Une lame émoussée

5 minutes de lecture

Eikichi, tu t'inquiètes pour ton frère hein ? Je te comprends, il semble être dans un sacré bourbier, je serais dans le même état à ta place... Comment je peux bien te sortir de là ? Keisuke peut-être ? Mon Eikichi fait partie de ces gars qui vivent mal l'ennui, et si on ajoute à ça la peur de perdre son grand-frère, je crains le pire pour lui. Il lui faut un combat, un vrai combat.

Durant un moment d'inattention, alors que je le serre contre moi, je me saisis de son téléphone et fais mine d'aller aux toilettes... Keisuke... Keisuke... Le voilà !

- Allô ? Keisuke ? Non, on ne se connaît pas, pas encore, je suis la petite amie d'Eikichi, il a besoin de vous. Eikichi s'ennuie, il m'a dit que la seule personne à pouvoir le sortir de cette situation, c'était vous. Je vous supplie de l'affronter. Sauvez-le.

Et une heure plus tard, nous voici dans une vieille salle poussiéreuse... Alors c'est ici qu'Eikichi a appris la boxe ? Ça sent le moisi... C'est dégoutant, je crois que j'vais vomir... La poussière me colle à la peau et il fait humide, c'est la pire salle de boxe que j'ai vus. Même le ring est dans un état lamentable, le matelas est tout déchiré et on peut voir les barres de fer très certainement rouillé qui se dessinent en dessous. Les vitres sont brisées, le toit est complètement lézardé et des fois y en a des morceaux qui se cassent la gueule, ce bâtiment est une ruine... ET Y A DES ARAIGNÉES PARTOUT !!! Je n'aurais pas pu me taire et me contenter de lui faire une gâterie plutôt que de le suivre dans un endroit pareil ? Je vais mourir ici...

Malgré tout, Eikichi semble plus excité que jamais... C'est presque vexant, il monte sur le ring, pieds nus, sans gants, avec juste son short, je peux lire dans son regard qu'il est en feu, il ne voit plus que Keisuke. Il ne voit même plus, que dans le regard de Keisuke, la flamme s'est éteinte.

                       ****

" Keisuke, ça faisait longtemps vieux frère ", pensa Eikichi qui tremblait d'excitation sur le ring. Himiko l'avait lu dans son regard, il avait attendu ce match avec impatience, et le voilà enfin. Le match qui le sortirait de son ennui. C'est elle qui donna le signal du début des hostilités.

Comme on pouvait s'y attendre, Eikichi fut le premier à frapper, il était agressif, et infatigable. Keisuke faisait de son mieux pour encaisser les coups, mais même pour lui qui le connaissait depuis toujours, il avait bien trop progressé. Keisuke s'était contenté de s'entraîner un minimum, simplement de quoi gardé la forme, mais ce qui avait alimenté la flamme pendant tant d'années, était ses affrontements avec Eikichi. Après le départ de celui-ci, la flamme avait commencé à s'essouffler, et aujourd'hui, il ne restait que quelques braises froides. L'esprit combatif de Keisuke était mort, il avait été remplacé par autre chose, par un désir de stabilité, il était devenu " trop vieux ". Il n'avait pourtant qu'un an de plus qu'Eikichi, mais dans son esprit, son heure de gloire était passé, il rentrait bientôt à la fac puis après cela, il se trouverait un bon boulot et un appartement sympa. Pas trop grand, pas trop petit, puis sûrement une femme.

Il était acculé, incapable de répondre aux assauts de son ami, et plus le temps passait, plus Eikichi frappait fort sur sa garde. Keisuke se sentait comme une tortue attaquait sans arrêt par un requin, il savait que sa carapace ne tiendrait pas longtemps. Ses bras étaient dans un état lamentable, la force d'Eikichi était monstrueuse, quand il posa son regard sur lui, il comprit enfin le surnom que lui avaient donné les moines du Sanctuaire. Benkei. L'enfant Ogre. Il se souvint de la colère noire dans laquelle Eikichi avait sombré quand ce chien, qui venait souvent au Monastère, s'était fait tué. Il se souvint du Lion à l'entrée du Temple, Lion qu'il avait décapité d'une simple droite alors qu'il n'avait que quinze ans. Ce gosse était un monstre. Keisuke se sentait coupable de voir son meilleur ami ainsi, mais sous ses yeux, l'homme qui se présentait en face de lui, ressemblait trait pour trait à un Oni.

Sa garde ne pouvait plus tenir, ses bras tombèrent le long de son corps, et il fut envoyé au tapis. Eikichi avait toujours été d'une force monstrueuse, mais aujourd'hui, alors que sa technique n'avait cessé de s'améliorer, il lui semblait être invincible.

Il se souvint d'une scène de leur enfance. Alors qu'il l'avait encore vaincu sur ce même vieux tapis, ils riaient et discutaient de tout et de rien. Chaque petits détails lui revinrent, leurs jus de pomme, le sourire d'Eikichi alors qu'il avait le visage tout boursouflé à cause des droites. Ce gosse était un mystère pour lui, il subissait défaite sur défaite, mais revenait toujours avec la même ardeur. Il l'impressionnait et l'intriguait, il n'y avait aucune logique dans ses actes, il était purement et simplement guidé par sa passion. Une passion dévorante, une soif de vivre indéfectible. Keisuke avait toujours espéré avoir une vie tranquille, sans trop de problèmes, il était similaire à un étang. Une petite étendue d'eau, calme et tranquille, dans laquelle on pouvait apercevoir les carpes qui nageaient parmi les fleurs de lotus. Son ami, lui, était un brasier, un feu de joie dont la flamme ne cessait jamais de prendre de la puissance, parfois, il en avait peur, peur de se brûler en restant à son contact. Peur que si un jour Eikichi ne venait à le surpasser, et il savait que ce jour arriverait bientôt, sa passion ne l'emporte et qu'il ne fasse une connerie.

- T'as une force de fou furieux Eikichi, mais tu balances tes bras dans tous les sens, tu es un peu comme une très très bonne épée, qu'on ne sort pas de son fourreau. J'ai hâte de voir le tranchant de ta lame quand tu auras compris comment t'en servir.

Et la lame avait été dégainée. Jamais il ne se serait imaginé que cette lame serait en réalité Kusanagi-no-tsurugi. Il était au sol, épuisé, la vue floue, son tranchant s'était émousé, là ou celui de son ami s'était sublimé. Il réfléchissait, sur comment il en était arrivé là. Pourquoi avait-il décidé de vivre sans passion ? S'était-il conformé aux règles ? Ou alors avait-il toujours désiré vivre ainsi ? Une vie paisible, et sans danger.

Eikichi, lui, se tenait debout, observant son ami au sol. Il n'en croyait pas ses yeux. Pourquoi ce combat avait, il était si rapide ? Il était intouché, comment était-ce possible ? Était-il destiné à s'ennuyer ? Il ne voyait plus qu'une seule solution. Il posa son regard sur son ami, puis sur Himiko et descendit du ring.

- Allons chercher mon frère.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Le Professeur ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0