Chapitre 3

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  • Je t'accompagne voir ta mère ?
  • Si tu veux...
  • Tu ne dois pas lui en vouloir, tu sais.

Marianne me considéra avec tendresse. Elle s'approcha de moi et plaça ses deux paumes de main contre mes joues. Sa chaleur m'enveloppa instantanément.

  • Il est parfois difficile de se livrer. Surtout aux personnes à qui on tient le plus.
  • Je sais. Mais vivre avec des questionnements est tout aussi difficile.
  • Ne cherche pas à tout comprendre immédiatement, laisse le temps t'apporter les réponses aux questions que tu te poses.
  • Du temps...on n'en a plus beaucoup.
  • Justement.

Elle n'ajouta rien de plus. Ses yeux brillants parlaient pour elle.

Sur le chemin de l'hôpital, je songeais à mon enfance. À toutes ces questions que j'avais tues par peur de faire mal à ma mère. Je la revoyais, allongée dans le pré, ses cheveux blonds étalés au beau milieu de l'herbe verte. Ses yeux voyageaient de nuages en nuages et un triste sourire éclairait sa peau pâle. Ma tête posée contre sa poitrine, j'écoutais les battements de son cœur se mêler au chant fluet des rouge-gorge tandis que sa main caressait doucement le sommet de mon crâne. J'écoutais attentivement, concentrée sur son rythme cardiaque, pour être capable de percer les secrets que son cœur murmurait.

J'avais bien tenté de glaner quelques informations auprès de Papé, chez qui nous vivions, mais mon grand-père était incapable de répondre à l'essentiel de mes questions. Il me regardait tristement et je voyais bien qu'il regrettait de ne pas en savoir plus sur sa propre fille.

Un jour, il s'était mis à pleurer et, à travers des sanglots étouffés, il m'avait avoué ne jamais avoir réussi à faire ce qu'il fallait pour garder auprès de lui les gens qu'il aimait. Son chagrin était si saisissant que jamais plus je n'avais osé lui en reparler. Je m'était contentée par la suite, de l'observer et de disséquer les émotions qui le parcouraient lorsqu'il posait les yeux sur ma mère. Chaque jour, il me semblait qu'il réapprenait à découvrir qui elle était.

Maman aussi, je l'observais. Elle restait à distance de Papé, ne lui parlait que très peu mais, lorsqu'il s'approchait de moi, avec le dos courbé et ses gestes maladroits, elle souriait. Sa mort l'a beaucoup attristée. J'ai eu comme l'impression que son départ avait remué en elle bien d'autres regrets.

« Peut-être qu'au fond, aimer des enfants ça s'apprend. », l'avais-je un jour entendu souffler aux nuages qui passaient.

Marianne gara la voiture, stoppant par la même occasion le cours de mes pensées. Nos pas nous menèrent à travers de longs couloirs dont l'odeur aseptisée m'écœurait. Devant la porte de la chambre de ma mère, mon cœur cognait. Mon amour. Mon amertume.

Marianne glissa sa main dans la mienne puis doucement, ouvrit la porte. Caroline s'affairait autour de ma mère, toujours aussi douce et patiente. Je ne savais pas si toutes les infirmières étaient comme elle ni si Caroline prenait le même temps pour chaque patient mais, chaque fois que je venais, elle était présente aux côtés de Maman, sa paume de main posée sur la sienne. Elle lui parlait à mi-voix, de ce qu'elle faisait dans la vie, de ce qu'elle faisait ici. Elle la massait aussi, s'évertuant à lui prodiguer les soins les plus doux.  Et, quoiqu'il fût possible de faire à ce stade de la maladie, je me disais que sa tendresse aurait au moins le mérite d'atténuer ses peurs. Sa présence aux côtés de ma mère me rassurait et j'espérais que le jour où elle nous quitterait, Caroline serait présente pour l'accompagner.

  • Bonjour Oly. Bonjour Marianne, murmura t-elle.

Nous la saluâmes à notre tour et nous approchâmes.

  • Comment va t-elle aujourd'hui ? A t-elle mangé ? demanda Marianne.
  • Une compote ce matin. Elle dort depuis. Un médecin va venir vous parler.

Marianne et moi échangeâmes un regard. Cela n'augurait rien de bon. Je ravalai la boule d'angoisse qui venait de remonter dans ma gorge aussi vite qu'une fusée et sortit de mon sac à dos le lecteur MP3 que ma mère m'avait cédé. Caroline déposa délicatement la main de ma mère par dessus le drap, vérifia ses perfusions et s'éclipsa. Je m'approchai de ma mère et embrassai son crâne lisse. Elle entrouvrit les paupières un court instant, juste pour me sourire. J'enfonçai l'un des écouteurs dans son oreille et l'autre dans une des miennes puis je fis défiler les musiques jusqu'à tomber sur Zombie des Cramberries.

C'était sans nul doute l'une de ses chansons préférées. Je l'avais entendue la fredonner des milliers de fois. Et c'est celle que j'écoutais en boucle lorsque je me mettais à dessiner. Je laissai la musique envahir nos esprits et recouvrir les bruits infernaux des bips réguliers que les machines auxquelles ma mère était reliée, scandaient. Et, pendant que je fredonnais les paroles en caressant sa main du bout de mon pouce, Marianne, elle, priait.

La porte s'ouvrit dans un grincement à peine audible et un médecin d'une quarantaine d'années s'avança. D'un signe de tête compatissant mais franc, il nous salua puis s'assit sans un mot, nous laissant le temps d'appréhender sa présence et de quitter doucement notre place pour le rejoindre. Je retirai mon écouteur alors que les premières notes de Karma Police débutaient, pour la placer dans la seconde oreille de ma mère. Je préférais l'immerger dans l'univers de Radiohead pour ne pas qu'elle ait à entendre notre triste réalité.

Le médecin entama la conversation. Sa voix était grave mais son intonation douce. Il utilisait des mots simples pour nous expliquer que l'épuisement gagnait chaque jour du terrain et ce qu'il se passerait dans les jours à venir. De ce que je comprenais, les douleurs, bien que domptées par la morphine, occasionnait une faiblesse généralisée ainsi qu'une perte d'appétit. L'énergie manquante allait alors empêcher les organes de remplir leurs fonctions et l'épuiserait davantage encore. Des difficultés respiratoires s'ajouteraient au tout jusqu'à ce que le cœur, devenu incapable de jouer son rôle plus longtemps, cesse de battre.

  • Soyez certaines que nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour atténuer ses douleurs et pour lui offrir les soins appropriés. Notre priorité absolue est de tout mettre en œuvre pour rendre cette fin de vie la moins inconfortable possible.
  • Est-ce qu'elle...continuera de nous entendre ?
  • Oui. Même si elle se trouve dans l'incapacité de vous répondre, elle vous entend. D'ailleurs, nous lui parlons lors des soins. Nous lui expliquons ce que nous faisons ainsi que les changements qui s'opèrent en elle, de façon à l'accompagner dans ses éventuelles angoisses psychiques. De votre côté, parlez-lui aussi. De ce que vous voulez, pourvu qu'elle entende le son de votre voix, ce qui contribuera à l'apaiser.
  • Combien...de temps nous reste -t-il ? réussis-je à demander au bout de quelques secondes de silence.
  • Je ne peux malheureusement répondre à cette question... Quelques jours tout au plus.

La réponse me fit l'effet d'un coup de massue bien que je m'y étais parfaitement attendue.

  • Si vous souhaitez que d'autres proches lui disent au revoir, je vous invite à les faire venir.
  • Elle n'a malheureusement plus que nous, entendis-je Marianne déclarer dans un soupir désespéré.

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