Chapitre 1

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La sonnerie beuglante de mon portable me tira du sommeil. Tout en pestant, j'attrapai le téléphone et rugis un « Allô » qui en aurait fait raccrocher plus d'un. C'était sans compter sur ma mère.

  • Bonjour mon chéri je ne te réveille pas ? me répondit-elle de sa voix douce et chantante.

Sa question était manifestement rhétorique, la mienne évidemment ironique.

  • Naaan bien sûr que nan.
  • J'aurais besoin d'un petit service.
  • Dis-moi.
  • Ton père se fait opérer ce week-end et j'aurais besoin que...
  • Que...?
  • ...que tu t'occupes d'Oly.

Ma tête me faisait l'effet d'une enclume sur laquelle on martelait à l'aide d'un maillet. Il me fallut quelques secondes avant de remettre les choses dans leur contexte. Oly ? La perspective de garder sa chienne ne m'emballait pas des masses mais si ma mère se tournait vers moi, c'est qu'elle n'avait pas d'autres choix.

  • OK, grognais-je.
  • O...d'accord ! Merci mon chéri. Je peux te la déposer ce soir ? On va partir tôt demain et...
  • OK !

Après m'avoir chanté « Merci » vingt fois encore, je raccrochai. Ce n'est qu'à cet instant que je remarquai l'heure qu'il était. 15 h passées. Je soufflai. Il ne me restait que quelques heures pour dessaouler et ranger le bordel dans lequel je vivais. Pas que ça me dérangeait en soi, mais ma mère n'avait pas besoin de se faire du mouron pour moi. La maintenir loin de mes névroses était le peu que je puisse faire pour elle, surtout dans le contexte actuel.

On avait découvert, quelques jours plus tôt, une masse sur le bras gauche de mon père. Une tumeur bénigne, facilement opérable. Une petite intervention et on n'en parlerait plus, avaient dit les médecins. Même si le pronostic était rassurant, je connaissais ma mère et je savais pertinemment qu'elle se faisait un sang d'encre. Elle avait toujours été ainsi, à se faire une montagne de tout. Je pouvais comprendre : ses parents étaient décédés dans un accident de voiture lorsqu'elle était enceinte de moi et, comme si ce drame ne suffisait pas, elle avait dû être hospitalisée puisque, en bon chieur que je suis, j'avais décidé de pointer mon cul (ben oui j'étais en siège !) trois mois avant la date prévue de ma naissance. Avec du repos et l'aide médicale, on m'avait maintenu à l'intérieur un bon mois supplémentaire. Malgré tout, j'étais né prématuré ! On m'avait arraché de l'utérus de ma mère vite fait bien fait pour me coller en couveuse, et harnaché d'une dizaine de fils pour m'aider à respirer, à me nourrir, à me maintenir en vie. « J'ai bien cru que j'allais te perdre », m'avait-elle confié un jour. Alors ouais, je pouvais comprendre que l'hôpital et tout le bordel qui va avec l'angoissait. Je n'avais jamais osé lui dire qu'elle avait beau se ronger les sangs des jours durant, rien n'empêcherait la vie d'accomplir son dessein.

C'est une sale chienne, la vie ! Elle te fait miroiter tout un tas de trucs, des putains de trucs à la con auxquels tu t'étais pourtant juré de ne jamais songer et puis, une fois qu'elle t'a à la bonne, que t'as baissé la garde et que tu t'es laissé convaincre, elle te reprend tout ! Tes rêves, tes espoirs, tout ! Et puis, tu restes tout seul, comme un con, à broyer du noir et à te haïr d'y avoir cru un jour.

Je fermai les yeux, ça cognait dur contre mes tempes.

L'alcool aussi ça te fait miroiter des trucs ! T'es là à ressasser les mêmes vieilles histoires, puis tu regardes la bouteille de whisky posée sur ta table basse - à moins que ce ne soit elle qui te regarde ? - et déjà tu sais que le liquide ambré que tu devines à l'intérieur va te faire du bien. Tu sens sa chaleur envahir ta bouche et glisser le long de ton œsophage. Alors t'ouvres la bouteille et tu te sers un verre. Rien qu'un, que tu te dis. Tu portes le verre à ta bouche et les sensations que tu t'étais imaginées quelques secondes plus tôt sont décuplées. C'est encore plus chaud, c'est encore meilleur, et c'est magique ! Tu bois une autre gorgée, puis une troisième et petit à petit tes problèmes s'en vont. Oubliés ! Alors tu continues à boire en te disant qu'à la fin de la bouteille, il ne restera plus rien. Plus de whisky, plus de soucis, plus rien ! Ce que t'oublies en même temps que tes emmerdes c'est qu'après, l'alcool se dissipe et que tes problèmes, ben ils te reviennent en pleine gueule.

Je me redressai, pivotai sur le rebord du lit et restai quelques secondes, la tête baissée et les yeux fermés, pour faire passer le vertige qui menaçait de m'envahir si je me levai trop brusquement. Puis, enfin, je rejoignis la cuisine. J'actionnai la machine à café puis fouillai dans le tiroir pour en sortir deux dolipranes que j'avalai avec la moitié d'une bouteille d'eau.

Trois heures et demi plus tard, les canettes et les bouteilles vides étaient à la poubelle, la vaisselle faite et le sol récuré. J'avais pris une douche bien fraiche - ce qui avait mis un terme à ma gueule de bois – et avais enfilé un T-Shirt blanc et un jean propre. Dans le vieux fauteuil de mon grand-père, que j'avais récupéré à sa mort, je lorgnai l'horloge avec dégoût. Je regardai les aiguilles trotter au son de leur tic-tac insolent, indifférentes aux émotions que je ressentais. Je lui avais déjà balancé ma cannette de despé en pleine face pour qu'elle arrête sa course lancinante. Elle était tombée du mur et s'était fracassée contre le sol. J'avais fermé les yeux pour laisser le calme m'envahir de son silence apaisant mais je l'avais entendue gémir. Tic-Tic qu'elle faisait. Elle devait bien se marrer devant mon air ahuri.

Le temps c'est encore pire que la vie. Parce que lui, il ne te fait rien miroiter du tout. Il avance avec ou sans toi. Et tu sais que si tu choisis d'avancer toi aussi, tu n'auras pas de retour en arrière possible. Si la vie, elle, te laisse seul, le temps, lui, te laisse avec tes regrets.

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