

  • Tu dois avoir des trous de mémoire. Sinon, puis-je t’aider pour quelque chose ? Si cela peut faire avancer le chantier et le finir aujourd’hui, je suis prêt à faire n’importe quoi.

Quelle désagréable impression. Actuellement, je me sens comme étant la seule personne larguée dans toute cette situation. C’est ironique, sachant que j’en sais bien plus que Lazuli à ce sujet. D’ailleurs, ses intentions me paraissent bien claires : il veut à tout prix que j’évite de me poser des questions, que je me focalise sur la machine. Et aussi dérangeant que cela puisse paraître, une partie de ses intentions est sage. Peu importe ce qui s’est produit précédemment, cette situation est à mon avantage. Cet instant est peut-être le seul qui me permette de finir mon invention. Par conséquent, je devrais me remettre au travail. Le voyage dans le passé est ma priorité absolue, maintenant que Lazuli est en pleine santé.

  • Il y a quelque chose que j’aurais besoin que tu fasses, oui.
  • Je t’écoute, réplique-t-il avec entrain.
  • Va me chercher deux ou trois cobayes, des rats feront l’affaire. Il y en a au sous-sol, ça ne devrait pas être compliqué.

Le dégoût prend place sur le visage de la selkie.

  • Tu vis avec des rats ?! Et ça ne te dérange pas ?

Tu poses la question à la personne qui serait capable de se contenter de tout. Lorsque tu couches sur les champs de bataille grouillant de cadavres puants, les entrepôts infestés de rats te paraissent bien luxueux en comparaison.

  • Oui et oui, alors au boulot. Si jamais tu dois sortir, fais-toi discret et ne te contamine pas à nouveau.
  • Très bien, dit-il en grimaçant. C’est pour la bonne cause.

J’aperçois le sergent se diriger vers la porte de la remise tandis qu’une pensée me revient en tête : j’ignore tout de la conversation que mon corps possédé a eu avec la selkie. Le contenu ne devait pas être anodin, pour que Lazuli adopte un visage aussi triste. Qui plus est, sa réaction pour dissimuler ma possession m’interroge davantage. Et si, le sergent avait plusieurs raisons d’agir ainsi ? L’avancement de la machine ne serait pas son seul objectif. Voudrait-il également dissimuler une discussion importante ?

  • Avant que tu y ailles, j’ai quelque chose à te demander.
  • Oui ?

Honnêtement, je sens que cette tentative sera un échec. Les chances qu’il me mentent sont énormes, mais dans ce cas, cela prouverait que mes avancements sont exacts.

  • C’est encore lié à mes trous de mémoire, commencé-je d’un air faussement innocent. Lorsque je t’ai mis dans la cuve, nous avons parlé de quelque chose. J’ai oublié notre discussion, pourrais-tu me la rappeler, s’il te plaît ?

Le visage de la fée se fige quelques secondes en écoutant ma demande.

  • Oh. Eh bien… Quand j’ai pris ma forme de phoque, tu m’avais parlé des symptômes et de l’évolution de la maladie. Quand j’ai appris que j’avais échappé de justesse à ses horreurs, j’ai été ému. Encore merci, finit-il par dire avant de quitter l’entrepôt.

Le battant se referme dans un craquement assourdissant, tandis que je reprends possession de mes outils, un sourire en coin sur les lèvres. Décidément, tu es un piètre menteur, Lazuli. Comment être ému de ce que pourrait te provoquer la maladie, sachant que tu étais déjà au courant ? Celui qui devait me donner le rapport médical, c’était toi.

 Je continue la finalisation de la machine, l’esprit occupé par la selkie. Honnêtement, plus j’y pense, et plus je me sens perdu. Le raisonnement du sergent m’échappe, le mensonge qu’il m’a sorti était bien trop visible. Il aurait pu le peaufiner avant de me l’offrir. Par conséquent, soit Lazuli est un idiot, soit c’est une erreur volontaire. Et c’est justement cette deuxième probabilité qui me dérange. Quel en serait l’intérêt ? Il est vrai que plus j’en apprends sur le sergent, plus je trouve ses agissements louches. Et ce qui m’a mis la puce à l’oreille, c’est sa présence dans le bar contaminé.

 L’antre, un lieu d’échanges d’informations très prisé par les monstres. Si vraiment ce bellâtre voulait passer du temps en compagnie d’un succube, n’importe quel autre endroit aurait fait l’affaire, même une ruelle ! Il avait affirmé ne pas avoir bu ni mangé sur place, alors ses intentions étaient claires : Lazuli voulait connaître des informations. Et vu la réputation de la boutique, il ne cherchait pas un savoir anodin. Mais dans ce cas, qu’a-t-il voulu obtenir ? Si seulement je pouvais mettre la main sur ce démon, malheureusement, le temps m’est compté.

 J’entre les lignes de codes dans l’ordinateur intégrant l’engin. La configuration de l’intelligence artificielle prend peu de temps, il faut dire que j’ai fait le plus gros du travail en créant l’équation. J’appuie avec hâte sur la touche entrée, terminant cette étape cruciale. Je lâche un soupir, le regard rivé sur l’écran. Maintenant, il me reste une dernière chose à faire. Je sors de la boîte le fameux cadeau d’Aurore. Décidément, j’en aurais appris des choses depuis que j’ai posé les doigts sur cet objet. Et aujourd’hui, je l’utiliserai pour la dernière fois. Je dépose la plume dans le réceptacle métallique prévu à cet effet, l’intelligence artificielle répond à ce geste :

  • OBJET TEMPOREL DÉTECTÉ, VEUILLEZ INSÉRER UNE DATE.

C’est terminé, la machine est complète ! Désormais, il ne reste plus qu’à compléter la dernière donnée et de laisser un individu entrer dans la cabine qui compose mon invention.

 Je lâche un rire de soulagement, les mains appuyées contre mes yeux mouillés de larmes. Enfin, j’ai réussi ! J’ai pu la finir avant que les Sources ne m'arrêtent ! Il ne me reste plus qu'à attendre Lazuli et les cobayes, ainsi, je pourrais dire adieu à ce monde. Du moins, temporairement. Je retrouverai Aurore et cette terre dans une époque antérieure. Et à ce moment précis, je pourrai les sauver.

  • C’est moi, m’interpelle Lazuli en pénétrant dans l’entrepôt, sa main portant une cage avec deux rats.

Excellent ! Avec eux, notre voyage n’en sera que plus sûr.

  • C’est une bonne nouvelle. Donne-les moi, je vais les mettre tout de suite dans la cabine.
  • Tu veux dire que… la machine est complète ?! s’écrie-t-il avec joie.
  • Oui ! Elle n’attend plus qu’à être utilisée.

Nous lâchons en cœur un cri de victoire, satisfaits de nos efforts. Mine de rien, je ne regrette pas d’avoir mis autant de temps et d’espoir à construire ce tas de ferraille, surtout vu le bonheur que je ressens après l’avoir achevé.

 La selkie s’avance vers moi, pose la boîte pleine de rats à ma droite, puis me demande d’une voix heureuse :

  • Tu ne penses pas qu’on devrait fêter l’occasion ? J’ai vu des bouteilles dans cet entrepôt.
  • C’est le vin d’Aurore, je doute qu’elle apprécierait qu’on le lui vole.
  • Quelle importance ? Elle ne pourra pas nous poursuivre dans le passé ! Autant profiter de ce monde avant notre départ. Après tout, c’est la dernière fois que l’on se voit.

C’est vrai, ce fait m’était complètement sorti de la tête. Lazuli et moi partirons à des moments différents. Une nouvelle rencontre n’est prévue dans les objectifs de personne. Cet instant de complicité est le dernier que nous aurons.

  • D’accord, buvons à notre réussite. En revanche, je prendrai de l’eau, je n’aime pas l’alcool.

Une maigre déception prend place sur le visage du sergent.

  • Ah ? Très bien, je te sers un verre.

La selkie s’éloigne dans le fond de la remise, dépoussière deux gobelets puis les remplis chacun selon nos préférences. Une fois cette action réalisée, Lazuli pose les deux récipients sur une table à deux mètres de ma position.

  • Allez, quitte donc ton chantier et viens boire un coup !
  • J’arrive, répliqué-je avec entrain.

Étrangement, ce moment entre nous deux parvient à me combler. Je me sens soulagé, ou devrais-je dire, heureux. Ce n’est que lorsque nous trinquons que je me rends compte de la place qu’occupe le sergent dans mon cœur. Certes, je m’en méfie, et je le manipule discrètement. En revanche, Lazuli est l’un des seuls à m’avoir accepté, et à m’avoir regardé comme étant une personne. Il m’a soutenu et accompagné dans ce projet. Il était là quand j’avais besoin de lui, et réciproquement, j’étais à ses côtés dans les moments difficiles. Finalement, cette selkie m'a guidé sur bon nombre de choses, notamment mes émotions. Je lui en serai à jamais reconnaissant.

  • Merci pour tout ce que tu as fait, mon ami, déclaré-je avant de boire le contenu du verre.

L’émotion envahit les traits de la selkie à l’écoute de mes mots. Une certaine incompréhension semble subsister dans son regard.

  • Tu me considères comme ton ami ?
  • Bien sûr, dis-je après avoir fini mon eau.
  • Alors, pourquoi ?
  • Pourquoi, quoi ?
  • Pourquoi m’as-tu menti ?

La surprise prend possession de mon visage au moment où j’entends la fin de sa phrase. Je reste bouche bée pendant quelques secondes avant de constater la faiblesse soudaine de mon corps. En un rien de temps, je m’affale sur la table, incapable de me relever. Qu’est-ce que…

  • Du… poison ? épelé-je avec étonnement.
  • Non, juste un sort. Tu as oublié que c’était ma spécialité ? déclare-t-il en finissant son verre.

Je ne comprends pas, pourquoi cherche-t-il à faire ça ? Peut-être que je ne suis pas un ami à ses yeux, mais nous sommes alliés envers une cause commune !

  • Quel intérêt... à faire... ça, Lazuli ?

La selkie s’éloigne de la table, son regard doux se teinte du mépris le plus sombre.

  • Avant de te le dire, j’aimerais écouter ta réponse. Dis-moi, Gaston. Pourquoi m’as-tu menti ?

Mais de quoi parle-t-il ?

  • Je ne t’ai pas... menti !
  • Vraiment ? demande-t-il avec ironie. Ta détermination est admirable.

Le sergent se rapproche d’un pas assuré vers la machine, les doigts posés sur le clavier.

  • Arrête... tu ne sais pas... comment la faire fonctionner !
  • Pourtant, le mécanisme est on ne peut plus simple. Il me suffit d’entrer une date. Voyons, pourquoi pas… le 3 août X724 ?

La date que j’avais choisie ? Pourquoi ?!

  • Oh, que suis-je bête ! Je devrais revenir bien plus tôt. Le 15 juillet de la même année me semble idéal.
  • Non ! crié-je en essayant de l’atteindre.

Comment… Comment a-t-il pu choisir cette date ?! Il n’aurait pas dû savoir !

  • Tu as une objection, Gaston ?
  • Tu ne dois pas… la choisir. Prends-en une autre !

Son index appuie sur une touche.

  • LA DATE EST ENREGISTRÉE, VEUILLEZ ENTRER DANS LA CABINE.
  • Pourquoi ? Parce que tu ne voulais pas que je connaisse cette date ? raille-t-il en me regardant ramper sur le sol. Tu m’as menti sur Aurore ! Sa transformation s’est déroulée à ce jour précis !

Voilà donc ce qu’il a découvert à L’antre ! Comment n’ai-je pas pu m’en méfier ?

  • J’ai… mes propres raisons, épelé-je en essayant de l’atteindre.
  • Tout comme j’ai les miennes de t’affaiblir et d’utiliser la machine avant toi, réplique-t-il en ouvrant la porte de la cabine.

Je force sur mes bras malgré la faiblesse, puis parviens à saisir le mollet du sergent.

  • Quoi que tu… tentes… je t’en empêcherai.
  • Oh non, je ne crois pas Gaston. Car contrairement à toi, je suis en possession d’une information primordiale sur ta création.

Impossible ! Je viens à peine de la finir !

  • Tu t’en souviens, juste avant que je parte capturer ces cobayes, tu m’as posé une question. J’admets t’avoir menti, et je m’en excuse. Elle avait demandé à ce que cette conversation reste entre nous.
  • Elle ?! Tu…
  • … Savais à propos de ta possession ? Bien sûr ! Après tout, je l’ai entendu, moi aussi. Tu le savais ? Quand tu touches la plume, au bout d’un certain temps, tu te mets à entendre des voix d’une clarté étonnante.

Je crache un pouffement de rire en écoutant ses paroles.

  • Tu perds... la boule ? Rien de ses mots... n’étaient clairs. Ils étaient tous... brouillés !

Un sourire narquois prend place sur le visage de Lazuli.

  • C’est là notre différence, j’ai été choisi par la maîtresse du temps, alors j’ai pu la comprendre.
  • Choisis ?! Tu es stupide ! crié-je en avançant son mollet vers moi.

Sous le coup de ma remarque, la selkie balance son pied dans mon visage. Mon étreinte se retire aussitôt.

  • Regardez qui parle, ne serait-ce pas le faible Gaston ? Notre héros de guerre ? Tu n’es bon qu’à entendre les supplications d’un être qui te dépasse. Alors que moi, je suis différent ! Elle m’a parlé, elle m’a dit ce qu’elle attendait de moi et surtout, elle m’a dit la vérité sur ta putain de machine !
  • De quoi… tu parles ? gémissé-je sous la douleur.
  • Le fait qu’elle ne fonctionnera qu’une seule fois ! Tu ne le savais pas ?

Dites-moi que c’est une plaisanterie…

  • Non, c’est faux. Elle peut…
  • Ton invention dépend de la plume, me coupe-t-il avec sérieux. Hors, cette dernière ne supportera qu’un seul voyage. Si tu l’utilisais sur ces rats, nos chances seraient foutues ! La déesse du temps me l’a dit, pendant que je me reposais dans la cuve. Je dois partir avant toi, je dois accomplir mon désir. En échange, je serais à son service.

Je pensais sincèrement que cette incarnation avait l’intention de m’aider, quelle erreur ! Comment n’ai-je pas pu douter d’un tel avantage ? Je n’aurais jamais dû finir cette stupide machine !

  • Comment ça… tes désirs ? Son service ?
  • Je peux au moins te dire ça, dit-il en entrant partiellement dans la cabine. Cette femme aux cheveux blancs, elle m’a parlé de son projet. Les Sources ont fait leur temps, à présent, la direction de l’Univers doit être un petit peu plus… collective. Et mon existence entre parfaitement dans ses exigences. Quant à mes désirs, tu les connais déjà.
  • C’est la première fois… que j’entends parler de ça.
  • Évidemment ! Tu pensais être choisi ? Oh, allons, Gaston ! Tu n’as toujours pas compris ? Les compétents dans ton genre ne sont bons qu’à être utilisés. Ta place est dans ce monde, et elle ne bougera pas !

Lazuli pénètre entièrement dans la cabine, prêt à refermer la porte.

  • Mais tu sais, continue-t-il avec tristesse, tu n’es bon qu’à écouter les autres. Tu ne pourras pas les sauver, que ce soit Aurore ou l’incarnation du temps. N’oublie jamais, Gaston, tu n’es pas un héros, tu n’es qu’un personnage secondaire.

Un gémissement désespéré sort de mes lèvres. Toute la motivation qui me permettait de lutter s’évapore. Actuellement, je ne peux qu’entendre les phrases de la selkie. Et le plus amer dans toute cette situation, c’est la vérité qui en découle.

 Le sergent referme la cabine en m’observant d’une expression pleine de pitié. Le décompte commence, il ne reste plus que quelques secondes avant son départ.

  • Ne t’en fais pas, dit-il à travers le hublot. Je m’occuperai bien d’Aurore, à ma manière.

Non… Comment ai-je pu laisser la faiblesse m’envahir ? Je ne dois pas le laisser partir, je ne dois pas le laisser réussir ! Je force une dernière fois sur mes bras, rampant jusqu’au tas de métal. Mon sang bouillonne, mon cœur martèle ma poitrine d’un rythme saccadé. Je dois le faire. Je dois appuyer sur le bouton d’urgence. Ainsi, Lazuli...

  • DÉCOMPTE TERMINÉ, JE VOUS SOUHAITE UN EXCELLENT VOYAGE.
  • Nooooooon ! hurlé-je en griffant la machine en action.

J’aperçois, à travers le hublot, la silhouette lumineuse du sergent, perdant petit à petit ses formes, avant de disparaître pour de bon. Je m’affaisse, accablé par le désespoir. Une légère explosion retentit près du générateur, l’origine provient de la plume, désormais carbonisée. J’éclate en sanglots à la vue de l’objet. Cet enfoiré avait raison. Il n’y a pas de voyage pour moi.

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