3. Lotar, le Poète

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Le son des cors de guerre, les cuivres puissants soufflaient par d’épais hommes que l’acier ne pouvait trancher. C’est ça qui rassure, qui me guide, mener mes frères à la victoire. Ils me suivent, m’aiment, non pas par mes exploits en duel ou en lutte, mais par ma ferveur, ma piété. Une centaine d’hommes m’attendait, en tenue de guerre, armes scintillantes n’attendant que l’appel du sang. Je suis Lotar, Lotar le poète, mes vers sont bien plus saillants que mes muscles, mes proses suintent la victoire.

“ Amis des Hvorsorm, vous souvenez vous de la dernière fois que vous aviez eu l’occasion de marquer l’histoire ?”

L’assemblée, silencieuse, se pendit à mes lèvres. Je montai alors sur deux caisses, histoire de prendre la hauteur qui convenait. J’ouvris grand les bras, de ce geste, j’invitai leur inconscient à me joindre dans ma quête. Ce sourire, celui-là même que Père rebutait, c’était ma plus grande arme. Je n’irais pas jusqu’à dire que ces hommes se trouvaient charmés par mes dents, mais elles avaient la brillance et la droiture de celui qui pouvait mener des montagnes à se battre contre l’océan.

“ Moi non plus. Moi non plus je n’en ai aucun souvenir. Pourquoi ? Vous connaissez la réponse, parce que nous étions bridés, mes amis, moi je vous le dis, cet idiot de Järl se contentait de ses piteux petits raids et de ses maudites petites fermes. Il n’avait d’ambition que pour la beuverie et le cul de sa bonne femme !”
Ils rient, c’est si facile, il suffit d’introduire quelques sobriquets sexuels pour qu’ils sourient.

“ Mais aujourd’hui, qui vous suivez ? Ragnvald Hvorsorm, un nom qui marquera les pages de l’histoire. Ce nom va résonner, et vous savez pourquoi ? Parce qu’on parle d’une conquête, pas d’un raid, pas d’une femme… mais de terres, d’une terre gigantesque, d’une terre arable. Bon, d’accord, on parle de femme aussi, qui n’a jamais voulu se taper une Catarasienne ?”

Et rebelote pour une vague d’hilarité. Même si mes blagues ne parurent pas du goût de ma sœur, placide comme toujours. Il était temps pour moi d’élever la voix, de l’aggraver.

Mais avant de continuer, j’appréciai toujours l’instant de silence où l’assemblée s’impatiente de la suite, où le seul son de l’eau portant le navire casse le code de la pause théâtrale de mon discours. C’est le temps où je me plonge dans le regard de tous ces hommes, que je fais mine de sonder leur âme, de vérifier s’ils ont ce qu’il faut… alors que de mon côté je camoufle habilement ma panique. S’il y en a bien une que je ne fixe pas c’est la rousse, elle me ferait défaillir.

“ Le sang. Vous vous en souvenez du goût ? Du vôtre, du leur ? Votre lame n’a t elle point rouillé depuis lors ? Vous souvenez-vous seulement de comment manier une arme ? Du fracas contre une armure ? De la chaire qui s’ouvre sous votre impulsion ?”

Quelques ‘ouais’ timides montèrent.

“ Mais bien sûr que vous vous en souvenez ! Vous êtes des Väräm, vous êtes les élus de Körk ! Le sang, la chair, ça n’a pas de secret pour vous ! Vous savez que ce foutu duc est un sodomite ? Qu’il s’acoquine de maquillage et se poudre les yeux ? Qu’il prit des dieux sans intérêt et renie la toute puissance d’Örlo ? C’est de son sang et de sa chair que je parle. C’est de lui couper la tête que l’on parle ! Ce putride merdeux va se voir voler ses terres, ses femmes avant d’être découpé en petits morceaux et d’être dévoré par les chiens de sa basse-ville !”

La tension monta, je me retournai, la côte s’approchait.

“ Faite moi résonner cette corne de guerre ! Qu’ils se défèquent dessus, qu’ils pissent et crèvent de peur ! Que les misérables freluquets de Cataras craignent l'avènement des Hvorsorm, que l’on soit la fin de leur petit monde, que Körk se rassasie des cadavres Catarasien quand nous nous baignerons dans leur sang en violant leurs donzelles devant leurs enfants !”

Les hommes hurlèrent, les cuivres résonnèrent, les haches et épées se fracassèrent contre les boucliers dans un rythme désynchronisé et endiablé.

“ Pour Körk ! Pour Örlo ! Pour Ragnvald !”
Ma voix monta, je criai du plus grave que je le puis, de toute manière je fus camouflé par la ferveur que j’eus créée. Mon épée pointait les cieux, j’attrapai mon bouclier, des cordes furent lancées par-dessus bord. Petit à petit nous inondèrent la plage, au loin une troupe de centaines d’hommes débuta sa charge, courant vers nous. J’y étais. Je priai tous les dieux que je connaissais.

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