Chapitre XI : Une confession et un cadeau
Aujourd’hui, c’est mon anniversaire. Aujourd’hui j’ai dix-huit ans. Je ne pensais pas que mes parents accepteraient de faire une fête. Qu’elle ne fut pas ma surprise, hier soir, en apprenant que tous mes amis seraient là aujourd’hui pour célébrer ma majorité. Enfin, je ne me laisse pas berner ; mes parents n’avaient pas l’air très enchantés et je suis certaine qu’une certaine personne – ai-je besoin de préciser qu’il s’agit d’Hannah ? – a insisté un peu beaucoup.
C’est comme ça que j’en viens à fouiller ma garde-robe après une tenue adaptée à ce jour. Dois-je mettre des jolis vêtements, ou des basiques ? La dernière fois que j’ai fait un effort vestimentaire, ma mère a été la seule à me complimenter, ce qui est rare, je vous l’accorde, mais ce n’est pas son attention à elle que je voulais attirer. Je voulais que Finn me dise à quel point j’étais belle. Mais je me demande si, finalement, notre moment à deux n’a pas été meilleur.
Nous n’en avons pas reparlé. C’était il y a un peu moins d’une semaine et nous n’avons pas une seule fois abordé le sujet Peut-être qu’il regrette ? Mais l’atmosphère entre nous est… différente. Oui, c’est le mot. Nous nous sourions plus, nous évitons de nous prendre la tête pour rien – ce qui était plutôt régulier avant. Je le surprends même parfois à me regarder quand il pense que je ne le remarque pas.
Jamais au grand jamais je n’aurais imaginé ma vie ainsi au début de cette nouvelle – et dernière – année scolaire. Je croyais que je serais encore cette fille invisible aux yeux de tous, cachée derrière ses deux meilleures amies.
En parlant d’elles, j’entends soudain leurs voix au rez-de-chaussée. Je les reconnais immédiatement. Le ton d’Hannah est enjoué, elle parait surexcitée, mais surtout, elle parle fort. Très fort. Parfois c’est une bonne chose quand, comme moi, on n’a pas une ouïe surdéveloppée, mais d’autres fois, ce n’est bon qu’à nous casser les oreilles. Contrairement à Hannah, Lise est plus calme, mais ça ne m’empêche pas de reconnaitre le son de sa voix quand je l’entends.
Des pas précipités se font entendre dans les escaliers – j’espère que ça fait râler mes parents – puis la porte de ma chambre s’ouvre à la volée pour laisser apparaitre Hannah, suivie de près par Lise. Toutes deux arborent un immense sourire.
— J’espère que tu es prête, Jess, déclare Hannah. Parce qu’on va te rendre irrésistible pour ton beau Finn.
Je peine à réprimer le petit sourire qui apparait sur mes lèvres. Elles sont vraiment incorrigibles, ma parole !
— Chérie, on ne va pas te transformer en quelqu’un que tu n’es pas, intervient alors Lise. On va juste faire ressortir ce que tu préfères chez toi, ce qui te rends unique aux yeux du monde. D’accord ?
J’acquiesce vigoureusement. Ma peur quand je m’habille différemment, c’est de me transformer en une personne différente. Je refuse que mon apparence désigne qui je suis, mais quand je me force à porter des vêtements que je n’aime pas, j’ai l’impression de ne pas me respecter.
Il y a encore quelques semaines, je faisais tout pour être plus belle, plus attirante. Je me focalisais sur Marion en essayant de devenir sa propre personne. Mais j’ai lamentablement échoué à ma tâche. Je ne suis pas Marion, et je ne serais jamais elle, j’ai fini par m’en rendre compte. Maintenant, comme l’a dit Lise, je tente de rester moi-même – ou du moins j’essaie le plus souvent.
— Maintenant, on va faire un exercice. Viens.
Je m’approche de Hannah qui se tient devant mon grand miroir, un sourire énigmatique scotché aux lèvres. Je déteste ne pas savoir ce que je vais faire, mais quand il s’agit d’Hannah, je me résigne car je sais que je ne pourrai pas la changer.
Je me positionne face à la glace comme me l’indique mon amie et j’attends qu’elle m’explique ce qu’elle attend de moi.
— Regarde-toi et dis-moi tout ce que tu aimes sur ton corps.
Je fronce les sourcils d’incompréhension. Mais qu’est-ce qu’elle me raconte ? Elle claque sa langue et argumente.
— Dieu sait que tu n’as pas confiance en toi, et on va t’aider à changer ça. Et pour commencer, il faut que tu apprennes à t’aimer, que tu apprennes à aimer ton corps.
OK, là, elle me fout vraiment les jetons. Je n’ai pas l’habitude qu’on m’aide à m’apprécier. D’ailleurs, quand on écoute ma mère, elle préfèrerait tout changer chez moi pour que je devienne son double, son clone. C’est la première fois qu’on m’aide à m’aimer et ça me donne chaud au cœur. Je suis émue par leur geste.
Alors, je regarde le miroir et je me scrute à la recherche de quelque chose de beau, d’un détail qui pourrait me démarquer. Mais je ne vois rien. Rien à part des cheveux auburn en pagaille, des bras ballants le long de mon corps, des bourrelets sur les côtés, des grosses cuisses. Comment je pourrais apprendre à aimer mon corps ?
Je secoue la tête, affligée.
— Il n’y a rien. Comment pouvez-vous penser qu’il y a quelque chose de beau chez moi ? Comment pouvez-vous penser que quelqu’un s’intéressera un jour à moi ?
Je sens les larmes me monter aux yeux. Mes amies semblent désemparées devant mon malheur, et je les comprends. À leur place, je n’aurais même pas essayé de trouver du bon chez moi. Je me serais découragée avant même d’avoir essayé.
Je vois Lise ouvrir la bouche, comme si elle voulait me répondre, mais ma mère ne lui en laisse pas le temps. La porte de ma chambre s’ouvre à la volée et sa silhouette apparait dans l’encadrement. Les traits de son visage sont déformés par la colère. Elle me regarde, les bras croisés sur sa poitrine, et c’est comme si ses yeux me jetaient des éclairs.
— Jessie Elisabeth Morgan, nous devons parler.
Ça, ça ne sent pas bon. Il est rare que ma mère m’appelle par mon nom entier et, généralement, le fait qu’elle le fasse ne présage rien de bon. C’est même mauvais signe. Et, là, tout de suite, un sermon est la dernière chose dont j’ai besoin.
— Ecoute, maman, ça ne peut pas attendre ?
Elle secoue négativement la tête et s’empresse d’ajouter :
— Non, c’est urgent.
Elle claque la porte et entre dans ma chambre d’un pas décidé. Je n’ai pas le temps de dire quoi que ce soit qu’elle s’assied sur mon lit et croise les jambes. Je vois qu’elle lance un regard mauvais à mes amies, mais celles-ci n’ont en aucun cas l’intention de quitter la pièce. De toute façon, même si l’envie les prenait, je les ferais rentrer – de force s’il le faut, mais je refuse de me retrouver seule avec ma mère en colère.
Elle n’a jamais levé la main sur moi, mais je préfère rester sur mes gardes avec elle. Je sais que jamais elle ne me frapperait, simplement, quand elle est en colère – vraiment – on ne peut jamais prédire les paroles qui vont lui échapper.
— Que fais-tu ? me demande-t-elle avec dédain.
— Elle apprend à s’aimer, répond Hannah en me coupant l’herbe sous le pied. Car, visiblement, personne ne lui a jamais dit à quel point elle est merveilleuse.
Ma mère dévisage un instant ma meilleure amie qui semble sur le point d’exploser, puis elle détourne le regard pour m’observer.
— Je suis d’accord avec toi. Et c’est de ma faute. Je m’en rends compte, maintenant.
Je fronce les sourcils. Les yeux de ma mère brillent, et ce n’est pas de colère. Ou du moins, sa rage n’est pas dirigée vers moi. Son regard est brillant de larmes contenues, comme si elle pouvait se laisser aller dans les secondes à venir.
— Maman, qu’est-ce que tu racontes ?
— En passant dans le couloir, j’ai entendu comment tu parlais de toi et ça m’a brisé le cœur de voir à quel point ton estime de toi est basse. Je m’en veux terriblement parce que j’ai l’impression que c’est de ma faute si tu as si peu confiance en toi.
Elle renifle pour refouler ses émotions, et c’est comme si mon monde se détruisait encore un peu. Pourquoi toutes mes certitudes sont-elles autant bouleversées, ces temps-ci ?
— J’aurais dû être bien plus présente pour toi depuis le début, continue ma mère. Et maintenant, par ma faute, tu te dévalorises injustement. Je ne suis pas la meilleure pour donner des messages de réconfort, encore moins pour encourager les autres. Mais sache que tu es une jeune femme merveilleuse, et je trouve triste que tu ne t’en rendes pas compte.
Maintenant, imaginez-vous à ma place. Imaginez que votre mère a toujours profité de la moindre situation pour vous rabaisser et vous rappeler à quel point elle est mieux que vous dans tout ce que vous entreprenez. Ajoutez à ça qu’elle vous a toujours tenue responsable de quelque chose que vous n’avez jamais fait, vous enfermant par la même occasion dans le pire des silences. Et puis, soudain, le jour de vos dix-huit ans, elle vient vous voir en pleurant pour vous dire qu’elle vous aime au moins un peu et que c’est ridicule que vous n’ayez pas confiance en vous.
Je ne sais pas si son aveu doit me faire rire ou me faire pleurer. Je ne sais pas non plus si je dois douter de ses propos, si elle est réellement honnête ou si elle me ment délibérément droit dans les yeux. Je n’en sais rien et ça me tord douloureusement le ventre.
— Vous ne trouvez pas que c’est un peu tard pour lui dire tout ça ? intervient Lise.
— Je ne t’ai pas demandé ton avis, siffle ma mère entre ses dents.
Mes amies la dévisagent dans un geste presque synchronisé, mais ma mère ne semble pas s’en soucier. Elle me regarde intensément, attendant sans doute une réaction de ma part.
— Elle a raison, maman. Tu ne peux pas me critique pendant dix-huit ans, puis soudain me dire à quel point tu me trouves merveilleuse. Ça ne fonctionne pas comme ça. Mais malgré ça… je suis contente que tu me l’aie dit.
Son visage d’abord chiffonné par mes premières paroles se détend en entendant les dernières.
— Je me doute que tu m’en veux, et c’est totalement justifié, ajoute-t-elle. Mais je tiens à te dire que quoi qu’il arrive, je serai toujours là pour toi. Quoi qu’il arrive. Et je suis désolée que tu aie pensé le contraire.
J’acquiesce, ne voyant rien à répondre. D’accord, elle vient de s’excuser. Mais si elle croit que quelques mots pourront effacer des années de solitude, elle se fourre les doigts dans l’œil. Elle semble le comprendre parce qu’elle finit par se lever de mon lit et inspirant profondément.
— Pour ce que ça vaut, bien que tout soit magnifique chez toi, j’aime particulièrement tes yeux et tes jambes. Elles sont à mettre en valeur.
Je lui souris, essayant de camoufler les larmes qui bataillent derrière mes yeux.
— Merci, je souffle.
Elle hoche la tête, comme pour accepter mes remerciements, puis tourne les talons et quitte la petite pièce qui me sert de chambre, laissant derrière elle son semblant d’affection pour moi. Quand elle est loin, Hannah laisse échapper un long sifflement.
— Eh bien ! Elle en a du culot, ta mère ! fulmine-t-elle.
Lise lui donne un coup de coude dans les côtes avant de répliquer.
— Elle a du culot, c’est vrai, mais c’est gentil ce qu’elle vient de dire.
J’acquiesce. Je suis d’accord avec elle. Je ne suis pas encore prête à tout lui pardonner, c’est vrai, mais je peux lui laisser une chance, lui donner l’opportunité de faire ses preuves. Après tout, il s’agit de ma mère. Je ne peux pas lui fermer les portes de mon cœur indéfiniment. Parce que malgré tout ce qu’elle m’a fait, on a tous besoin d’une famille à aimer et qui nous aime en retour.
— Mouais, abdique Hannah. Si tu le dis.
Ensuite, elle tourne ses yeux vers moi et me scrute de haut en bas.
— Bon, déclare-t-elle en tapant dans ses mains. C’était bien beau tout ça, mais maintenant, tu vas te regarder dans se miroir, Jess, et me dire tout ce que tu aimes chez toi. Hop, hop, hop, on se dépêche !
Cette fois, c’est avec un grand sourire aux lèvres que je me tourne vers la glace pour me trouver face à mon reflet.
— Tu es magnifique, Chérie, me complimente Lise.
Je tourne sur moi-même pour me regarder sous toutes les coutures, et je me dois de la rejoindre sur ce point. Après un long moment à chercher sur mon corps tout ce que j’aimais, mes amies m’ont aidée à trouver les vêtements qui m’iraient le mieux. Pendant que Hannah cherchait dans ma trousse de maquillage après quelque chose de discret, Lise m’a observée un moment pour définir quelle coiffure m’irait le mieux. Maintenant, presque une heure et demi a passée et je ne me suis jamais trouvée aussi belle.
Mes yeux. C’est la première chose que j’ai trouvé de beau chez moi. La couleur miel – presque or – de mon iris est le détail le plus beau sur mon corps. Pour mettre cette partie davantage en valeur, Hannah m’a recourbé les cils et a peint ceux-ci de mascara noir. Maintenant, quand on regarde mon visage, mes yeux sont la première chose qu’on voit.
Ensuite, j’ai réussi à trouver un charme à ma taille. Dit comme ça, je m’accorde à trouver ça étrange, c’est vrai. Mais la transition entre mon ventre et mes hanches m’a toujours semblée naturelle, presque jolie. C’est pour ça que je me suis vêtue d’un jeans bleu délavé et attaché à la taille par une ceinture de cuir noir.
Et puis, enfin, j’ai essayé de trouver quelque chose de beau à mes cheveux. Malheureusement, ça a été difficile, mais nous avons trouvé un t-shirt large d’un vert kaki qui se marie très bien avec la couleur de mes cheveux.
Une fois complètement habillée, il a fallu qu’on passe à la coiffure. Lise a cherché longtemps, mais une idée a illuminé son visage et elle a réussi à me faire apprécier ma couleur. Elle a attaché mes mèches de devant en demi-queue qu’elle a attachée à l’aide d’une pince noire à l’arrière, et elle m’a bouclé les cheveux.
Je me suis rarement trouvée aussi belle. Non, en fait, ce n’est jamais arrivé. Mes amies ont réussi à faire sortir ce que je trouve beau chez moi pour qu’on ne remarque pas mes complexes, exactement comme elles me l’avaient promis.
— Maintenant, allons faire la fête ! s’exclame Hannah, nous faisant rire Lise et moi.
Elle semble encore plus impatiente que moi à l’idée de ma fête d’anniversaire, je trouve ça drôle. Mais ce n’est que maintenant que je me rends compte que je ne sais rien de ce qu’il va se passer après.
— Qui vient ? je les questionne donc.
— Oh, je n’ai pas invité grand monde, répond Hannah. Je me suis dit que tu préfèrerais sans doute faire ça en petit groupe. Il y aura toi, moi, Lise, tes parents, Sam et ton Finn adoré.
Je lève les yeux au ciel à l’entente du « ton Finn adoré », mais je ne fais aucun commentaire. Après tout, je ne suis pas très bien placée pour en faire. Alors à la place, j’esquive le sujet en la lançant sur un autre.
— D’ailleurs, comment ça se passe avec Sam ?
Les yeux de mon amie s’illuminent immédiatement et elle se lance dans son récit, des étoiles dans les yeux.
— Il est incroyable ! Tu n’imagines pas à quel point. Il est si gentil et attentionné avec moi ! Après la sortie au bowling, on a échangé nos numéros et il ne se passe pas un jour sans qu’on se parle, maintenant. Il m’a même proposé qu’on aille au cinéma ensemble, un de ces jours.
— Mais c’est génial, Hannah, je m’extasie. C’est vraiment quelqu’un de bien, je suis contente pour vous.
Elle parait fière d’elle puis me relance sur le Sujet Finn.
— Tiens, mais en parlant de cinéma, ne crois pas qu’on ait oublié ton message de la dernière fois !
Lise approuve d’un signe de tête les dires de notre amie. Je sens mes joues rougir. Quand je leur ai envoyé un message après le cinéma, elles sont devenues complètement folles, mais je n’ai pas pris la peine de répondre au trois-cent-soixante-huit messages – le nombre exacte – qu’elles m’avaient envoyé. Ensuite, on ne s’est plus beaucoup croisées pendant la semaine qui a suivi. Mais maintenant que je suis face à elles, je suis obligée de répondre à leurs questions.
— Eh bien, je crois qu’il n’y a rien à ajouter, je bredouille.
— JESS, FINN T’A EMBRASSÉE ET TU OSES DIRE QU’IL N’Y A RIEN À AJOUTER ?! s’exclame Hannah, me faisant sursauter par la même occasion.
Au même moment, des pas se font à nouveau entendre dans les escaliers, suivis par des coups frappés à la porte. Je fusille Hannah du regard alors que le battant s’ouvre sur… Oh mon dieu, sur Finn. Hannah vient de hurler à travers toute la maison que Finn m’a embrassée et le voilà qui débarque dans ma chambre à peine quelques secondes plus tard.
— Hannah Green, je vais te tuer, je marmonne.
Mon amie m’offre un sourire plein de sous-entendus avant de se tourner vers le nouvel arrivant.
— Finn ! On est si contentes de te voir ! Qu’est-ce que tu fais là ?
— Je viens pour l’anniversaire de Jessie, répond-il avec un sourire amusé.
— Non, je veux dire qu’est-ce que tu fais là, dans sa chambre ? réplique Hannah, exaspérée.
— Ses parents n’avaient pas l’air très heureux de partager ma compagnie et m’ont fortement recommandé de monter vous rejoindre.
Hannah le dévisage de la tête aux pieds, cherchant la moindre trace d’un mensonge, mais elle ne trouve rien. Évidemment. Je n’ai même pas besoin de douter de la sincérité de ses propos, ça ressemble tellement à mes parents de faire ce genre de choses. Malgré la discussion que j’ai eu avec ma mère tout à l’heure, je ne peux pas imaginer qu’ils aient changé en un claquement de doigts.
Là, Finn se tourne vers moi et nos regards se croisent. Il me sourit et je lui souris aussi. C’est la plus belle image qui m’ait été donnée de voir.
— Trop d’amour dans la pièce ! s’exclame Hannah. Allez viens Lise, je dois te montrer un truc.
Et c’est comme ça que mes amies quittent ma chambre en courant, nous laissant seuls Finn et moi. Je les déteste.
— Bon anniversaire, souffle Finn en s’approchant de moi.
— Merci, je lui réponds en souriant un peu plus.
Quand il se rapproche, je dois lever la tête pour ne pas perdre le contact visuel. Même au-delà de mon mètre septante, il fait encore une tête en plus que moi.
— Tu es très belle, aujourd’hui, me complimente-t-il.
Je me sens pousser des ailes et mes joues rougissent. Il a remarqué que je m’étais apprêtée, et ça me fait plaisir.
— Enfin, tu es très belle tous les jours, se reprend-il.
— J’ai compris, ne t’inquiète pas, je lui réponds. Et c’est gentil, merci.
Nos regards restent scellés pendant de longues secondes, et je jurerai que ses yeux se sont posés sur mes lèvres. Cependant, je ne m’emballe pas, rien n’est sûr. Il a peut-être remarqué quelque chose d’anormal sur mon menton, quelque chose comme ça.
Il se racle la gorge et fouille dans ses poches.
— J’ai un cadeau pour toi, me confie-t-il.
— Oh. Mais il ne fallait pas, tu sais.
— Si, si, j’insiste.
Je n’ajoute rien. Après tout, s’il veut me faire un cadeau, pourquoi l’en empêcher ? J’observe ses moindres faits et gestes. Je dois ressembler à une vraie obsédée, mais ce n’est pas grave. J’espère qu’il va remarquer à quel point il compte pour moi, maintenant.
Il finit par sortir un petit écrin noir et me le tend. Va-t-il me demander en mariage ? Non. Sinon, il se serait mis à genoux et m’aurait ouvert la petite boite de velours dans un geste théâtral. Mais à la place, il se contente de la déposer dans mes mains et de me fixer, attendant sûrement que je l’ouvre.
Je ne me fais pas prier et soulève le couvercle. Un sourire prend place sur mes lèvres quand je remarque la petite chaîne couleur or que contient la boîte. Au milieu est accroché un petit pendentif en forme de…
— Une grenouille, je glousse.
Je lève les yeux et fixe Finn qui me regarde lui aussi. Mince, il est vraiment beau.
— Une grenouille, répète-t-il avec son irrésistible sourire en coin.
— Merci Finn. Je l’adore.
— Avec plaisir.
— Tu peux m’aider à l’accrocher ? Je lui demande.
Il acquiesce et se positionne dans mon dos. Je lui tends la chaîne et il repousse mes cheveux pour ne pas les emmêler dans le collier. Je le sens dans mon dos, sceller le bijou puis se reculer et remettre mes cheveux en place.
Je me retourne pour lui faire face à nouveau. C’est étrange comme notre relation à changer depuis ce cinéma. On est devenu plus proche et c’est vraiment déstabilisant.
Puis, sans que je m’y attende, Finn m’embrasse sur la joue. C’est léger, chaste, mais ça n’empêche pas les papillons de se propager dans mon ventre et mon cœur de battre plus fort.
Je n’ai pas le temps de dire quoi que ce soit car la porte de ma chambre s’ouvre brusquement en grand pour laisser entrer Sam, Lise et Hannah.
— Samy est dans la place ! T’es prêt à rejoindre les Totally Spies, Fifi ?
Tout le monde explose de rire. Je n’avais jamais remarqué, mais c’est vrai qu’on leur ressemble un peu, finalement. Avec ses beaux cheveux blonds, Lise serait Clover. Hannah serait Alex avec ses cheveux noirs et sa peau foncée. Et moi, eh bien je serais Sam avec mes cheveux roux. Heureusement, ces derniers ne sont pas si oranges que ceux du personnage de dessin animé.
— Ooh, Jess ! C’est Finn qui t’a offert ce collier ? s’exclame Hannah en se précipitant vers moi pour observer le bijou. C’est tellement mignon !
Je rougis et Finn acquiesce, visiblement fier de son coup. Il peut bien. Je crois que je ne quitterai plus jamais cette chaîne, maintenant. Elle reflète tellement notre relation avec Finn ! Ce petit surnom qu’il m’a attribué le lendemain même de notre contrat. Son surnom mignon comme il l’avait appelé.
— Épouse cet homme, me chuchote Hannah d’une manière tout sauf discrète à l’oreille.
Je deviens cramoisie alors que Finn affiche son éternel petit sourire en coin. Remarque-t-il seulement à quel point ce dernier me désarçonne complètement ? Je ne crois pas qu’il en ait pleinement conscience, et je ne sais pas si c’est une bonne chose ou si, au contraire, je dois m’en inquiéter.
— Maintenant, trêve de bavardages, on a un anniversaire à fêter ! s’exclame Lise en accrochant son bras au mien.
Je me laisse porter au rez-de-chaussée où m’attendent quelques paquets cadeaux ainsi qu’un immense tas d’affaires de camping. Il y a des tentes pliées, des oreilles, des matelas gonflables. Et puis, bien sûr, il y a de la nourriture – beaucoup de nourriture.
— On va camper ? je demande.
— Et comment ! s’exclame Sam. En plus de camper, on va dormir à la belle étoile, dans des tentes, dans ton jardin.
— Tu viens clairement de définir le principe même de camper, rétorque Hannah avec un sourire.
— Je dis ce que je veux, amie de petite tête !
— J’ai un prénom ! s’exclame la concernée.
Tout le monde explose de rire. Tout le monde à l’exception de mes parents qui nous regardent d’un mauvais œil depuis la cuisine. Ça y est. Ma mère a déjà laissé tomber les beaux mots et les compliments. Maintenant, elle s’est à nouveau emparée de son masque d’impassibilité. J’aurais dû me douter que sa vulnérabilité ne serait que de courte durée.
— Bon allons nous amuser et construisons ces tentes ! je m’exclame en espérant m’éloigner de mes parents.
— Excellente idée, s’enthousiasment Lise et Hannah d’une seule voix.
Quand elles remarquent qu’elles ont parlé en même temps, les deux se fixent un instant puis explosent de rire. Je souris à mon tour avant de me rappeler que je n’ai rien pour camper. Finn semble le remarquer parce qu’il se penche à mon oreille pour me chuchoter :
— Tes amies t’ont prévu de quoi dormir et il y a assez de tentes pour tout le monde.
J’hoche la tête, rassurée.
— Vous allez rester ici encore longtemps ?
Tout le monde se tait et nous nous tournons vers mon père qui vient de prendre la parole d’une voix froide, dénuée d’émotions.
— Euh, non. Non, bien sûr que non, m’sieur ! dit Sam. On comptait justement y aller. Vous venez les gars ?
Et il détale, visiblement effrayé par mon père. Je le regarde les yeux écarquillés. « M’sieur » ? Oui, heureusement qu’il est parti en courant, en fin de compte.
— On y va, je réponds à mon père d’une voix aussi expressive que la sienne il y a quelques secondes. Désolée d’avoir envahi ton espace personnel, ça ne se reproduira plus.
Et, d’un seul mouvement, je saisis le plus d’affaires que je peux avant de tourner les talons et de sortir de la maison, bientôt suivie par les autres. Sam attend devant le portail de la maison. Quand Hannah arrive, les bras chargés d’encas, elle s’exclame :
— Tu aurais quand même pu nous aider à porter les affaires ! D’autant plus que c’est toi qui as apporté toute cette nourriture.
— Evidemment ! Quand on campe, c’est jusqu’au bout. Et le camping dans le jardin implique forcément des tonnes de bonbons, répond-il d’une voix outrée.
Je lève les yeux au ciel en laissant un sourire naitre aux coins de mes lèvres. Je me demande comment j’ai fait pour avoir des amis si ridicules, mais je ne m’en pleins pas, je les aime trop pour ça.
— Où est-ce qu’on s’installe ? questionne Finn les bras encombrés des tentes.
— Hmm… Allons nous installer derrières les arbres, là-bas, je propose.
Tout le monde consent et nous montons les tentes à l’abris du soleil, sous le feuillage du grand chaîne qui habille notre jardin. Une fois cela fait, nous gonflons les cinq matelas que l’on dispose équitablement dans les deux tentes.
— Je dors dans la tente de trois ! crie Hannah.
Je grimace devant son cri. D’ailleurs, je ne suis pas la seule. Quand je dis que Hannah parle fort, je ne plaisante pas.
— Moi aussi ! s’esclame Sam sur le même ton. Je préfère être dans le plus grand groupe.
— Lise, tu viens avec nous, ajoute précipitamment ma meilleure amie. On va laisser un peu d’intimité à Jess et Finn ajoute-t-elle à mon intention avec un clin d’œil.
— Hannah, je grommelle.
Elle semble ne pas m’entendre. De toute façon, je ne pourrai pas la faire changer d’avis, je le sais. Alors autant m’y résoudre.
Quand le soleil disparait à l’horizon, on s’enroule dans des plaids et on allume un petit feu dans le brasero. Ensuite, on s’installe tous autour et on se gave des bonbons et autres encas que Sam a apporté. On reste ainsi à rire et parler jusqu’à presque deux heures du matin, mais nous commençons à fatiguer.
— Bon, déclare Lise en baillant. C’est pas tout ça, mais je crois que ça nous ferait du bien à tous d’aller dormir. On terminera les chocolats plus tard. Et puis on a encore toute la journée de demain pour s’amuser.
A bien y regarder, on a tous des petits yeux et des têtes de déterrés qui ne demandent qu’à se reposer. Tout le monde approuve donc les propos de mon amie et nous laissons le feu s’éteindre tout seul. Ensuite, nous nous dirigeons vers nos tentes respectives.
Avant que je ne suive Finn dans la nôtre, Lise et Hannah me tirent vers elle.
— Tu nous racontes tout ce qu’il se passe, m’oblige Hannah.
— Tout, confirme Lise avec un sourire entendu.
Ensuite, comme s’il ne s’était absolument rien passé, elles me lâchent et rejoignent Sam dans leur tente. Je secoue la tête, fatiguée, puis m’engouffre moi-même dans ma tente. Je ferme la tirette et m’emmitoufle dans mes couvertures, la tête enfoncée dans un gros oreiller moelleux.
— C’était vraiment cool, commente Finn.
Je tourne la tête vers lui et remarque qu’il est aussi sous ses couettes. De son visage, je ne vois maintenant plus que ses yeux et son nez. Sa voix est étouffée par les draps au-dessus de sa tête. Même comme ça avec les cheveux encore plus ébouriffés que d’habitude, il est mignon.
— Oui, c’est vrai. Je crois que c’est le meilleur anniversaire que j’ai fêté depuis longtemps, je commente.
— Content que ça t’ait plu.
— Oui, ça m’a plu.
Ensuite, le silence. Dans la tente de Sam, Hannah et Lise, on entend parler, mais leurs voix sont étouffées par les cloisons qui nous réparent.
— Est-ce que ça va ? me demande-t-il alors. Je veux dire vraiment.
— Oui, ça va. Ça va vraiment. Ça fait un moment que ça va mieux, d’ailleurs.
— Je suis content pour toi, alors.
Moi aussi je suis contente. Je n’ose pas lui dire que ça va mieux parce qu’il est là. J’ai peur qu’il ne se braque, et c’est la dernière chose donc j’ai besoin. Je veux juste qu’on passe un moment calme, comme deux amis.
— Tu sais, dit-il. La semaine passée, je t’ai dit que je commençais à t’apprécier.
J’acquiesce. Je m’en souviens parfaitement. Et, finalement, s’il me fait sa déclaration maintenant, je ne la refuserai pas.
— Eh bien je crois que c’est même plus que ça. Je veux dire… Au début, nous deux, ça partait mal. Mais maintenant, je te vois vraiment comme une amie. Et chaque jour près de toi me le confirme un peu plus.
Ah. C’est donc ça. J’aurai dû m’y attendre. Il dit ça pour m’assurer que je ne me fasse pas des idées après ce qu’il s’est passé au cinéma. Sauf que c’est trop tard. J’ai déjà espéré, et pas qu’un peu. Mais je respecte son choix. S’il préfère qu’on reste amis, ce n’est rien. Je devais m’y préparer de toute façon.
— Jessie ?
— Oui, oui. Pour moi aussi tu es mon ami.
J’ai l’impression que je suis froide dans mes mots, et c’est sûrement le cas. Mais je préfère me retourner pour lui tourner le dos. Je ne pensais pas que ça faisait si mal. De se faire briser le cœur. Maintenant je sais. Et je n’ai jamais rien connu d’aussi atroce.
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Bon... Normalement, ce chapitre devait sortir la semaine prochaine, mais j'étais tellement inspirée ! C'est un peu comme si il s'était écrit tout seul :)
Si vous êtes arrivés jusqu'ici, c'est que mon histoire vous plait un minimum, et j'espère que ce chapitre ne vous aura pas déçu !
Je préfère ne pas donner de date pour le prochain chapitre parce que je ne les respecte jamais, mais il ne devrait pas sortir dans trop longtemps parce que c'est LE chapitre que j'attends depuis le début de l'histoire.
Enfin, sur ce, je vous laisse, j'ai un chapitre à écrire !!
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