Chapitre 3

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Une sourde effervescence se diffusait, diluée dans les odeurs de la ville. Lady Tabitha trottinait allègrement, faisant claquer ses bottines sur les pavés. Un sentiment d’urgence résonnait autour d’elle, la faisant accélérer les foulées. Le quai de la Sardine se trouvait à la jonction de plusieurs quartiers, ce qui en faisait le lieu idéal pour une agence de détectives privés. Les bourgeois n’avaient aucune crainte à s’aventurer là-bas. Riches, ou moins favorisés, les gens de Furville savaient que l’accueil serait le même. Maître Leroux ne faisait pas de différence et, s’il y avait matière à enquêter, il le faisait. Bien entendu, comme l’agence s’était développée, Maître Leroux avait formé plusieurs apprentis au fil des années qui étaient devenus des détectives à leur tour. Pourtant, il n’en demeurait plus qu’une seule, sa dernière élève ; elle-même, Tabitha.

Et, alors qu’elle tournait un peu rapidement au coin d’une rue, celle qui était devenue Lady T . songea qu’elle devrait sûrement prendre un ou une élève. Elle pourrait commencer par passer une petite annonce, peut-être engager un stagiaire. Ou une stagiaire. Perdue dans ses pensées, elle vira à nouveau un peu court, dérapa sur un pavé disjoint ; et hop, le petit talon de sa bottine tourna.

— Hiiiii ! Miaula-t’elle très fort tandis qu’elle s’envolait dans une embardée de jupe et de jupons.

Toujours agile malgré son âge, elle chercha son point d’équilibre mais les pavés, détrempés par les averses nocturnes, la firent glisser de plus belle. Elle se sentit glisser alors qu’elle rebondissait un peu plus loin. Elle bloqua le dos, calcula d’instinct le saut qu’elle devait faire pour se rétablir mais, déjà, la flaque traîtresse noyait ses pattes bottées. Elle allait finir par retomber sur un bord de pavé, se heurter un os, et se faire mal !

Tant pis, elle tenta le tout pour le tout. Elle lança une patte et…

Trouva un appui. Deux solides épaules puis une longue pattes grise.

— Appuyez-vous. Allez-y, franchement.

Elle le fit. Se stabilisa. Une gerbe d’eau grise s’éleva. Pouah ! elle détestait l’eau ! La solide patte l’aida à se rétablir. Elle releva la tête tout en secouant sa jupe détrempée.

— Merci, fit-elle en haletant un peu.

Elle dut lever la tête encore pour enfin savoir à qui elle était redevable. Il s’agissait d’un grand chat ; jeune le poil gris, vêtu d’une redingote de gentleman, d’un chapeau melon incliné sur le museau, très élégant. Il la lâcha aussitôt, inclina la tête avec tact.

— Je pense que vous auriez pu très bien vous débrouiller s’il n’était pas tombé tout cela…

Et de la patte, qu’il avait blanche à l’extrémité, il désigna la large flaque.

— Cela me paraît profond et dangereux, ajouta-t’il. Je ne me serais jamais permis d’intervenir en une autre occasion, madame. Aussi, pardonnez-moi de vous avoir saisie ainsi.

Tabitha hocha la tête. Ses bonnes manières lui plaisaient Elle savait qu’il existait des goujats aux manières de chiens (oui, elle dirait le mot !) qui n’hésitait pas à poser leurs pattes sur autrui, surtout sur la gent féminine et assimilée.

— Vous avez su évaluer le danger, félicitations. Mais je crains de vous avoir totalement trempé…

En effet, hormis sa redingote, son pantalon ressemblait à une serpillière. Il eut une petite moue.

— Bah, l’eau ne me fait pas peur …Ce n’est rien, je vous assure.

Tabitha roula des yeux. Quelle chance ! Elle aurait détesté sentir le contact du tissu mouillé sur elle.

— Vous êtes certain de ne pas vouloir vous sécher ? J’étais presque parvenue à destination, quai de la Sardine.

Elle leva une patte pour désigner le bâtiment qui se trouvait dans la rue face à eux, sur le quai.

— Je vous offre une tasse de ce que vous préférez, insista-t’elle.

Il lui emboîta le pas.

— Alors, c'est d’accord… Je suis en avance, ceci dit. Oh, pardon ! Je ne me suis pas présenté : Lawrence-Killian de Grinéblan, mais on dit Loki, avec un prénom pareil !

Il s’inclina. Elle eut un petit mouvement de la tête en retour.

— Lady Tabitha de Taigne. Enchantée.

— La célèbre enquêtrice ! Je suis impardonnable ! J’aurais dû vous reconnaître !

Lady Tabitha s’étonna intérieurement. Sa figure était peu connue même si son nom l’était. Maître Leroux avait fait en sorte de figurer sur les photographies tandis qu’elle restait en retrait, afin de garder un minimum l’anonymat. Ainsi elle pouvait toujours s’infiltrer dans tous les milieux. Pourtant, de plus en plus souvent, on la reconnaissait…

— Grinéblan, de la famille du comte ?

Il acquiesça.

— Le comte Grey de Grinéblan est mon père, en effet.

— L’entrepreneur en herbe à chat ?

Il sourit.

— Pour ma part, j’exerce dans d’autres secteurs d’activité. Et je suis aussi artiste à mes heures.

Tabitha se demanda si la famille Grey approuvait ; le comte Grey, un matou influent, ne faisait pas partie de ses proches mais elle l’avait croisé plusieurs fois. Il ne lui avait jamais semblé très penché sur les manières bohèmes, ce matou.

— Vous êtes par ici dans le cadre de votre art ? Demanda-t’elle.

Il secoua la tête négativement.

— J’ai rendez-vous avec Maître Leroux.

— Comment ? Mais il ne…

Elle se tut. En général, lorsqu’il fixait des entretiens, Maître Leroux la prévenait, surtout s’il s’agissait d’éventuelles enquêtes. En l’occurrence, elle n’avait reçu aucun message. D’ailleurs, elle n’avait pas eu de nouvelles de son mentor depuis…Depuis quand ?

Tabitha sentit son petit-déjeuner effectuer un triple saut périlleux dans son estomac. La rue alentour lui parut sinistre. Même le quai de la Sardine qu’elle connaissait par cœur lui semblait terrifiant soudain, comme le lieu d’un événement épouvantable. Pas de nouvelles de Maître Leroux ? Il fallait qu’elle sache ! Elle empoigna sa jupe à deux pattes et se précipita sans un mot de plus en direction de l’agence de détectives.

— Lady de Taigne ! Attendez !

Mais elle avait déjà distancé le jeune chat gris. Elle caracolait aussi vite que ses courtes pattes le lui permettaient, s’éclaboussant à nouveau sans s’en formaliser cette fois.

Vite, vite… Elle parvint en un saut devant la porte boisée de l’agence. Elle s’apprêtait à fouiller dans son sac pour en tirer la lourde clé lorsqu’un détail attira son œil exercé : un mince interstice laissait entrevoir de la lumière. Lady T. arrêta net son geste et avec une lenteur calculée, posa ses coussinets sur le battant vernis. La porte était entr’ouverte !

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