Chapitre 10

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— Alors tu ne viendras pas ? demandai-je une dernière fois à Hector.

— Non Olympe, je ne peux pas.

Je baissai les yeux, déçue, mais je connaissais les raisons de ce refus et les comprenais d’une certaine manière.

— Merci de m’avoir parlé, soufflai-je.

Il me sourit.

Pourquoi tous les sourires que je croisais étaient-ils aussi tristes ?

— Si ça va pas...appelle.

Je lui adressai un dernier regard de reconnaissance et lus dans son regard un instant d’hésitation. Il devinai sans doute que je ne le ferai pas, mais cette main tendue signifiait beaucoup, autant pour moi que pour lui. Je montai dans la voiture aux côtés de Marianne et claquai la portière. À plus tard.


**


J’entrai dans l’hôpital avec un peu d’anxiété. J’avais tant espéré pouvoir réunir Hector et Rave une dernière fois avant que ma mère ne nous quitte. Il me faudrait trouver les bons mots pour qu’elle parte sans regrets.

Mes pensées furent bousculées par l’effervescence du couloir. Les infirmières s’agitaient devant la chambre de ma mère. Lâchant mon sac à dos, je les rejoignis en courant.

— Qu’est ce qu’il y a ?

Caroline s’approcha et me tira par le bras.

— T’avais dit qu’elle allait bien ! lui criai-je.

— Calme toi Oly, je vais t’expliquer.

Me calmer ? Mes veines palpitaient, mon coeur cognait à m’en faire exploser la poitrine. Comment voulait-elle que je me calme ? Je m’étais absentée quelques heures à peine. Le temps de… Manger, prendre un bain et discuter avec mon père.

— Qu’est-ce qu’il s’est passé ?

Mes yeux l’imploraient.

— Nous l’avons mise sous oxygène. Respirer devient difficile pour elle.

Alors ça y est, on y est ?

Caroline semblait lire en moi.

— L’oxygène l’aide un peu mais...ça ne sera pas suffisant. On fait tout ce qu’on peut pour atténuer ses douleurs mais on ne peut pas stopper le processus. Tu comprends Oly ?

J’acquiesçai. Elle se rapprocha un peu plus de moi et passa son bras autour de mon épaule.

— Je vais t’accompagner tu veux ? Ne te focalise pas sur le bruit de sa respiration, parle lui si tu le peux. Elle t’entend toujours, ne l’oublie pas.

Les mots de Caroline étaient doux, ils tentaient de me préparer à ce que j’allais découvrir mais n’atténuaient en rien la douleur dans ma poitrine. Mon coeur s’affolait et même s’il continuerait à battre quand celui de ma mère se figerait, je savais qu’il s’éteindrait lui aussi d’une certaine façon. Je comprenais plus que jamais la souffrance d’Hector et j’étais contente de savoir que nous nous étions apprivoisés. Comme les deux animaux blessés que nous étions.

J’entrai dans la chambre, serrée contre Caroline, Marianne derrière moi. Un son rauque s’échappait de la gorge de ma mère, à peine atténué par le masque qui lui couvrait la bouche. Je fermai les yeux et inspirai. Je devais lutter contre la Mort qui, penchée sur ma mère aspirait ses derniers souffles. Je devais lutter contre ces râles, contre ma peur, pour accompagner ma mère jusqu’à ce que son coeur cesse de battre.

Je rouvris les yeux. Caroline lâcha lentement mes épaules et je m’approchai du lit. Je ravalai la boule qui m’obstruait la gorge, sac de sanglots entremêlés de jurons et de cris étouffés. Puis, je déposai un baiser sur son front frais.

— Je suis là Maman, murmurai-je.

J’entendis Caroline et Marianne quitter la chambre.

— Je suis rentrée prendre un bain. C’était pas du luxe, expliquai-je.

Mon imagination dessina un sourire sous le masque à oxygène.

— J’ai trouvé ton carnet, t’es vraiment douée pour l’écriture. Je ne suis pas étonnée, j’ai toujours aimé les histoires que tu me contais. J’ai fait la connaissance de ton pêcheur. Il est plutôt pas mal !

Le râle se mua en rire.

— Il est devenu charpentier, il a pas mal de boulot tu sais.

C’est pas mal de s’arranger un peu avec la réalité quand c’est pour protéger les autres, hein ?

— Il m’a parlé de toi, de la jeune fille que tu étais. C’est beau comme vous vous êtes aimés. Ça se voit dans ses yeux remplis de souvenirs.

Sa respiration se fit plus forte, plus difficile encore. Je ravalai un nouveau sac de nœuds.

— C’est beau aussi comme on s’est aimées. Je ne pouvais pas espérer meilleure mère que toi. Tu vas me manquer…

Le sac de nœuds grossissait encore.

— ...horriblement mais je te promets que ça ira. Tu m’as offert une vie sereine, remplie de lumière. Tu m’as appris tout ce qu’il y a à savoir du monde qui nous entoure. Et tu as placé Marianne et Hector sur mon chemin pour que je ne sois pas seule. Tu savais comme ils étaient bons. Tu savais qu’ils m’accompagneraient pour la suite.

Une larme coula dans le pli de sa paupière. À moins que ce ne soit la mienne qui était tombée au coin de son œil.

— Tu peux t’en aller, Maman, ça ira pour moi.

Je l’embrassai sur le front. Dans ce long et douloureux baiser, j’y avais mis toute la douceur de mes souvenirs, toute la gratitude que je ressentais pour elle ainsi que mon amour éternel. Puis, retenant toujours les sanglots que je réservais pour plus tard, j’allai chercher le lecteur MP3 et glissai un écouteur dans mon oreille et l’autre dans la sienne.

So lately, been wondering

Who will be there to take my place

When I’m gone you’ll need love to light the shadow on your face

If a greater wave shall fall and fall upon us all

Then between the sand and stone could you make it on your own


La porte s’ouvrit doucement, je ne me retournai pas. Je me concentrai pour laisser la mélodie couvrir les râles agonisants de ma mère.


I know now, juste quite how

My life and love might still go on

In your heart, in your mind

I'll stay with you for all of time


— Va Maman, ne lutte pas. Je te promets que ça ira pour moi.

Ce n’est que lorsque je sentis une main rêche glisser dans la mienne que les râles cessèrent.

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