Chapitre 16

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Nous avions fini par déblayer la table pour prendre le repas. Hector avait gardé le sifflet et le zippo et Marianne le leurre de pêche. Le reste était retourné dans le bac. On trierait plus tard.

Je passai une nuit sans rêves, une de celle après laquelle on se réveille, le sourire aux lèvres à l’idée d’avoir dormi d’un sommeil tranquille et réparateur.

En me levant, je trouvai Marianne assise devant sa tasse, le journal du jour entre ses mains. Ça sentait bon le café et les rituels sacrés. Elle me salua avant de se lever pour plonger deux tartines dans le grille-pain. J’avisai le bac échoué dans un coin de la pièce.

— Tu vas réussir à te débarrasser de tout ça ? demandai-je.

— Ça fait un joyeux bazar n’est-ce pas ?

— C’est fou comme le moindre petit objet peut avoir sa place dans nos souvenirs.

— C’est vrai.

Marianne capta la curiosité qui débordait de mes yeux.

— Je te laisse le bac à explorer pour la journée ?

— Je peux ?

— Fais-toi plaisir. Je m’en occuperai plus tard.

Excitée comme un pirate sur le point d’ouvrir un coffre aux trésors, j’avalai mes tartines que je fis passer d’une lampée de café et, après m’être habillée, j’emportai le bac près du ruisseau. Le gazouillis des oiseaux et le bruissement des feuilles se mêlaient joyeusement au silence. Mes doigts parcoururent les différents objets que mon esprit s’évertuait à accompagner du souvenir approprié, conté la veille par Marianne et Hector. Le bois, le métal, tantôt patiné, tantôt rouillé, laissaient échappé un pan du passé qui résonnait en silence dans un tiroir depuis des années. Ils vibraient, bien heureux de n’avoir pas été oubliés.

Au milieu des breloques, étaient éparpillées des enveloppes que le temps avaient jaunies. Je les ouvris soigneusement, faisant revivre les quelques lignes qu’elles contenaient. Des cartes de vœux, des cartes postales, pour la plupart. Je voyageai dans les Ardennes, en Corse, en Bretagne, là d’où les expéditeurs racontaient leur quotidien et exprimaient leurs souhaits, leurs désirs de se revoir. Toutes ces promesses qu’on ne prend aujourd’hui plus la peine de s’adresser.

Je regardai avec attention chacune des photographies, qui au milieu de ce tas de papier, attendaient patiemment de livrer les émotions qu’elles contenaient. Chaque cliché portait au dos du papier glacé, le nom des personnes qui y figuraient, ainsi que l’année. Je tentai de deviner qui était qui. La joie, qu’elle soit juste fugace ou plus ancrée dans les visages, demeurait le sentiment le plus représentatif de ces images. Je songeai à tous ces enfants qui avaient partagé un bout de leur vie avec Francis, Marianne et Hector. Je ne savais pas ce qu’ils étaient devenus mais j’étais persuadée, qu’à l’image de ma mère, ils avaient vécu, par la suite, une existence plus sereine. Séjourner dans cette maison c’était comme être tombé dans le royaume des anges, Francis, Marianne et Hector, intervenant tous trois à leur manière, dans notre douleur, comme des protecteurs.

N’ayant aucune conscience de l’heure qu’il était, je décidai de rentrer. Marianne s’affairait dans la cuisine.

— Tu arrives juste à temps pour déjeuner, me lança t-elle dans un grand sourire.

Je m’installai à table avec une pointe de culpabilité.

— Ce soir, c’est moi qui cuisine. Je suis plutôt absente ces derniers temps.

— Tu cherches simplement à retrouver un peu de paix.

Touché !

Elle était forte Marianne. Elle ne jugeait jamais, se contentant d’offrir un foyer, un repas, un sourire, quoi qui pusse déposer sur notre coeur un peu de chaleur.

L’après-midi, nous allâmes nous balader, profitant de la tiédeur de la journée. Nous suivîmes le cours du ruisseau, passant devant l’ancien lavoir, le moulin et la ferme des Terrier. L’occasion pour moi d’en apprendre un peu plus sur ce village qui était le mien depuis maintenant plus de trois mois. Nos pas nous menèrent jusqu’au cimetière où nous passâmes un certain temps à arroser les fleurs, remettre en ordre les bouquets et nous recueillir dans la complicité de nos silences.

En rentrant, je passai aux fourneaux, comme promis. Je fis revenir des bouts de saucisses avec des oignons dans du beurre que je noyai ensuite d’une sauce tomate dans laquelle j’incorporai du gingembre et du piment doux. Ça me faisait du bien de cuisiner, ça me ramenait sans conteste à ma mère, mais j’y pensais avec une pointe de bonheur.

Lorsqu’ Hector rentra, nous passâmes à table et Marianne me complimenta.

— C’est toi qui as fait ça ? me demanda t-il, une fourchette de riz figée en l’air.

— Oui.

Il haussa les sourcils, visiblement épaté.

Hector fit ensuite la vaisselle, nous laissant Marianne et moi, replonger dans les cartes postales et les photographies que j'avais raptriées au milieu du salon.

— C’est quoi ça ? demandai-je en feuilletant un tout petit carnet.

— Montre un peu.

Je tendis l’objet à Marianne qui sourit en découvrant le contenu.

— C’était à Francis. Il y répertoriait toutes sortes d’informations, comme le temps qu’il faisait, la taille du brochet qu’il avait pêché. Une habitude qu’avaient les petits vieux en son temps.

Elle rit avant d’ajouter.

— C’était mon petit vieux à moi.

— Tu l’as déjà lu ?

— Oh ça non, c’est illisible. Une vraie écriture de médecin !

Elle n’avait pas tort, les lettres étaient si étirées qu’on peinait à en reconnaître la forme d’origine.

— Tu t’embarques dans un beau travail de décodage, bon courage ! me lança t-elle amusée devant ma mine concentrée.

Hector nous rejoignit.

— Allez les jeunes, je vous laisse à votre lecture. Je n’ai plus l’âge de faire des devoirs.

Sur ces mots, Marianne nous embrassa et disparut dans sa chambre.

— Qu’est-ce que c’est ? demanda Hector en s'asseyant à mes côtés.

— Un carnet qui appartenait à ton père. Tu l’as déjà vu ?

— Ouais, ça me dit quelque chose. Je le revois écrire dedans avec un petit bout de crayon gris. Fais voir un peu…

Il examina l’écriture furtivement, la contemplant plus que la déchiffrant. Il abandonna vite et me tendit le carnet pour me le rendre. Des petits bouts de papier s’échappèrent de l’intérieur. Je les ramassai, lisant au passage les mots griffonnés dessus.

« Il est encore là

Passera, Passera pas,

Le passereau-roi »


« L’aile de la nuit

Déploie son ombre sur moi

Et crève mon corps »


— Qu’est-ce que c’est, demanda Hector en pointant les messages du bout du menton.

— J’sais pas, des sortes d’haïkus…


« Il hante mes nuits

Son cri rauque et sépulcral

Prélude à la mort »


— C’est glauque !

Je ne répondis pas, concentrée sur les lignes que je découvrais. Puis à mesure que je les lisais, les premières questions fusèrent.

— T’as une idée de qui a pu écrire ça ? demandai-je. Ça ne peut pas être ton père ?

— Ben non. C’était pas le genre. Et puis il était incapable d’écrire aussi lisiblement.

L’écriture était à elle seule angoissante. Les lettres capitales semblaient avoir été jetées sur ces bouts de feuilles dans un mélange de rage et de précipitation. Les traits étaient appuyés, comme incrustés à jamais dans le papier.

« Je le vois airer

Entre le feu et le sang

L’oiseau de malheur »


« L’oiseau se repait

De ma chair putréfiée

Sale corvidé »


— Ça fait froid dans le dos cette obsession pour les oiseaux !

Je laissai Hector commenter seul les mots que nous lisions, moi-même en proie à une étrange sensation qui s’insinuait sous ma peau.

« De son œil obscur

La corneille attend, patiente

Que le temps me tue »


Valraven, soufflai-je dans un demi murmure.

— Valra quoi ?

Je me levai précipitamment, manquant de tomber en me prenant le pied dans le bac. Mes yeux scrutaient le salon, mes doigts fouillaient les tiroirs.

— Où est-ce qu’il est ?

— Mais qu’est-ce que tu cherches à la fin ?

— Le carnet de Rave !

J’avais crié.

— Baisse d’un ton. Marianne…,dit-il en lançant un regard vers l’escalier.

Il se leva à son tour et m’aida à chercher. Lorsqu’il mit la main dessus, il me le tendit.

— Le voilà. Tu m’expliques ce qui te met dans cet état ?

Je feuilletai les pages avec frénésie.

— Je suis sûre que c’est ma mère qui a écrit ces messages. Elle a écrit un passage sur un corbeau. Tiens, écoute. « Les monstres avaient disparu, tout autant que cet horrible corbeau au coeur de pierre qui, pendant bien trop longtemps l’avait glacée d’effroi. Il ne lui restait plus beaucoup de temps mais Valraven était vaincu. Elle pouvait à présent mourir en paix. »

Hector me fixait sans rien comprendre.

— Tout est là : le pêcheur, la plume... Si on veut comprendre ce qui nous échappe, il faut lever le voile sur cette histoire de corbeau !

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