Chapitre 0. Prologue~

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Port d'Isdrynn, royaume de Nerevyr – Asterya.

Les bougies projetaient leur lumière diffuse sur les murs de pierre de la grande salle. Malgré l’heure tardive, Le Chaudron et la Chope était encore ouvert et accueillait une dizaine d’individus à sa table, la plupart vêtus d’une longue cape de voyage. Des rôdeurs, des vendeurs itinérants ou des aventuriers passant généralement une partie de la nuit à débattre de sujets plus ou moins intéressants en compagnie de leurs homologues.

Au fin fond de la salle poussiéreuse, trois gaillards se partageaient la même petite table de bois rongée par les vrillettes. Deux d’entre eux avaient le nez plongé dans leur gruau ; le troisième était adossé contre le mur, ses bras massifs croisés sur son poitrail couvert d’une chemise en lin mouchetée de crasse. Il balaya la salle d’un regard qu’il voulut volontairement préoccupé et fit claquer sa langue.

— Au fond, on est pas si mal que ça, déclara-t-il soudain d’une voix profonde. C’est vrai, quoi ! Mon turbin continue à nourrir ma gosse et ma femme, après tout. On sait pas si c’est vrai, tout ça. Si ça s’trouve, le Malheur, il est pas chez nous.

Ses deux compères ne répondirent pas. Ils semblaient d’accord ; ou peut-être étaient-ils trop affamés pour lui accorder une quelconque attention.

— Et qu’est-ce que vous en savez, vous, les chasseurs ? répliqua un Nain à la barbe longue et hirsute attablé non loin d’eux.

— On sait, parce qu’on voit des choses. Le roi est scrofuleux, son heure approche à grands pas. On nous dit que le Malheur s’est réveillé à cause de ça et qu’on va tous sombrer dans une guerre cosmique, ou un machin dans l’genre. Moi j’y crois pas.

— Tu t’embrouilles dans tes propos, l’ami, lui répondit le barbu. Le roi n’est pas scrofuleux, il a été empoisonné.

— Ça, c’est c’que les gens des royaumes de Kwynvyr disent, intervint un troisième homme adossé au comptoir de la taverne, une chope à la main.

Le chasseur, toujours bras croisés, médita un instant sur cette nouvelle intervention.

— C’est quoi finalement, le Malheur ? s’enquit un jeunot vêtu d’un tablier qui vint essuyer la table du barbu, souillée de mousseuse dégoulinant lentement sur le sol.

— Tu connais la légende, gamin ? coassa l’homme à la chope. Les Bâtisseurs ont disparu à cause d’une déesse qui s’est amourachée d’un homme comme toi et moi. C’était considéré comme une trahison, tu vois. La donzelle était devenue complètement démente lorsque ses frères ont refroidi l’humain pour la punir. Y’a eu une guerre. La déesse a ravagé Ceyann. On l’a surnommée « le Malheur » et, avant qu’elle ne détruise entièrement notre Monde, ses frères réussirent à s’enfermer au cœur de la planète avec elle avant leur Ascension pour l’empêcher de raser les royaumes qu’ils avaient jadis bâtis. V’là c’que j’ai retenu des récits que mon père me contait, autrefois.

— La déesse se serait libérée ? demanda le jeunot, intrigué.

— On sait pas trop. L’Yvlananial, le livre sacré, annonce plusieurs évènements précédant sa libération. On raconte que la famille royale d'Asterya est liée directement à l’homme que le Malheur avait naguère aimé. Elle serait descendante des enfants de l’humain Sans-Savoir et de la déesse. Et puisque le roi Parnel est sur son lit de mort, les rumeurs courent…

— Le roi est mourant depuis des mois ! s’exclama le barbu. Vous ne croyez pas que si le Malheur était réellement là, Asterya serait mis à feu et à sang, aujourd’hui ?

Les quidams échangèrent des regards perplexes, chacun méditant sur l’avenir du monde. Soudain, un des deux chasseurs qui n’avaient pas encore pris la parole s’anima.

— J’ai entendu certaines choses…, murmura-t-il en passant une main calleuse sur son menton volontaire.

Les autres se tournèrent vers lui.

— C’était il y a quelques semaines. On venait de terminer un boulot près de Merrill, à la frontière de Valendry. Un sale boulot, vraiment. Un vrai carnage… Enfin bref. Après avoir récupéré ma part, j’ai entendu le client parler avec un étranger… Vous savez, le genre d’étranger qu’on voit pas souvent par chez nous.

Le chasseur marqua un temps d’arrêt, constatant que la petite taverne était plongée dans le silence, à l’écoute de son récit.

— Quel genre… d’étranger ? Qu’est-ce qu’ils se disaient ? questionna le jeunot avec impatience.

— L’homme, et j’en mettrais ma main à couper, venait de Qervalen. Il expliquait qu’il cherchait un travail pour refaire sa vie ici. Il avait réussi à naviguer clandestinement sur les mers pour atteindre nos royaumes. Apparemment, Ceyann va très mal. Il disait que rien n’était sûr, à présent. Et que nos royaumes étaient les seuls à avoir échappé à la gangrène. Des choses terribles semblent se passer, par-delà l’Abysse. Si la prophétie qui annonce la fin des temps est enclenchée, alors…

Le chasseur laissa sa phrase en suspens. Les clients de la taverne Le Chaudron et la Chope finirent leur repas dans un calme inhabituel. Les prophéties des Bâtisseurs étaient bien connues du monde. Des siècles d’Histoire avaient pourtant transformé les faits réels et aujourd’hui, personne ne pouvait prévoir ce qui allait vraiment se passer. Cependant, l’abstrait laissait vite place au concret lorsque l’on parcourait les terres de Ceyann. Après presque une ère entière de tranquillité, des guerres ouvertes éclataient aux quatre coins de la planète.

Une étrange atmosphère s’était installée dans la moiteur de la nuit, alors que les nuages noirs menaçaient de faire éclater leur colère non loin de la taverne. Les clients quittaient les lieux au compte-gouttes tandis qu’une pluie battante se déversait à l’extérieur. Lorsque l’homme à la chope termina enfin sa gnole, un individu fit irruption dans la gargote, couvrant l’entrée de boue fraîche.

— Les Portes !, s’écria-t-il, affolé.

Les derniers clients le considérèrent avec étonnement.

— Les Portes de Lumière ont été rouvertes !

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