Personne n'arrête une maman.

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- Il est là... Enfin, tu m'auras fait attendre.

- Celui qui porte la première lumière... Projette avec elle, la première ombre.

Deux hommes se tenaient là, assis sur une pierre, derrière eux, un lac semblant être infini, bouillonnant, sa surface était d'un vert noirâtre, une odeur forte s'en dégageait.

- Tu parles toujours en énigme toi, tu ne voudrais pas t'exprimer normalement ?

Un léger rire, amusé, s'échappa de l'ombre, suivit de quelques mots.

- Les habitudes ont la peau dure... L'idée de revoir celui qui m'a envoyé ici me donne envie de faire de la poésie. " Enfouis cette lumière au plus profond de toi, rejetez, il n'est pas de retour en arrière, un infernal chaos au grès du vent, dérivant parmi les vagues, isolées. "

La première voix échappa un soupir.

Ces deux hommes, gardiens du domaine de la Déesse Izanami ne pouvaient pas être plus different, mais il étaient lié par un même bourreau. Et si l'un comme l'autre ne semblaient pas nourrir de rancœur à l'encontre de leur jeune meurtrier, il existait tout de même au fond, un désir de revanche. Ils étaient invaincus de leur vivant, et un gamin de même pas vingt ans, les a non seulement terrassé, mais les avait mis à bas.

Ces deux êtres avaient traversé les ombres, ils avaient accepté leurs destins, s'étaient porté volontaire, pour devenir les bras armés de la Déesse des morts, dans le seul et unique but, de retrouver celui qui les avait envoyé en ce lieu. Et le voilà enfin, qui se présentait devant eux.

La lumière, aveuglante, brûlant les yeux de ceux qui l'observaient directement, le jeune homme, en ce lieu, avait pris la forme d'un être pur... Ou presque. Toute la lumière de l'existence ne pouvait chasser les ombres indéfiniment.

- On t'a attendu, tu sais ? T'as pris ton temps salopard... Tu sais depuis combiens de temps on poireaute ? 

Le jeune homme échappa un rire, ses pas résonnant à travers le monde de pourriture.

- Désolé, j'étais posé, tu sais, après tout ce temps, l'écorce finit par être presque confortable ! Puis y a eu ce vieux gars... Le geôlier ? Qui s'est pointé avec un casse-croûte, vu que j'avais la dalle, j'ai accepté et tapé un croc dedans, honnêtement, la bouffe n'est pas dingue, mais ça passe.

                    ***

Eikichi a accepté la nourriture du Yomi ? Ça expliquerait son apparence... À moins que...

- Tu as bouffé le Geôlier ?

Ce sourire, ce ne peut pas être vrai...

- Lui, et ses copains aussi. Tu sais ce que c'est de rester... Longtemps ! Accroché à un arbre ? Ça creuse !

Un être qui n'est pas subi le jugement, en voilà le résultat. Il fallait s'attendre à un résultat similaire.

- Tu n'iras pas plus, Eikichi, ce monde est le dernier que tu connaîtras. Pardonne-moi, mais il est hors de question que tu n'atteigne le domaine de Dame Izanami.

Pas convaincu hein ? Pas étonnant...

- Et tu comptes m'en empêcher comment ? Que tu le veuilles ou non, je me casse d'ici.

Je le sens mal.

                     ***

- J'aurais dû me douter que vous seriez ici. Vous y passez vos journées entières récemment. Cela n'a rien de choquant, évidemment, mais tout de même. Vous m'obligez à venir en personne pour m'assurer que vous mangiez.

Les mortels sont des créatures vraiment étranges. Durant d'incalculables éons, ces étangs resterent vide. Et pourtant depuis leur arrivée, les voilà qui retrouvent une forme de vie. Je ne pensais pas qu'un jour, une personne, et encore moins, deux, accorderaient autant d'importance à cette... Flaque.

Cette simple phrase provoqua chez elle un rire. Un rire puissant, honnête, franc, le rire qu'un humain pourrait attendre de ce qu'ils appellent des " super-héros ". Un grand " hahahaha ! ", qui résonnait à travers mon domaine.

- C'est dingue ! Vous vous rendez compte ? Dame Izanami ! Ce petit est mort, il s'est fait tué par l'enfant de l'autre Brillant, et le voilà qui vient de gober vos légions, votre bras droit, et maintenant, il se fout sur la tronche avec vos deux meilleurs combattants ! Ce gamin a un grain ! C'est incroyable de se dire que ce petit est ma chaire !

Incroyable... Ce n'est pas le terme que j'utiliserais, en réalité, je ne trouve pas ça surprenant du tout...

- Je dois vous rappeler que quand vous êtes arrivée ici, vous m'avez provoquée en duel, tout ça sous prétexte que, et je cite " Mes fils ont encore besoin de leur maman, dégage la décrépie si tu ne veux pas que je te foute sur la tronche. ". J'aurais plutôt du mal à croire qu'il est le fils de quelqu'un d'autre à bien y réfléchir. Si votre Kotodama n'était pas aussi puissant, je vous aurais exterminé sur-le-champ sans la moindre discussion.

Akari Kudo, une femme qu'on pourrait qualifier d'étrange. L'une des rares personnes à avoir atteint le Yomi avant de passer par les étapes qui le précédent. Quand elle apparut devant moi, encore " vivante ", je n'en crus pas mes yeux. Elle rayonnait. Elle était un paradoxe en ce monde de souillure, de ténèbres, son corps était mort, mais son âme, elle, était encore bien vivante, et encore aujourd'hui, elle l'est. Ce n'est qu'après l'avoir vue faire face à mes légions, et mon dernier rempart que je compris ce qu'elle était.

Au pays du soleil levant, existe encore une vieille croyance, de nombreux autres pays l'ont oublié, mais en ce lieu, elle survit. Le Kotodama, la croyance comme quoi, les dieux, les esprits, habitent chacun des mots et leur donnent une puissance, un pouvoir particulier. Chez certains, ce " Kotodama " est pratiquement inexistant. C'est le cas d'une grande majorité des personnes peuplant les villes. Dans des lieux ou la technologie et la science ont remplacé les croyances et les superstitions, ceux ou l'esprit est remplacé par la matière, ces " pouvoirs " sont d'une rareté inouïe. Mais en campagnes, dans des milieux ou la religion et la spiritualités sont encore bien vivant, ils sont plus courant. Bien sûr, à certains degrés, toutes les personnes ne se valent pas à ce regard, mais même si faible, il est moins inhabituel de voir les résultats de ce " kotodama "... Et parmis ces quelques-uns, possédant une forme de kotodama, il en existe, dont la puissance est rare.
Je domine le monde des morts depuis des éons, avant que le soleil ne se lève, que le vent ne souffle pour la première fois, et que la première lune n'éclaire la nuit. Jamais, je n'avais vu une personne dont le kotodama surpassait celui d'Akari... Je m'en souviens comme si c'était hier.
Elle venait d'arriver, sa mort était des plus récentes, une heure maximum. Et pourtant, elle atterrissait ici, ayant échappé aux épreuves d'Enma, elle se présentait dans mon domaine. Des flammes dans les yeux, féroces, enragée.
À cette époque, le Geôlier était encore l'ex Kensei Miyamoto Musashi. Un guerrier légendaire, invaincu, et grand philosophe. Un homme sage... Où le pensais-je.
" Dégage le vieux, j'ai pas d'temps à perdre ici ! Mes fils sont encore en haut ! J'dois les r'joindre et les protéger ! "
Malheureusement, si puissant, si sage était-il, un homme, restait un homme. Musashi était mort en 1645, à cette époque, il était rare d'entendre une femme parlait de la sorte... Son japonais était viril*, il était celui d'une femme qui ne craignait pas l'affrontement, à l'époque, nous ignorions tout de cette pauvre dame. De son histoire, de sa vie, et des raisons de sa mort. Mais sa manière de s'exprimer, sa posture, sa voix, pour un homme d'un autre âge, le choc fut trop grand.
Sans attendre, il dégainait son arme. Le Kensei se tenait prêt à l'affrontement. Ses légions s'arrachant de la terre, éclipsant le lac auquel il tournait le dos. Un Kiai* traversa les ténèbres... Et fut rapidement interrompu.
" Disparais. "
Comme s'il n'avait jamais existé, Musashi, s'était éteint.
" Vous aussi, hors de ma vue ".
Ce fut ensuite le tour de ses légions. Une infinité d'esprits guerriers. Lame dressée vers le ciel d'encre, comme un mirage, disparurent sans laisser de traces. À leur place, droite, les yeux rivés sur mon foyer, scrutant le liquide bouillonnant qui nous séparait, se tenait la petite dame.
Cette vision était surnaturelle, même pour moi. Comment une si petite chose pouvait abriter une puissance pareille ? Elle était belle, pour être franche, elle me faisait un peu pensée à la fille de mon ancien fiancé Izanagi. Amaterasu. Elle lui ressemblait fort... Ou lui ressemblerait, si Amaterasu était une Yankee... Des cheveux d'un noir de jais qui tombait jusqu'à son bassin, en bataille. Des traits fins, qui présageaient un sourire qui illuminerait le monde, pourtant déformé par une grimace digne d'un Oni. Une musculature inhabituelle pour une dame, la femme n'avait de toute évidence pas eu le droit à une vie " normale ". Un corps couvert de nombreuses cicatrices, à l'instar d'un champ de bataille sur lesquelles les obus s'étaient écrasés, le corps de la dame était couvert de ce qui dut être des coups de lames, des impacts de balle... Mais par dessus tout, un regard de prédateur. Un regard qui me fit trembler, moi, la maîtresse du royaume des morts. Un regard dans lequel un brasier enragé brûlait. Une flamme qui menaçait d'engloutir ce monde.
" C'est quoi qu'vous n'avez pas compris ? ! Dégagez ! Tous ! "
Et à ces mots, Vitriol, le Grand Lac, celui qui arrêta par le passé le légendaire Benkkei, s'évapora. Je n'avais jamais vu une chose similaire. Le meilleur rempart du monde des morts, celui dont aucun esprit ne put s'échapper, avait disparu. Il n'en restait pas la moindre goutte. Et à sa place, marchait tranquillement, une petite femme qui se dirigeait vers moi.
" Izanami, Déesse des morts, j'ai toujours vénéré, et honoré les dieux, mais si tu te mets entre moi, et mes enfants, je te fais la promesse de te faire regretter ton existence. Mes fils ont encore besoin de leur maman, alors, dégage la décrépie si tu ne veux pas que je te foute sur la tronche. "
Je fus figée par ses mots. Une mortelle, menaçait, une déesse, je n'en croyais pas mes yeux. Et pourtant, malgré notre différence de statuts, ses menaces résonnèrent en moi. Elle était sérieuse, et avait probablement la capacité de me mettre à mal. Ainsi, je lui fis une proposition.
- Akari Kudo, ta mort, fut précipitée, malgré tout, je ne peux t'autoriser à traverser cette porte. Il est hors de question que tu ne retournes parmi les vivants... Néanmoins, je te propose un marché. Si tu acceptes de rester parmi nous, de ne pas gêner ce monde, de respecter l'ordre naturel, je te fais la promesse, moi, Izanami, de protéger tes enfants. Tant que je serais la maîtresse des morts, il ne leur arrivera rien, ces enfants auront ma bénédiction. Il est des choses que les humains peuvent obtenir par eux même, et d'autre pour lesquels ils ne peuvent rien faire. Tant que je serais là, aucune de leurs blessures ne peinera à se refermer, et je m'assurerais qu'ils soient accueillis par un homme bon qui s'occupera d'eux comme de ses propres fils. Que dis-tu de cela ? Il existe même en ce lieu, un étang, dont l'eau reflète le monde d'au-dessus. En plongeant ton regard dans ses vagues, tu pourras observer chacun des faits et gestes de tes enfants. Ce marché, te parait-il équitable ?
Il me fallut bien du temps, mais je finis par la convaincre. Akari Kudo, resterait parmi nous, elle ne mangerait que ce qu'elle décidait de manger, et userait de son Kotodama quand elle le désirerait, mais elle ne gênerait pas l'ordre naturel de la vie et de la mort.

- En même temps, vous vouliez m'empêcher de revoir mes fils. On ne se met pas en travers du chemin d'une maman... Aller mon chéri, montre moi ce que tu sais faire maintenant... Je veux te voir traverser ce Lac, viens faire un calin à ta maman.

* Kiai : Le Kiai est un cri rituel dans la culture japonaise, on lui accorde des pouvoirs spirituels particulier. Une légende parlerait même d'un homme ayant rendu la vie à un oiseau grâce à son cri.

* Japonais viril : Le japonais est une langue très codifiée, les hommes et les femmes ne parlent pas exactement le même japonais. Il existe un japonais viril et un japonais féminin. Exemple bête : Pour dire délicieux, en japonais, on dit " Umaï ", les femmes diront " Umaï ", les hommes diront " Ume " ( en prononçant le E de UmE comme un é ).

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