Le matin

6 minutes de lecture

Un mois, ça fait déjà un mois qu'on dort dans la forêt. Au début, c'était pas simple, aucun d'entre mes camarades n'avait la moindre expérience de la chasse, ces gars étaient tous de pauvres citadins perdus quand leur foret n'est pas faite de béton. Mais au final, ils s'y sont bien adapté, Akio, je me doutais qu'il gérerait assez vite, on se ressemble un peu. Celui qui m'a surpris c'est Haku, il s'est vraiment révélé être un sacré atout jusqu'à présent. On a appris qu'il vouait une véritable passion à la faune et la flore, je n'ai pas besoin de vous expliquer en quoi ce genre de connaissances peuvent être importante dans ce genre de situations. Il a entre autres éviter à ce débile qu'est Akira, de se buter avec des baies. Plutôt pratique.

Malgré tout, quelque chose me chiffonne depuis que nous avons commencé cette épreuve.

Si nous l'avons tous ressenti, nous ne l'avons jamais vu. La bête qui nous guette, ou plutôt, les bêtes. Seraient-ce les fameux Perdus, dont nous a parlé l'autre géant ? Si c'est bien ça, qu'est-ce qu'ils sont ? Et qu'est-ce qu'ils attendent pour frapper ? Que la fatigue nous rattrape ? Ce ne serait-ce pas ridicule comme stratégie, de nombreux prédateurs l'utilisent après tout. Mais en un mois, ils auraient dû abandonner, aucun prédateur n'est aussi têtu.

- Eikichi ! Mate-moi c'qu'on a trouvé ! Sacré bordel ce truc !

Qu'est-ce qu'ils me racontent ces fais-... C'est quoi ça ?

- Un sanglier ? Ça y ressemble, mais il est quand même dans un sale état, qu'est-ce qui a pu le mettre dans un état pareil d'après toi ?

- J'en sais rien, mais ça n'm'inspire rien de bon. Il a été buté y a pas longtemps, il n'a pas encore eu le temps de pourrir, il est juste tout rigide, la bestiole qui l'a bouffé n'est pas loin. Faites gaffe.

Je n'suis pas sûr de ce qui a bien pu lui faire ça, mais c'est pas loin.

- Ça s'approche.

- Ça ?

Un hurlement brise le silence et Haru se retrouve plaqué au sol par une saloperie qu'on ne voit qu'à moitié à cause de l'ombre des arbres. Tout ce qu'on sait, est que cette bestiole semble être humaine, ou au moins s'en approcher. Deux bras, deux jambes, et il tente de croquer Haru !

Un nouveau craquement se fait entendre. Mais cette fois, c'est la nuque de la bestiole. Dans un instinct de lucidité, Haru lui avait saisi le crâne et brisé les cervicales. Elle chutait au sol tel un pantin désarticulé, et enfin, nous pouvons l'observer. Cette chose était bien plus horrible que nous ne le pensions. D'une pâleur mortelle, des bras anormalement longs et fin, cette bestiole complètement disproportionnée semble pourtant avoir des traces de tatouages par-ci par-là. Un nom ? " Akihiko " ? Ce truc à un nom tatoué sur la peau ? Et pas au fer rouge, ce n'est pas une simple marque. C'est un véritable tatouage, stylisé, fait par un artiste. Son dos en est aussi recouvert. Comment c'est possible ? Ton corps n'a aucun sens. Tes jambes et tes bras sont beaucoup trop longs, ta peau trop pâle, tes dents semblent avoir été aiguisée. Tu ne peux pas être un humain... Mais tu as pu l'être, pas vrai ?

Les Perdus. Des personnes qui ont tenté l'aventure avant nous, et qui se sont perdues dans les montagnes, rendu fou. Ils ne sont pas les seuls ici, en dehors des bêtes, et d'eux, il y a autre chose, quelque chose qui leur a fait perdre la tête, c'est certain, cette montagne n'est pas naturelle. C'est pour ça que les moines y ont bâti un Temple secret ? Pour garder ce quelque chose loin des regards ?

Crack.

- Y en a d'autres !

Un nouvel assaut est lancé par les bêtes. Elles sont nombreuses, beaucoup trop nombreuses, un, deux, trois, il y en a au moins une vingtaine. Et leur regard me dit clairement qu'elles ne sont pas là pour jouer.

- Les gars, j'ai l'sentiment qu'on ne va pas avoir d'autres choix que de casser quelques mâchoires.

À nouveau, et cette fois, à l'unisson, les bêtes poussent un rugissement à glacer le sang. Vous êtes vraiment ignobles. Mais on s'occupera de ça plus tard. Pour le moment, on doit vous écraser la cervelle.

Les gars se démènent, ces bestioles-là ne sont pas très fortes, elles sont juste affreusement nombreuses. Combien d'entre vous ont échoué à ce test ? Est-ce que nous échouerons aussi ? L'un d'entre nous tombera dans la même folie qui vous a rendu comme ça ? Je préfère ne pas y penser, mais en même temps, ce n'est pas impossible, la plupart d'entre eux sont des gars qui viennent de familles normales. La plupart de leurs problèmes, sont des problèmes de gars de villes. Je crains qu'un de nous ne chute. Toute cette histoire commence à me peser pour être honnête. Les gars, vous n'avez pas intérêt à vous perdre. Je vous l'interdis.

Ces bestioles sont ridiculeusement fragiles. À chacune de mes frappes, je sens leurs os qui se brisent. Et pourtant, ils ne tombent pas. Comme s'ils n'avaient aucune espèce d'instinct de préservation, comme si leur système nerveux était mort. Ils bougent, et frappent, mais refusent de tomber, j'ai l'impression de combattre des zombies. Impossible à arrêter, et ridiculeusement endurant. Ils ont beau frapper dans tous les sens, balancer leurs membres disproportionnés de droites à gauches, ils ne montrent pas le moindre signe de fatigue. Le seul moyen de les arrêter, c'est de les buter. Mais malgré leur apparence, ils ont été humains par le passé, j'ai du mal à m'enlever ça de la tête. Akihiko, un fils, un petit frère peut-être ? Qui es-tu Akihiko ? J'aimerais comprendre. Dois-je ressentir du remords en les tuant ? Où dois-je les voir comme de simples menaces ? Et au final, est-ce que c'est vraiment important ? Après tout, ces bestioles tentent de nous tuer, moi et mes amis, certainement pour nous bouffer. Je ne devrais pas hésiter. Mais l'image du ring est encore forte dans ma tête. Ça ne fait qu'un mois, bientôt, mais tout de même. Avant ça, ma vie était relativement tranquille. Comment on en arrive d'une vie de lycéens, à celle-ci ? Tout ça pour retrouver mon frère.

Kentaro, j'espère que t'as une bonne raison pour me faire faire tout ça ! Aujourd'hui, pour toi grand frère, je deviendrai le bourreau de ces pauvres choses.
Les unes après les autres, les carcasses sans vie de ces créatures s'empilent. Arrête de réfléchir Eikichi, ils ne sont plus réellement vivants, ce ne sont plus que des zombies. Mais le bruit que fait leurs crânes quand ils éclatent, est affreusement proche de celui d'un homme.
Quelle heure il est maintenant ? Il doit être tard dans la nuit, ou tôt le matin. Les gars sont claqués, même Akio est à bout de souffle. Ça fait combien de temps qu'on cogne ces sales bêtes ? J'ai mal. Mes phalanges sont complètement à nues. À force de frapper, j'ai presque plus de peau sur les poings. Et il en reste pas mal... J'ai pas le droit de tomber. Pas maintenant. Je dois retrouver mon frè-... Non, dans l'immédiat, je dois protéger mes potes. Attends moi Kentaro, j'ai une affaire à regler rapidement.
**********
J'en peux plus. Je suis mort. Yokko ! J'ai besoin de réconfort !
Alors que je m'écrase au sol telle une loque. Je tourne le regard pour voir les gars. Akio est assis, contre un arbre, les yeux fermés, sûrement en train de dormir. Akira est à ses côtés, ces deux la sont inséparables. Haku me surprend. Vraiment, il est l'un des seuls qui tienne encore sur ses jambes, ce gars à un mental d'acier. Mais de nous tous, évidemment, celui qui surprends le plus, est Eikichi. Il se tient un mètres au-dessus du sol, assis sur les cadavres empilés de ces monstres. Un sourire aux lèvres. Couvert de sang de la tête aux pieds, des traces de morsures, de griffures de partout, les poings dans un sale état, et pourtant, il sourit.
- Alors les gars ? ! On fatigue déjà ?! Debout ! On n'est pas sortis du sable ! Levez-vous ! Y a une rivière pour se nettoyer, et j'ai la dalle !
Il se lève, doucement, mais il se lève, et chacun d'entre nous le suit. Derrière lui, au sommet de ce monticule de cadavre. Comme venant le couronner, suivant son ordre. Le soleil se lève enfin.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 4 versions.

Vous aimez lire Le Professeur ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0