Chapitre 41 Sous les ruelles oubliées
"Douce France, déchirée par la Révolution des idées. Tu as fait du droit ton pilier, mais chaque jour, ceux qui s’en réclament le piétinent autant que ceux qui prétendent le défendre."
Les mots, tracés au charbon sur la pierre froide, défiaient encore le temps et les intempéries.
Majuscules rageuses, gravées comme une prière ou une condamnation, sur le mur nu de l’église en ruine.
Innela s’arrêta devant l’inscription. Ses sourcils se froncèrent, mais elle ne dit rien. La combinaison gris foncé qu’elle portait, uniforme imposé à la classe S, masquait jusqu’à sa silhouette.
Ses cheveux coupés courts lui donnaient un air neutre, presque impersonnel. Dans ses yeux vides, aucune émotion ne filtrait.
On l’avait élevée comme tous les enfants de son année, l’Année I : conçue en laboratoire, élevée dans le Système I.
Là-bas, on leur enseignait leurs droits, leurs devoirs, et surtout l’illusion que tout cela était juste.
Les notes obtenues aux évaluations suffisaient à déterminer leur futur métier — une place attribuée dans la mécanique implacable d’une société réglée comme une horloge.
Personne ne parlait. Personne ne rêvait. L’idée même de vivre autrement n’existait pas.
Le mot "bonheur" n’était qu’un slogan. Une prospérité matérielle sans couleur, sans art, sans folie.
"La liberté divise. L’ordre unit."
"Votre devoir, notre avenir."
"Obéir, c’est prospérer."
"Une société sans choix, une vie sans erreurs."
"Tout pour la Nation, rien pour l’individu."
"Le travail rend digne, la contestation détruit."
"Le confort est le seul bonheur."
"Moins de désirs, plus de paix."
"Posséder suffit à sourire."
"Une vie réglée est une vie comblée."
"Pas d’art, pas de chaos. Pas de chaos, pas de douleur."
"Votre futur est déjà écrit : suivez-le."
"Le mérite ne trompe pas. L’obéissance non plus."
"Vous êtes l’élite, car vous ne choisissez pas."
"Les émotions sont faiblesse. La raison est force."
"Grandir, c’est apprendre à se taire."
"Regardez droit devant. Nulle part ailleurs."
"La révolte commence dans un murmure. Étouffez-la."
"Les murs écoutent. Les murs se souviennent."
"La Nation veille. Dormez tranquille."
"Unité ou ruine."
Mais dans les campagnes délaissées, dans les ruelles sombres et oubliées, montait un souffle. Un chant discret d’abord, presque une prière. Puis un battement. Un appel à la révolte, à la fête, à la reconquête. Un murmure qui refusait de mourir.
"Lever le Soleil"
Couplet 1
Nous étions nés derrière des murs,
Oubliés des plaines, des labours.
Des chiffres peints sur nos poignets,
Pas de passé, pas d’avenir tracé.
On nous disait : “Servez en silence.”
On nous volait jusqu’à l’espérance.
Mais dans nos veines, le feu battait —
La nuit tremble, l’aube renaît.
Refrain
Brisez les chaînes, brisez les murs !
Le vent se lève, brûle l’azur !
Levez la tête, ouvrez vos mains,
Le soleil revient demain.
Couplet 2
On nous dressait contre nos frères,
À genoux devant la pierre.
Leurs lois froides, leurs vérités,
Ont fissuré nos volontés.
Sous les ruelles, dans les campagnes,
Un chant s’élève, un cri qui gagne :
Même les ombres dans les cachots
Apprennent nos mots, nos échos.
Refrain
Brisez les chaînes, brisez les murs !
Le vent se lève, brûle l’azur !
Levez la tête, ouvrez vos mains,
Le soleil revient demain.
Pont (murmuré, presque une prière)
Pas d’art, pas de joie, pas de fête —
Ils nous voulaient morts en silence.
Mais la nuit, nos voix secrètes
Tissent un feu sous la souffrance.
(Chanté crescendo, cri final)
Un feu ! Un feu ! Un feu !
Refrain final (hurlé)
Brisez les chaînes, brisez les murs !
Le vent se lève, brûle l’azur !
Levez la tête, ouvrez vos mains,
Le soleil revient demain !
Annotations
Versions