Chapitre 24 Le Vide
Imaginez-vous assis dans un petit salon, sur un canapé blanc écru.
Mal à l’aise, vous croisez et décroisez les mains sur les genoux.
Un peu comme la gêne d’un premier rendez-vous chez un psychologue.
Assise en face de vous, sur une liseuse noire, les genoux croisés l’un sur l’autre, une ombre — vaguement humaine — garde le silence.
La seule chose que vous savez, c’est que cette personne a sonné à votre porte… et s’est engouffrée chez vous dès que vous l’avez ouverte, pour s’installer dans votre fauteuil préféré sans vous demander votre avis.
C’est bon, vous visualisez la scène ?
Je commence.
Je triture mes doigts pour la cinq-centième fois.
— Euh… Bonjour.
Silence.
— Vous… vous êtes qui ?
Oui, je sais, il y a mieux comme entrée en matière.
Mais vous comprendrez que je ne me sens pas très bien.
L’étrange personne a apporté avec elle une atmosphère lourde, celle d’un orage d’été sur le point d’éclater.
— Un cookie ? Un verre d’eau ?
L’ombre ne répond pas, mais se lève lentement et me toise de toute sa hauteur.
Ma respiration s’accélère.
Mon esprit se vide.
Je ne ressens plus rien, sinon cette anxiété insupportable qui monte, qui monte, qui monte...
Elle me submerge, et je m’enfonce en pleurant dans les coussins.
J’essaie désespérément de respirer — c’est la seule chose sur laquelle je parviens encore à me concentrer.
Aussi brusquement qu’elle s’était approchée, l’ombre recule.
Et le flot de pensées qui, d’ordinaire, encombre mon esprit, revient d’un coup.
J’essuie mes larmes, je respire plus librement.
— Putain...
— Non. Vide.
Je lâche un rire entre larmes et incrédulité.
— Je n’ai jamais dit que c’était ton nom...
- Si. Mon nom est Vide, réitère l’ombre avec un grand sérieux.
- Je sais, je sais. On n’est… pas copains. Mais on se connaît bien. T’es pas le meilleur pote d’Angoisse ?
- C’est ma collègue de travail.
Je lâche un juron. C’était censé être une blague.
— Donc, si j’ai bien compris, t’arrives, tu bloques la positivité, histoire qu’elle puisse prendre toute la place et me rendre folle ?
— On peut dire ça.
— J’ai une question.
— Oui ?
— Tu n’es pas le jumeau infernal ? Il n’y a pas… un autre Vide ? Celui qui m’envahit quand je suis à l’église, quand je chante… ou quand je l’embrasse ?
— Si.
— Waouh. Eh bah… tu lui diras que la prochaine fois, je le préférerais lui.
— Je passerai le message.
— Cool. Eh bah… pas merci d’être passé, en tout cas.
— Je ne suis pas là pour ça.
— Ah non ? Tu es là pour quoi ?
— Je suis là pour t’apprendre quelque chose. Ce vide que j’apporte…
— Oui ?
— Tu peux apprendre à en faire une force. Ton anxiété. Ce vide que tu ressens… c’est le manque de Lui. Et tu le sais.
— Oui...
- Tu peux prendre ces crises comme des rappels. Grandir de fierté chaque fois que tu en ressors vivante. Ne pas oublier que c’est le revers de la médaille d’une grande sensibilité, qui te permet de vivre tout intensément. C’est le reflet d’une empathie, d’une inquiétude pour les autres, qui fait de toi une personne forte.
— Je vois.
— Je sais que tu ne me crois pas.
— Pas vraiment, non.
- Mais… moi je l’ai vu. Cette volonté d’avancer malgré tout. Et cette force, qui m’éloigne peu à peu. Angoisse aussi. On l’a vue. Alors courage. Ce n’est pas la fin. C’est le début de l’aventure.
Je lève la main pour l’arrêter après cette fin de conversation un peu bidon… Mais Vide a déjà disparu, me laissant seule avec une liseuse noire qui semble un peu… vide, désormais.
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