Chapitre 13

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Je me tenais devant chez Caroline, une petite maison de maitre avec un toit en ardoise et une porte vitrée à grille, surmontée d’une marquise en fer forgé. J’avisai l’étiquette sous la sonnette. « Caroline et Pierre Lefreux » Je ne connaissais pas son nom avant aujourd’hui. Je ne connaissais même rien d’elle. Durant toutes ces semaines passées à ses côtés, à la regarder s’occuper de ma mère, je n’avais jamais songé à la vie qu’elle pouvait mener en dehors de l’hôpital. À présent, Caroline l’infirmière devenait Caroline Lefreux, la femme de Pierre et la maman de la petite Eva.

Je pressai la sonnette et la porte s’ouvrit sur une petite fille âgée de quatre ans. Elle était brune comme sa maman avec de grands yeux noisette et de longs cils. Caroline la tenait par la main. Ses cheveux détachés retombaient en boucles sur le col de sa chemise beige. Je ne l’avais jamais vue sans son chignon, ni sans sa blouse. Elle me fit avancer et, en passant le seuil de sa maison, je pensai que c’était dans sa vie que j’entrais.

Je fis un rapide tour du propriétaire, suivant les pas de mon hôte qui glissaient comme ceux d’une ballerine sur le parquet huilé.

— Je t’ai préparé son repas. Il suffira de le faire réchauffer au micro-ondes. Il y a aussi une part pour toi. Son pyjama est prêt à côté de la baignoire. Pierre sera de retour demain en fin de matinée. Ça ira ?

— Oui, ne t’inquiète pas.

— Si jamais il y a le moindre problème, mon numéro est sur le frigo.

Après l’avoir rassurée du mieux que je pouvais, Caroline empoigna son sac et embrassa sa fille. Elle me serra dans ses bras et se sauva.

Sur la réserve, Eva porta son doudou à son cou. Je m’avançai vers elle et m’accroupis.

— Coucou Eva, moi c’est Oly ! Et lui c’est qui ?

— Doudou !

Évidemment.

— Tu me montres ta chambre ?

Elle grimpa les escaliers à toute allure et m’invita à entrer dans son univers. Je m’attendais à découvrir une chambre rose avec des paillettes et des licornes mais les murs étaient blancs. Seul l’un d’entre eux était peint dans une jolie teinte vert d’eau. La tête de lit en rotin, le mobilier et les cadres en bois clair représentant des animaux ainsi que la guirlande de lumière donnaient à cette chambre beaucoup de chaleur.

— C’est super joli ici, dis donc. Tu dois faire de jolis rêves.

La petite s’approcha du lit et désigna l’attrape-rêves suspendu au-dessus.

— Mamoune m’a fabriqué ça pour pas que je fais des cauchemars.

Sa petite faute de conjugaison la rendait trop chou.

— Elle a eu une bonne idée Mamoune.

— Tu veux zouer ?

— À quoi ?

Trois parties de cache-cache et un puzzle plus tard, je l’emmenais dans la salle de bain.

— Tu peux mettre une boule ?

— Une boule ? répétai-je sans comprendre.

La petite grimpa sur le marche-pied et attrapa le bocal rempli de boules de bain qui trônait sur la commode. 

— Ah ! Ok. Laquelle tu veux ?

— La verte.

— Tu aimes cette couleur ?

Elle hocha la tête en souriant.

— Pourquoi ?

— Parce que c’est la couleur de l’herbe et aussi des arbres et des feuilles.

— Tu aimes tout ça ?

— Hum hum.

— C’est une jolie couleur. La couleur de la nature.

Elle sourit encore plus fort.

— Tu sais ce que ze veux faire plus tard ?

— Non, dis-moi.

— Ze veux m’occuper des animaux.

— C’est une très bonne idée.

— Et toi ?

— Ce que je veux faire plus tard ?

— Non ta couleur que tu préfères.

Je m’esclaffai. Évidemment.

— Le bleu.

— Pourquoi ?

— Parce que...c’était la couleur des yeux de ma Maman.

Eva me scrutait.

— Elle est partie où ?

Sa question me dérouta. Pourquoi me demandait-elle ça ?

— Dans un endroit avec de l’herbe, des arbres et des feuilles.

— Et des animaux ?

— Et des animaux !

— Trop de la chance.

Je souris.

— Allez au bain.

Eva chantonna, s’allongea, se retourna, rit aux éclats. Y’a pas à dire, les enfants c’est la vie !

Je lui enfilai son pyjama puis lui séchai les cheveux. Elle sentait bon la pomme.

Dans la cuisine, Eva m’aida à préparer le repas. Elle mit deux sets sur la table et deux fourchettes – une grande et une petite – puis je la portai pour qu’elle enfourne son bol dans le micro-ondes.

Ding !

Elle plaça ensuite mon plat, appuya sur le bouton et s’attabla.

— Qu’est-ce que Mamoune a préparé de bon ? lui demandai-je en retirant le papier film qui recouvrait son bol. De la purée de patates douces ?

— Et des saucisses ! s’exclama la petite, ravie.

Nous mangeâmes en bavardant. Eva me parla de Mme Sénéchal, sa maitresse, de Maïté, sa copine et de Lucien, son amoureux. Elle avait une vie déjà bien remplie.

Après le repas, je l’envoyai se laver les dents pendant que je lavai la vaisselle.

— Est-ce que ze peux regarder un dessin animé ?

Il était 19h30.

— Un seul. Et après on ira lire un peu dans ta chambre. D’accord ?

— D’accord.

Eva regarda un épisode de Pat’Patrouille et m’expliqua les attributs de Chase, Ruben, Marcus, Stella, Zuma et Rocky.

— Lequel c’est ton préféré ?

— Marcus ! Parce qu’il fait toujours des bêtises.

À ce moment, ledit Marcus se cogna à la porte de l’ascenseur qui se refermait sur lui. Eva rit. C’était doux. Comme des petites clochettes qui tintaient. Je souris à mon tour. Puis songeai à ma mère et à ce regard souriant qu’elle m’adressait toujours. Quoi que la vie lui ait fait enduré, peut-être que les clochettes qui tintaient dans le creux de ma gorge avaient suffi à l’apaiser.

Eva était sage. Elle n’insista pas pour regarder un autre épisode, éteignit la télé et me prit par la main.

— Tu peux me lire ça ? me demanda t-elle en s’allongeant dans son lit.

Je manquai de lâcher le livre en lisant le titre. « Pêcheur de rêves. »

M’asseyant tout près d’elle, je tournai la première page d’une main tremblante.

Je découvris l’histoire d’Isha, un petit indien, fils d’un pêcheur de rêves qui avait appris à ses côtés, à fabriquer des pièges à rêves pour attraper les plus beaux songes. Quand vint l’âge pour Isha de prendre la relève de son père, il lui fallut capturer le plus terrifiant des cauchemars.

C’était une histoire très belle et poétique avec de magnifiques illustrations.

— Il est courageux Isha, hein Oly ?

— Oui très. Mais j’en connais une autre moi, aussi courageuse que lui.

— Qui ?

— Toi.

Elle me sourit, regarda l’attrape-rêves confectionné par sa maman et se pelotonna contre son doudou. Je lui déposai un petit baiser sur son front.

— Bonne nuit Eva.

— Bonne nuit Oly.

Je redescendis et m’installai dans le canapé, mon téléphone dans les mains. Hector m’avait envoyé un message.

« Ça va, tu t’en sors avec la môme ? »

Je souris en tapant ma réponse : « Elle est adorable. »

« Adorable ? Cet adjectif ne colle pas aux enfants. »

Je m’esclaffai et décidai de le titiller un peu : « Tu te trompes, regarde moi. »

« T’es pas adorable. T’es sacrément agaçante. »

Oh comme il y allait ! Je lui envoyai un smiley offusqué.

« Regarde ! T’as réussi à faire de moi un putain de père. »

Je serrai mon téléphone contre ma poitrine. Venant de lui c’était un putain de compliment !

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