Chapitre 6

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Quelle terrible nouvelle ! La pire, pour Tabitha, depuis qu’elle avait appris le décès soudain de Lord Minoor, son compagnon. Le sort s’acharnait-il sur elle ? Elle sentait ses poils se hérisser.

Visiblement, l’information perturbait également Grinéblan qui s’assit brutalement de tout son poids sur le siège en gémissant :

— Ah, ça me coupe les pattes !

— Horrible, horrible, murmura Tabitha en sortant son mouchoir de baptiste de son sac afin de s’en tamponner le coin de l’œil discrètement.

Elle n’était pas chatte à se laisser aller aux émotions mais certaines circonstances l’emportaient. Elle tâcha de vite se reprendre : elle devait se focaliser sur cette affaire ! Un pépin de pomme ? Encore ? Mais qui donc mangeait des pommes ?

Tabitha s’éclaircit la gorge, rangea son mouchoir et demanda au jeune Newton :

— Vous êtes sûr d’avoir bien entendu ?

— Oui, m’dame.

Elle commença à le bombarder de questions. Il y répondit autant qu’il le pouvait.

— Ma foi, je n’ai pas eu le temps de bien voir, je travaillais, finit-il par dire.Mais la rumeur de sa disparition a gagné tous les faubourgs.

— Déjà ? Vous entendez, Grinéblan ?

Pas de réponses. Elle se retourna. Grinéblan s’éventait, affalé sur le siège de Maître Leroux.

— Mais qu’avez-vous ?

— C’est que … j’avais rencontré Leroux il y a si … Et nous nous étions si bien entendus ! Et il… je suis ému, je…

Quelle andouille, ce grand chat ! Elle allait lui secouer les puces !

— Oh, mais enfin il n’est pas mort ! J’en suis presque certaine ! On l’aura enlevé, pour une raison que j’ignore ! De même que j’ignore pourquoi son bureau a été mis sens dessus dessous ! Mais on va le retrouver, foi de Tabitha de Taigne !

— Bien parlé ! L’encouragea Newton.

Grinéblan renifla une fois. Il miaula doucement :

— Vous… vous le pensez ?

Elle hocha la tête avec vigueur.

— Vous savez, Leroux a été mon professeur et je puis vous assurer qu’il n’est pas chat à ... – elle marqua une légère pause, eut une pensée pour son défunt conjoint, si gentil, parti avant son heure, mais reprit avec force – …. à nous quitter ainsi si tôt. Non, il est encore des nôtres et c’est notre devoir de le rechercher ! Oui, c’est une énigme que nous avons et nous allons la résoudre, mes amis !

Elle n’en revenait pas d’avoir prononcé ces mots alors qu’elle ne les connaissait pas !

Mais les deux lascars furent aussitôt emportés par son courage et sa fougue. Ils se joignirent à elle pour s’écrier :

— Oui, nous allons le retrouver ! Bien parlé !

— A nous trois, nous allons vaincre ce mystère !

L’élan retomba. Le silence se fit.

— Que puis-je faire, Lady T ? demanda Newton.

Tabitha réfléchit. Il lui fallait répartir les tâches. A elle maintenant de diriger cette agence de détectives pour retrouver le plus grand enquêteur de Furrville ! La tâche n’était pas mince mais elle allait relever le défi. Elle ne s’appelait pas de Taigne pour rien !

— Voyons, nous avons ici un indice : ce pépin de pomme. J’imagine que Maître Leroux devait être sur une affaire.

Grinéblanc releva le nez – long, décidément. Il scruta le bureau.

— Tient-il un journal ? Prend-il des notes ?

Par Bastet et Sekhmet réunies ! Ce jeunot avait raison ! Leroux mettait à jour ce qu’il appelait son « carnet secret ». Il en gardait un sur lui mais en cachait un double, ici à l’agence, pour les cas extrêmes. Et on y était : ce jour constituait une urgence.

— Vous voulez que j’aille me renseigner plus avant de mon côté ? Proposa alors Newton.

Tabitha leva le nez. Elle regarda plus attentivement ce jeune filou. Il avait une figure honnête, malgré son air bravache et ses manières de la rue. Après tout, Katy lui avait dit qu’il constituait une source fiable et en ces temps troublés, Tabitha avait besoin de toute l’aide nécessaire. Un petit gars comme ce Nioute saurait se faufiler, passer inaperçu et poser les questions cruciales. Elle avait fait de même, en son temps, alors qu’elle n’était guère plus qu’une chiffonnière (une « chatffonnière », selon l’appellation de Furrville), apprentie artiste de music-hall les fins de semaine. Tabbie Griffes-de-Rasoir, ainsi était-elle connue dans les faubourgs ; La Mioufette, sur les planches. Maître Leroux avait dit lui-même qu’elle constituait un atout précieux pour son équipe quand il l’avait repérée et engagée.

Les temps avaient changé. Lady Tabitha ne fréquentait plus les cabarets. Elle se retint de soupirer, nostalgique de l’époque où elle parcourait les rues à toutes pattes, jeune chatte insouciante. Allons, Tabitha, se gronda-t’elle, un peu de nerf ! Maître Leroux a besoin de toi ! Il a sûrement été enlevé parce qu’il enquêtait sur un sujet épineux. Envoie donc ce jeune Nioute aux nouvelles ! Tu vois bien qu’il n’attend que cela !

Et il attendait, ce Newton, les moustaches en alerte. Elle se décida.

— Bien, Newton, dit-elle, le ton sec. J’aimerais que vous me rameniez le plus d’informations possibles sur la disparition de Maître Leroux. Tout ce qu’on vous racontera sera bon à prendre. Récoltez aussi les témoignages des personnes : qu’ont-ils vu ? Entendu ? Que pensent-ils avoir vu ? Quand ont-ils appris la nouvelle?

— Oui et par qui ? A quel moment ce matin ? Rajouta Grinéblan. Comme elle le regardait avec insistance, il précisa : – On dirait bien que l’information a fait le tour de Furrville avant que nous en soyons informés, Lady T.

Il avait raison, à nouveau. Un bon point pour ce Grey. Cela leur permettrait peut-être de faire un lien avec l’effraction du bureau.

— Oui, tout cela ! Répéta-t’elle. Newton, vous saurez ?

Le jeune chat pointa sa tête de sa patte.

— C’est inscrit là, Lady T.

Elle lui lança un regard qu’elle voulut un peu menaçant.

— Vous allez en oublier, jeune chat ! N’hésitez pas à noter ! Avez-vous un carnet ?

Il sortit petit calepin crasseux de sa poche attaché à un bout de crayon taillé au canif.

— J’ai tout ça mais vous pouvez me croire, j’ai pas la mémoire qui flanche, Lady T.

Grinéblan intervint alors et d’une voix douce, dit :

— Je confirme : Nioute m’a toujours fait des récit très détaillés.

— Des récits de quoi, mon cher ? Dit-elle vivement en se tournant vers lui. Nous n’écrivons pas des romans, ici, Monsieur l’artiste !

Il parut embarrassé.

— C’est que… Nioute et moi, nous avons collaboré… Dans des sortes d’enquêtes officieuses… J’en ai touché un mot à Maître Leroux, d’ailleurs…

Des détectives amateurs, bonté féline ! Il ne manquait plus que ça ! Elle comprenait maintenant pourquoi, hélas, son mentor voulait s’entretenir avec ce Grinéblan. Depuis quelques temps, il parlait de reformer une véritable équipe d’enquêteurs de terrain, composés de jeunes chats. Tabitha lui avait opposé que les affaires étant rares, cela constituait une perte de temps, d’énergie et de croquettes ! Apparemment, Leroux ne l’avait pas écoutée. Damné matou.

— Je vois, fit-elle entre ses dents. Et bien, vous avez intérêt à ne rien oublier ! Il s’agit de Maître Leroux, je vous le rappelle !

Newton porta la patte à sa casquette.

— Je vais faire le maximum, Lady T. Pour être digne de vous et de Maître Leroux. Moi aussi, je veux le retrouver. Je reviens ici plus tard ! A tout à l’heure !

Et sur ces mots, il fila.

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