Les croyances du talemelier

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Dans la nuit du 5 au 6 juin 1226. Avignon, France.

Aicard observa le haut rempart et la volée de marche qui lui permettrait de rejoindre son tour de garde. En ville, les rumeurs circulaient bon train et l’ambiance était étrange. C’était comme si l’air lui-même leurs murmuraient que quelque chose allait se produire. Les miliciens étaient tendus comme les autres, mais tous se répétaient que les hauts murs de leur belle ville d’Avignon les protégeraient. Ce n’était même pas une véritable croyance, mais plus une prière, quelque chose que l’on se raconte, persuadé que si on se le répète assez, alors cela deviendra vrai. Aicard était touché, lui aussi, par l’ambiance mais contrairement aux autres, son stress avait de multiples raisons. Dans l’air étonnamment frais pour la saison, il frissonna légèrement. En haut, un feu vivace l’aiderait à se réchauffer un peu et puis patrouiller lui ferait du bien. Il grimpa les marches, une par une. Arrivé en haut, il chercha du regard Salvin et le trouva.

Salvin était sans doute l’archétype physique de son métier. Le talemelier passait le plus clair de son temps derrière ses fourneaux, à préparer le pain qui nourrissait une partie de la ville. Il se levait tôt, passait son temps en intérieur et sa peau n’était pas exposé au soleil, le laissant étrangement blanc, sans même parler de la farine qui s’accumulait de partout. Salvin était un grand gaillard, bien nourris, en témoignait son ventre un peu rond, ses joues généreuses et ses bras, étrangement épais. Face à lui, Aicard se sentait toujours un peu bizarre. Il était plus petit et plus fin, mais tout en muscles à force de porter de lourdes charges qui lui abimaient le dos. Il aurait peut-être pu porter Salvin lui-même s’il l’avait fallu.

- Tu ne devrais pas me regarder comme ça… grogna Salvin.
- Je pensais seulement à quel point tu étais grand. Rien de mal, vraiment.

Salvin haussa d’une épaule, un peu désabusé. Ils étaient seuls à cette heure-ci et il faudrait un long moment pour qu’une patrouille ne vienne par là. Ils le savaient tout les deux et pourtant, Salvin était toujours inquiet. Inquiet que quelqu’un voit cette flamme étrange qui brillaient dans les yeux de son ami et qu’il arrive à en déduire ses mauvais penchants.

- Rien de suspect ? demande Aicard seulement pour briser le silence et détourner l’attention.
- Non… Rien pour le moment, mais ça ne devrait plus tarder…
- A moins qu’ils aient changé de route. C’est encore possible.

Salvin acquiesça, mais ni l’un ni l’autre n’y croyait. Les fermiers des environs avaient été clairs et les messages revenants limpides. Une véritable armée était entrain de marcher sur la ville et eux, avec leurs armements de fortunes et leurs tenues légères, ne pourraient pas la défendre réellement. Ce n’était qu’une question de jours avant la catastrophe.

- C’est peut-être notre dernière nuit… chuchota Aicard d’une voix lugubre.
- …
- Et il fait froid, ajouta-t-il au bout d’un certain temps.
- Oui, il fait froid, finit par répondre son ami sans oser le regarder.

Aicard faisait toujours ça. Il lançait des phrases qui pouvaient sembler anodines et attendait qu’il réponde, attendait qu’il morde à l’hameçon et invariablement, nuit après nuit, cela fonctionnait. Salvin était toujours réticent au début, un peu honteux bien-sûr de ne pas être le bon chrétien que l’église lui demandait d’être. Souvent, tout en pétrissant son pain, il y pensait. Il se demandait si les gens continueraient de le manger s’ils savaient où il aimait poser ses mains et surtout sur qui. Sans doute pas. Aicard ne semblait pas avoir les mêmes difficultés, pourtant, il s’acquittait de tout ses autres devoirs chrétiens sans jamais faillir. Comment faisait-il ? Salvin n’en avait aucune idée et il ne le lui demanderait pas. Ils ne parlaient pas de ces choses-là.

- Tu vas attendre que je craque ? demanda-t-il finalement au plus petit.
- Oui… je ne te forcerai jamais.

Le talemelier soupira et baissa la tête, déjà vaincu.

- Un jour, on nous émasculera pour ça…

Ils frémirent tous les deux à l’idée de subir une telle mutilation et Aicard eut un pauvre sourire, un peu piteux, qui passa inaperçu dans la pénombre. Comme pour braver le destin, il jeta :

- Rassures-toi, on sera sans doute mort bien avant…
- Ça ne nous empêchera pas de passer par son jugement.
- Oui…

Salvin l’observa un long moment avant de prononcer, d’une voix un peu étranglée :

- Tu ne sembles pas inquiet…
- Je ne le suis pas. Je devrais, je sais, mais je n’y arrive pas.
- Tu ne crois pas que… qu’Il sera en colère ?
- Je crois qu’il y a beaucoup plus de raisons d’être en colère que moi qui me réchauffe contre toi.

Ce discours était hérétique et dangereux. Salvin ne put s’empêcher de regarder autour d’eux et il souffla en constatant qu’ils étaient seuls. Ce que disait Aicard était dangereux. Peut-être autant que ce qu’ils faisaient. Pourtant, Salvin aurait aimé avoir les mêmes convictions que son ami. Ils restèrent ensemble, côte à côte, à observer le paysage nocturne autour de la ville. Quelques rares lumières brillaient encore mais bientôt, tout s’éteindrait.

Le froid nocturne se fit de plus en plus pesant, mais ce n’était pas ce qui les gelait le plus. Leurs froids venaient de l’intérieur. Salvin pensait à ses croyances et l’idée même de ne plus toucher son ami lui laissait une impression de perte horriblement profonde. Aicard lui, se disait seulement qu’il fallait laisser la possibilité à son compagnon de refuser, de se retirer, de ne pas recommencer… même s’il en mourrait d’envie et qu’il aurait prêt à le supplier d’un ton plus que pressant s’il avait eu un peu moins de considération pour lui. Seulement, Salvin méritait mieux que ça.

Ce ne fut qu’au bout d’un long, très long moment que le talemelier céda.

- Rapidement alors…
- Si tu veux.

Salvin baissa la tête car oui, il le voulait, il le voulait vraiment. Sans dire un mot de plus, il s’éloigna pour rejoindre le petit abri qui pouvait les accueillir à quelques mètres de là. Il était fermé par une lourde porte de bois qui était difficile à pousser. Une fois refermée sur eux, elle leur offrirait une impression de sécurité. Les meurtrières qui leurs permettaient de voir l’extérieur et de surveiller très efficacement les alentours étaient bien trop hautes pour que qui que ce soit ne les distinguent en retour. Là, dans l’intimité de cet endroit, ils se sentirent immédiatement mieux.

Sans attendre, Salvin se tourna vers son ami et l’embrassa, d’un de ces baisers rugueux et durs, possessif au possible. Il semblait réclamer qu’Aicard s’offre comme lui-même s’offrirait juste après et comme toujours, Aicard le fit. Il gémit lorsque les baisers devinrent de petites morsures posées au hasard de son corps, là où en tirant sur ses habits, il parvenait à avoir accès à sa peau. Les préliminaires s’arrêtèrent là, car leurs propres sexes tendus au possible ne leurs offrirent pas beaucoup plus de temps. Ils étaient pressés par leurs corps autant que par les circonstances.

Ce fut Salvin, encore une fois, qui d’une main pressée tira sur les braies de son ami, rendant son sexe accessible. Et ce fut lui qui se dénuda partiellement pour offrir l’accès à son fondement et à ce moment là seulement, Aicard se mit en mouvement, collant leurs chairs impatientes les unes contre les autres. Ils gémirent de concert, tout en essayant de faire le moins de bruits possibles.

Utilisant sa main pour le guider, il conduisit la pointe de son sexe jusqu’à l’entrée cachée qu’il pourfendit habillement. Elle était serrée et élastique, cette entrée, mais derrière, la chaleur de la chair était douce sur son sexe et terriblement accueillante. Il s’y enfouit en attrapant son compagnon par les hanches et en poussant ses reins contre lui. Salvin poussa un léger gémissement qu’il étouffa dans sa main. Ils n’utilisaient pas d’autres lubrifiants qu’un peu de salives et la douleur qui semblait le déchirer était la bienvenue pour lui. Elle contrebalançait le plaisir à l’état brut qui n’allait pas tarder à l’envahir. Dans son esprit profondément religieux, c’était un peu comme un paiement, un moyen de se faire pardonner. Seulement lorsque le plaisir naquit dans son ventre, échauffant ses sens et son corps tout entier, ces considérations disparurent comme à chaque fois. Il bougeait à la recherche de son propre plaisir et il le trouvait.

- Plus fort, chuchota-t-il à son ami.

Aicard ne se fit pas prier, il le saisit par les hanches et montra toute l’étendu de sa puissance, malmenant le corps épais de son compagnon comme s’il avait été plus fin qu’une brindille. Sentant sa jouissance venir, il se courba davantage vers l’avant pour saisir le sexe, pas encore tendu de son ami sur lequel il appliqua quelques caresses maladroites. Le menton planté dans son dos, il ne put se retenir et le mordit, pas assez pour laisser une trace, mais assez pour avoir la sensation de le posséder un peu plus encore. Ce n’était presque rien, mais cela suffit pour les faire jouir tout les deux. Presque aussitôt la jouissance trouvée, un grand froid envahi Salvin. C’était la honte. Il récita mentalement une prière alors qu’Aicard était toujours planté en lui et se promit de ne jamais recommencer… C’était une vaine promesse qu’il briserait sans doute demain ou peut-être le jour d’après. Il ne tiendrait même pas jusqu’à la fin de la semaine… Aicard recula, le faisant grimacer car tout le paradoxe était là, à présent qu’il n’était plus en lui, il ressentait un véritable manque. Il se rembraya malgré tout pour cacher leurs méfaits et se perdit dans la contemplation de l’horizon. Il n’y avait rien. L’ennemi n’était pas encore là, il l’ignorait mais au petit jour, ils verraient apparaître les colonnes d’une armée gigantesque et prit de panique, les habitants fermeraient les portes, débutant la confrontation puis le siège. Il l’ignorait mais Aicard serait alors sa plus grande source de réconfort. Il l’ignorait, mais en survivant à cet affrontement, il en ressortirait avec une croyance plus forte encore. Si Dieu n’avait pas voulu le protéger, il serait mort… et puisqu’Aicard était tout aussi vivant que lui, alors peut-être, peut-être seulement Aicard avait-il raison dans ce qui lui avait toujours paru être de l’hérésie ? Et à cette idée-là, il n’en aimerait que plus fort son Dieu.

Note : les mots clés étaient « flamme » et « morsure », à cela s’ajouter un défi qui n’a pas été évident pour moi et c’était d’écrire une nouvelle historique !

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