Chapitre 40 Il était lourd le bougre
Je l’ai enterré au fond du jardin.
J’ai creusé le trou seule.
Il faut croire que la haine donne des ailes. De la force.
J’ai peiné à le traîner jusque-là. Il était lourd, le bougre.
(Sourire ironique.)
Je le savais bien. Je l’ai senti son poids le jour où il s'était allongé de tout son long sur moi.
Je l’ai fait seule. Personne ne m’a aidée. C’était ma vengeance.
Il m’a brisée. Il m’a pris ma vie.
Je devais lui prendre la sienne.
Ce n’était que justice.
Justice.
(Rire hystérique.)
Vous n’avez que ce mot à la bouche. Pourtant vous l’excusez.
Trop courte. Trop de regards. Trop.
J’étais trop.
Alors j’ai décidé d’être trop.
Je l’ai tué.
Oh, j’ai pleuré.
On ne donne pas la mort aussi facilement.
Quand j’ai senti son sang chaud sur mes doigts, j’ai vomi.
J’aurais bien voulu lui couper les couilles. Mais à quoi bon ?
Il était mort.
(Murmure inaudible. Puis cri.)
Mais quand je suis revenue ce matin… le trou était vide !
Il n’y était plus !
Je ne deviens pas folle.
Je sais que je l’ai tué.
Il est mort.
Je suis enfin libre—
(Coupure.)
Le docteur arrête la vidéo et se tourne vers sa collègue.
- Elle a tout imaginé… C’est sa façon de supporter la douleur. Mais au fond, elle sait que ce n’est pas arrivé. Alors son cerveau invente « le vol du corps ».
Dans un coin de la pièce, j’observe et je prends des notes.
Cette histoire paraîtra bientôt dans une étude sur l’état psychologique des victimes de viol et leur rapport à la justice après le trauma.
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