Chapitre 1

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Je trouvai Olympe, assise dans la cuisine, lorsque je me levai. Les coudes sur la table et les mains enfouies dans ses cheveux en bataille, elle fixait la couverture en cuir qui trônait devant elle.

Elle n’avait quand même pas passé la nuit devant ce foutu carnet ?

— T’as dormi, au moins ?

— Mmm.

— Un café ?

J’attendais comme un con, une capsule dans la main, qu’elle me réponde.

— Arrête un peu avec cette histoire.

Elle recula d’un geste brusque et s’exclama :

— Mais tu ne veux pas savoir toi ?

Je pris le temps d’avaler ma gorgée de café en la fixant. Ses yeux cernés sous le dessous étaient injectés de sang au dedans. Elle n’avait pas dormi du tout.

— Non.

Ma réponse l’offusqua.

— Après toutes ces années ?

— Justement. À quoi bon ?

— Moi à ta place, j’en crèverai de pas savoir !

Si tu savais !

— Et puis quoi Olympe ? Quand t’auras trouvé ce que tu cherches, quand tu connaitras le fin mot de l’histoire, tu feras quoi ?

Elle croisa les bras d’un mouvement ferme tout en levant les yeux au ciel. Je ne reçus qu’un soupir en guise de réponse.

— Hein ? Tu penses que ça la ramènera ? Qu’on reprendra notre petite vie tous les trois ?

Cette fois, le sang de ses yeux se mêla au sel de ses larmes. Pourtant, je ne m’arrêtai pas.

— T’auras beau chercher une putain de raison à son départ, rien ne changera. On ne rattrapera ni ton enfance, ni les bouts de vie qui nous manquent. Le temps n’en a rien à foutre de nos états d’âme. Il nous file entre les doigts et ce qui est perdu ne revient pas. Jamais. Elle est morte, t’entends ? Elle ne reviendra pas.

Une flamme jaillit au creux de son regard. Si ses yeux avaient été des revolvers, elle m’aurait fusillé sur place. Je tentai de calmer le jeu.

— Pense à ton avenir. Le bac ça donne quoi ?

— Tu veux jouer au père responsable, c’est ça ?

Je la toisai, mon mug de café suspendu juste sous mes lèvres. La rage débordait d’elle.

Tu me fais quoi là ? Ta crise d’ado ?

— Je veux juste que tu comprennes que tu risques de te brûler les ailes.

— Ah ouais ?

Ses yeux étaient plissés, un étrange sourire défigurait sa bouche. Je passai outre.

— On est là maintenant, tous les deux. Laisse cette histoire d’haïkus et de corbeau. Ça va te faire plus de mal que de bien. Crois-moi, il n’y a que les abysses à contempler lorsqu’on remue le passé.

— T’en sais quelque chose, n’est ce pas ?

Je serrai les dents. J’avais beau faire preuve de patience, elle commençait à me les briser ! Elle avait quoi à me répondre comme ça ?

— T’es là à me donner des conseils, à me dire de penser à mon avenir, mais t’as fait quoi, toi, pendant dix-sept ans ? À part picoler comme un trou ?

Je me vis la gifler mais, fort heureusement, mon corps ne réagit pas aussi vite que mon esprit. Au lieu du geste que j’aurais sans doute regretté aussi vite, je posai délicatement le mug sur la table dans un tintement d’éclats de porcelaine qui ne résonnaient qu’au creux de mes propres oreilles.

— Je vais mettre ça sur le compte de la fatigue, lui répondis-je calmement. Je vais bosser, tâche de te reposer.

**

Les mots d’Olympe continuaient de tournoyer dans mon esprit. C’était justement parce que je connaissais la profondeur du noir qui m’avait enrobé toutes ces années que je lui avais fait cette putain de leçon de morale. Je voulais la voir aller de l’avant. Qu’elle continue de penser à sa mère avec ce sentiment de joie qu’on peut éprouver en sachant que, malgré l’absence, on a vécu nos meilleurs moments avec la personne disparue.

Moi, je ne pouvais plus me détacher du visage de Rave défiguré par cette brûlure. Plus j’y pensais et plus je me disais que partir ne faisait pas partie de ses projets. Je restai persuadé qu’elle y avait été forcée d’une manière ou d’une autre. Le registre utilisé par Rave dans son carnet, ces mots durs et sombres contenus dans chacun de ses messages ne pouvaient donner lieu qu’à l’enfer. Ce n’était pas dans ce décor que je voulais voir errer Olympe. Je ne connaissais que trop la chaleur réconfortante des flammes qui nous tendent les bras. Elles semblaient vouloir nous étreindre, bien conscientes du gouffre froid et béant qui avait pris la place de notre coeur. Mais, plus nous avancions vers elles, dans l’espoir vain de réchauffer notre corps gelé, plus cette chaleur nous étouffait. Pourtant, ce n’est qu’à l’intérieur de ce brasier que nous voulions nous retrouver. Pour ne plus avoir à souffrir des larmes givrées qui, s’écoulant de nos yeux, sillonnent nos joues pour y creuser une rivière d’eau glacée.

Le froid, qui enrobe notre corps et gagne notre esprit, c’était la plus atroce des sensations que j’aie jamais eu à ressentir.

Bien sûr que connaître le fin mot de toute cette putain d’histoire mettrait un terme à toutes ces questions qui tournaient chaque jour en boucle dans ma tête. Bien sûr que des réponses franches apaiseraient ma culpabilité et étancheraient ma peine. Peut-être même que je ne connaitrais plus ni le froid mordant du passé, ni la brûlure des promesses vaines. Mais, j’étais certain qu’Oly était bien trop jeune, trop sensible et pure, pour affronter les démons noyés dans l’encre de ce carnet. Elle ne sortirait pas indemne de cette quête qu’elle s’était lancée. Je ne voulais pas la voir se cristalliser devant mes yeux en une statue de glace que la Mort viendrait lécher de ses lèvres ardentes. Je m’étais fait une promesse : celle de ne laisser rien ni personne la briser. Tant pis si pour cela je devais devenir son ennemi.

Je me concentrai sur ma besogne pour le reste de la journée. Ce boulot me plaisait vraiment, je devais faire en sorte de le garder. Olympe avait raison, j’avais passé toute un pan de ma vie à me foutre de mon avenir autant que du monde qui m’entourait. Je m’en cognais toujours autant des autres mais quelque chose en moi s’était allumé. Une flamme. Aussi frêle que l’espoir. Une flamme. Ravivée par le souffle d’une jeune fille innocente. Ma fille.

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