Chapitre 9

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Nous avions passé les deux derniers jours à organiser les obsèques de mon père : choisir le cercueil, les fleurs, les textes à lire lors de la cérémonie. Nous nous étions rendus au salon funéraire pour accueillir les visites. Autant de moments éprouvants pour ma mère, qui pourtant, s'était montrée aussi forte qu'elle pouvait l'être.

L'heure du dernier adieu avait sonné. Je l'avais entendu dans la voix de ma mère lorsqu'elle nous avait dit bonjour ce matin. Une voix remplie d'éclats de chagrin. Elle n'avait plus rien dit depuis qu'on avait scellé le cercueil. Ses yeux gorgés d'eau parlaient maintenant pour elle.

Je jetai un œil de son coté. Elle semblait si fragile malgré les efforts qu'elle faisait pour rester droite et digne. J'étais reconnaissant envers Olympe d'être présente à ses côtés et de pouvoir lui offrir cette main que je ne pouvais pas lui tendre, contraint de respecter ma place dans le rang opposé.

Je regardai les personnes défiler devant le cercueil de mon père. Certains visages m'étaient familiers, d'autres parfaitement étrangers. Cependant, ils avaient tous en commun cet air défait qui défigurait leurs traits. Je ne savais pas combien d'entre-eux étaient réellement sincères lorsqu'ils se penchaient vers ma mère pour lui souffler des paroles réconfortantes ni combien seraient encore présents dans quelques mois pour lui témoigner le même soutien. Parce que le plus dur ce n'est pas tant de dire au revoir à quelqu'un qu'on aime, c'est de continuer à vivre sans lui.

Le prêtre débuta la cérémonie. Je l'écoutai à peine, le regard perdu dans les vitraux colorés. C'est la mention du prénom d'Olympe qui me ramena à la réalité. Je la vis s'avancer vers le prêtre, un bout de papier à la main. Nous lui avions, ma mère et moi, listé plusieurs souvenirs qui nous tenaient à cœur. Elle avait écouté avec attention et griffonné sur un bloc-notes. Je l'avais vue, à plusieurs reprises ensuite, concentrée sur la tâche délicate que nous lui avions confiée, soucieuse de réussir à mettre en mots nos pensées.

Elle se plaça, debout devant l'assemblée. Sa main trembla légèrement lorsqu'elle ajusta le micro.

« Qu'il est difficile, parfois, d'exprimer ce qu'on ressent. Le chagrin, la douleur, la pudeur, autant de raisons qui nous empêchent bien souvent de trouver les mots justes, les mots à la hauteur de notre amour.

Je crois, Francis, que toi, mieux que quiconque comprenait cela.

J'ai vu la douleur sur les visages de Marianne et d'Hector, j'ai entendu le chagrin dans leur voix lorsqu'ils m'ont parlé de toi. J'espère, par ces quelques mots en leur nom, être à la hauteur de leur amour pour toi.

C'est le 5 avril 1962, que dans un dernier souffle de vie, ta maman te donne naissance. Tu grandis aux côtés de ton père, cet homme solitaire qui t'apprend la patience et la bienveillance. Deux qualités qui feront de toi l'homme calme, discret et généreux qu'ils m'ont conté.

En 1983, ton regard croise celui de Marianne, et c'est sous un souffle de vent que vous échangez votre premier baiser. Du subtil mélange entre ta patience et sa persévérance naitra Hector, cinq plus tard.

Soucieux de partager un peu de votre bonheur, vous accueillez au sein de votre famille, des enfants brisés par la vie. Et c'est d'un souffle d'amour que vous les guidez sur un chemin plus serein.

Tu aimes Gainsbourg, la pêche et les travaux manuels. Tu passes le plus clair de ton temps dans la chaleur de ton atelier. Verrier de renom, tu vis de ta passion. Et c'est dans un souffle de verre que tu exprimes le mieux ton talent.

La vie viendra briser en mille éclats tes rêves de cristal. Depuis cinq ans, seul le souffle de ta respiration rythmait ton quotidien.

Aujourd'hui, plus que jamais, Marianne et Hector veulent que tu saches qu'ils ont entendu dans le silence de ces dernières années plus d'amour qu'ils n'en sauraient compté. Car l'amour ne se crie pas sur tous les toits, il se murmure du bout des lèvres. »

Je ne saurais dire ce qu'elle a ajouté ensuite tant ses derniers mots ont raisonné dans mon esprit. Il m'a fallu quelques coudes de mon oncle pour me lever et me rasseoir aux moments adéquats.

Comment cette gamine avait-elle pu comprendre ce que moi-même je n'étais jamais parvenu à saisir avec autant de clairvoyance ? Elle était d'une maturité saisissante pour son âge. Aussi douce qu'une plume, frêle qu'une brindille et réfléchie qu'un vieux Sage.

Je ne savais pas qui était cette gosse, ce que cette putain de vie avait bien pu lui infliger et ce que l'avenir lui réservait, mais j'étais sûr d'une chose : je ne laisserai rien ni personne la briser.

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