Chapitre 9

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Les mots d’Hector résonnaient en moi, vibrants, poignants, aussi saisissants qu’un uppercut en pleine face.

Tu me demandes donc de venir la voir mourir une seconde fois.

Je l’avais regardé quitter la pièce, la tête baissée, les épaules voûtées, incapable de lui répondre quoi que ce soit tandis que sa phrase continuait de ricocher à chaque coin de mon esprit.

La voir mourir une seconde fois.

J’avais été si obnubilée par ma colère envers lui, que je n’avais pas pris la peine de me mettre à sa place un seul instant. Je repensai au carnet, me demandai ce qu’il avait saisi de sa lecture avant que Marianne ne lui dévoile la vérité. Une vérité arrivée pour lui aussi comme un uppercut en pleine face. Je n’avais jamais pensé à autre chose qu’à cette simple question : qu’est-ce que ça lui faisait d’apprendre que Rave était ma mère ? Mais la seule vraie question était : qu’est-ce que ça lui faisait d’apprendre que Rave était vivante ? Et qu’elle allait bientôt mourir ?

Je me sentis soudain horriblement égoïste. Moi, qui d’ordinaire était sensible aux autres, à leurs sentiments et leurs douleurs. Je repris possession de la réalité et partis à la recherche d’Hector. Il n’était ni dans le jardin, ni dans l’atelier de Francis. Je restai au beau milieu de la cour intérieure, hébétée, sans aucune idée de l’endroit où il pouvait s’en être allé. Sa voiture était toujours là, il ne devait pas être très loin. Mon instinct guidèrent mes pas sur un sentier bordé de peupliers qui déboucha sur un petit ruisseau. À quelques mètres de moi, Hector se trouvait assis, les pieds enfouis dans l’eau.

Je m’approchai et pris place près de lui, doucement, sans dire un mot. Au bout de quelques minutes, sa voix étranglée rompit le silence.

— Tu lui ressembles.

Mon coeur cogna contre ma poitrine. J’avais envie de lui répondre qu’il se trompait, que là où ma mère était remplie de lumière, moi, je n’étais faite que d’ombre. Mais, mes mots se noyèrent au fond de ma gorge lorsqu’il reprit.

— Ta façon de te tenir, comme pour te protéger des autres. Je crois que c’est ce qui m’a frappé la première fois que je t’ai vue. Elle se tenait comme ça elle aussi.

Ça me serrait fort au creux de ma gorge, sans doute parce que j’attendais qu’on me parle d’elle depuis si longtemps.

— Ta façon de regarder le monde aussi. De voir les autres à travers un filtre pour ne retenir que le meilleur d’eux-mêmes.

Il tourna la tête vers moi. Ses yeux brillaient d’un mélange de tristesse et de tendresse à l’idée de se remémorer la jeune fille qu’il avait tant aimée. Puis il reposa son regard au-dessus du ruisseau, là où l’eau claire se faisait plus profonde.

— Parle-moi de vous, murmurai-je.

Il sourit. D’un sourire douloureux.

— Elle a débarqué peu de temps après le départ de ce couillon de Peter. Elle m’a agacée dès le premier jour.

J’écarquillai les yeux de surprise. Il lâcha un rire étranglé.

— Parce qu’elle ne leur ressemblait pas. Parce que je savais que je ne saurais pas la détester elle.

— Pourquoi ?

Il se retourna encore vers moi.

— Pour toutes ces choses que tu as héritées d’elle.

Je sentis le rouge me monter aux joues et fixai l’eau en attendant qu’il poursuive.

— Elle passait son temps à lire, un sourire au coin de la bouche comme toi quand tu dessines. Elle parlait peu mais quand elle le faisait ses mots étaient doux. Ils prenaient le temps de fendre l’air pour nous atteindre comme une caresse. Un peu comme une plume qui virevolte lentement à travers le vent avant de se poser avec tant de délicatesse sur l’eau qu’elle la fait tout juste frémir.

J’avais vu juste, c’est souvent ceux qui crient haut et fort qu’ils sont incapables d’aimer, qui aiment le plus fort. Les mots de Marianne me revinrent : « Il est sensible et généreux mais il ne sait pas comment gérer ça. »

— Vous vous êtes aimés tout de suite ?

Il sourit encore. Je devinai que ma question devait sembler bien naïve.

— On s’est apprivoisés.

Elle n’était donc pas le seul animal blessé, songeai-je.

— Que savais-tu d’elle ?

— Que son vrai nom était Véra mais qu’elle préférait se faire appeler Rave.

Il était complètement plongé dans ses vieux souvenirs.

— Comme Rave party souffla t-il avec mélancolie.

Rave. Comme « crois toujours en tes rêves ».

— Pourquoi était-elle arrivée chez vous ? relançai-je.

— Elle n’a jamais voulu me parler de son histoire. C’était son enfer, disait-elle. Je savais juste qu’elle connaissait à peine son père et que sa mère se droguait.

Je songeai à Papé, au regard doux qu’il posait sur Maman, à ces paroles qu’il m’avait confiées. Il n’avait jamais su comment retenir les personnes qu’ils avaient aimées…

— Tu...tu as dit qu’elle avait brûlée vive avec sa mère dans leur maison… Elle était donc retournée vivre avec elle ?

Hector contracta ses mâchoires. Son regard s’était voilé, son visage entier s’était fermé. Je n’ajoutai rien de plus. Il avait parlé plus que ce que je m’étais figuré, je devais m’en contenter. Peut-être qu’un jour…

— On s’était disputés pour cette soirée à laquelle je ne voulais pas aller. Elle avait fini par y aller toute seule. Je lui avais fait la gueule, pour la forme, mais quand j’avais voulu la retrouver, elle m’avait repoussé. Puis, elle était restée des jours enfermée dans sa chambre à pleurer. Elle en est ressortie la nuit où l’atelier de mon père a pris feu. Elle était terrorisée. Elle a plié bagage le lendemain.

— Et elle est allée chez sa mère ?

— Oui…elle est retournée à son enfer !

Je fronçai les sourcils, cherchant à comprendre les raisons de ce comportement.

— Quelques semaines plus tard, les pompiers y ont ressorti deux corps complètement carbonisés.

— Rave et sa mère ?

Hector me dévisagea mais ses yeux ne regardaient rien d’autre que le vide.

— Rave et sa mère, confirma t-il d’une voix sombre. Enfin c’est ce qu’on a cru.

— Les corps n’ont pas été identifiés ?

— Complètement carbonisés Olympe.

— Mais alors comment pouviez-vous être sûrs ?

— À cause du bracelet qu’elle portait…Une plume en or blanc que je lui avait offerte à Noël.

La plume du pêcheur !

— J’y ai cru Olympe ! Pendant toutes ces années...

Je baissai les yeux. J’avais mal pour lui.

— Je pensais vraiment qu’elle m’aimait.

— Mais c’était le cas ! m’offusquai-je.

Il s’esclaffa.

— Ah oui vraiment ? Mais elle est partie, comme ça, sans un mot, sans même un regret.

— Je…

Je ne savais pas quoi lui répondre. Tant d’éléments m’échappaient.

— Elle devait avoir compris qu’elle était enceinte et ...tu ne voulais pas d’enfants…

— On était nous même des mômes Olympe ! Qui a envie d’avoir des gosses à dix-sept ans ?

Il avait crié, s’était redressé et s’était mis à faire des allers et venues le long du ruisseau.

— Si elle m’avait seulement parlé !

« Peut-être qu’au fond, aimer des enfants ça s’apprend.»

— Au lieu de ça elle m’a fait croire à sa mort. Je ne souhaite cette douleur à personne, tu sais.

Il recommença à faire les cents pas.

— Qui est assez tordu pour mettre en scène sa propre mort et revenir mourir pour de vrai autant d’années après ? Et pourquoi ? Tu peux me le dire ?

Non. Je ne pouvais plus rien répondre. Ses mots me blessaient parce qu’ils accablaient ma mère. La seule personne en qui j’avais le plus confiance sur cette Terre. Mais je ne pouvais pas non plus le blâmer.

— C’est peut-être la preuve de ses regrets ?

Il balaya ma phrase d’un geste. Je me sentais complètement démunie. À quoi tout cela avait-il servi ? Je fouillai mon esprit à la recherche d’indices. Ça bouillonnait de mots, de souvenirs, de promesses. Parmi eux, une phrase écrite dans un carnet.

« Et, tandis que les battements de son coeur murmuraient leurs derniers accords, elle se mit à rêver. D’une jeune fille qui glissait sa main dans celle d’un pêcheur. »

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