Chapitre 1

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Furrville, très tôt.

Ce matin-là, Lady Tabitha de Taigne mit très tôt le nez à la fenêtre. Non qu’elle en eût envie, mais elle avait été réveillée par les cris incessants du marchand de lait qui hurlait dans la rue à qui mieux-mieux. A qui miaou-miaou, plutôt ! C’était à se demander ce qu’il lui prenait à s’égosiller ainsi de bon matin de manière aussi dissonante !

Ayant toujours eu un sommeil léger – Mère disait toujours « Tabie, ne dors jamais que d’une oreille, tiens-toi prête à tout, ma fille » – Lady Tabitha sauta rapidement hors de sa couche. Les années n’avaient pas entamé sa souplesse et même si, parfois, quelques unes de ses articulations commençaient de la tirailler, elle s’exerçait sans relâche à s’étirer comme au temps de sa jeunesse.

Car Lady Tabitha était entrée dans ce qu’on appelle « l’âge mûr », même si ce terme convient mieux aux fruits qu’aux mammifères. Le dicton populaire chez les félins assénait : « Si tu mûris trop, attention ensuite à la pourriture qui suit ! ». Cela ne concernait pas Lady Tabitha de Taigne qui restait vive et affûtée. Elle gardait aussi un pelage lustré, de couleur bronze avec plusieurs touches de blanc sur le ventre, la gorge et les pattes, zébré finement de noir qui signait son appartenance à la caste des Tabbies. A ce sujet, beaucoup se demandaient d’ailleurs comment une jeune dame des Tabbies, une caste considérée comme un peu populaire, avait pu accéder au titre de Lady et occuper un rang élevé dans la société. Certains esprits chagrins colportaient bien des rumeurs plus fausses les unes que les autres : on évoquait son union avec Sieur Minoor, un marquis de haut rang qui, selon des sources sûres, avait été le conseiller privé de sa Majesté. Bien entendu, une part était vrai puisque Lady Tabitha et Sieur Minoor avaient été unis longtemps jusqu’au décès brutal du marquis, quelques années plus tôt. Mais Lady Tabitha ne devait en rien son titre à son compagnon, enfin ! Les titres et les noms se transmettaient de mère en fille dans la société féline, les médisants devaient le savoir… Quant à son aisance à se mouvoir dans toutes les strates de la société, son habileté et son intelligence la lui permettaient. De même que sa persévérance infatigable .

Pourtant, ce matin-là, aux petites heures grises, Lady Tabitha ressentait de la lassitude. Certes, elle avait dormi mais, tout de même, une heure ou deux de plus n’auraient pas été de trop. Et tout cela à cause de ce jeune brailleur, là, dehors !

Elle finit par tirer les rideaux, ouvrir les deux battants des fenêtres et par jeter un coup d’œil au-dehors. La rue de la Bonne Cataire lui parut aussi grise et déserte qu’elle devait l’être à ce moment de l’année et de la journée. Elle se pencha et l’aperçut en contrebas. Un jeune marchand de lait à la mise débraillée, une casquette posée de guingois sur ses oreilles, un bidon passé tant bien que mal en bandoulière sur ses épaules, répétait d’une voix aiguë : « Du bon, du bon lait, et tiens ! Frais dès le matin-tin-tin ! Jamais trop tôt pour une tite tasse ! Vous serez plus jamais à la ramasse ! ».

C’était simplement horrible. Un supplice auditif. Lady Tabitha se pencha et le héla :

— Hé, toi ! Oui, toi, le petit !

Le très jeune chat s’arrêta au milieu de son couplet, leva la tête.

— Bien le b’jour, m’dame ! Une bonne tasse de lait-lait ?

Lady Tabitha se retint de lever les yeux au ciel. Certes, elle aimait une bonne soucoupe de lait, un péché mignon qu’elle ne cachait pas, mais l’acheter dans la rue, à un vaurien mal attifé, c’était une autre histoire !

— Je ne parle pas du lait, mais du bruit que tu fais. Ne sais-tu pas que le jour est à peine levé ? As-tu besoin de réveiller tout le quartier ainsi ? Tu es nouveau ici ?

Le petit laitier se gratta frénétiquement. Ciel, il avait des puces !

— C’est que… M’dame, y a bien des gensses qui sont réveillés aujourd’hui.

— J’imagine, comme toujours ; certains se lèvent avant l’aube, je le sais.

Il secoua la tête avec force, manquant de faire chuter sa casquette.

— Non, non, là, c’est spécial ! Y a eu du grabuge !

Lady Tabitha s’accouda à sa fenêtre et pointa ses oreilles sur lui.

— Que veux-tu dire, mon garçon ?

Il leva une patte et la pointa dans une direction un peu vague.

— Tous les condés sont sur le coup.

Lady Tabitha dressa ses moustaches.

— Le coup ? Sois plus clair !

Le petit laitier se gratta à nouveau. Décidément, il lui fallait un traitement anti-puces !

— Y paraît que quelqu’un a disparu, quelqu’un de pas mal important, à c’qu’on dit.

— Quelqu’un ...du Palais , tu veux dire ?

Le petit laitier haussa les épaules.

— J’crois pas mais j’ai pas bien r’tenu le nom à cause qu’ça criait et qu’les condés…

Cette fois, Lady Tabitha fit signe qu’elle avait saisi la situation.

— Je vois, je vois. Où étais-tu quand tu as entendu l’annonce de cette disparition ?

— C’est par là où qu’habite le gratin. Là où qu’c’est tout carré.

Lady Tabitha visualisait bien l’endroit. Il existait effectivement différentes habitations regroupées en carré dans les beaux quartiers. Tous les édifices restaient splendides, dotés de sculptures volumineuses sur lesquelles des générations de chats avaient marqué leur griffes. Le carré de Siham et le carré de Perse figuraient parmi les plus aristocratiques. Ce jeune laitier ne connaissait pas grand-chose à la vie citadine s’il ne pouvait les nommer ; peut-être était-il arrivé récemment à Furrville, comme bien des familles félines.

— Ce serait donc un cas de disparition au carré de Perse ? ? Tenta-t’elle.

— Ch’ai pas c’qui perce dans c’te bazar, m’dame. Mais c’était grave, tout le monde, il était sans ses dessous !

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