Chapitre 2

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C’est avec les lèvres pincées que ma mère m’accueillit lorsque je rentrai. Elle remua sa sauce une première fois, leva son bras pour attraper la salière qu’elle posa à côté des fourneaux avant de mélanger la même sauce dans l’autre sens. Quelque chose ne tournait pas rond, c’était le moins qu’on puisse dire.

— Ça va ? tentai-je.

— Oui, ce sera bientôt prêt.

— Olympe ! criai-je en bas des escaliers. À table !

— Elle ne viendra pas.

— Quoi ?

— Elle ne va pas descendre manger.

— Pourquoi ?

— Elle n’est pas bien.

— Qu’est-ce qu’elle a ?

Ma mère haussa les épaules.

— Mal de ventre.

— Mon cul ouais !

— Hector !

Je montai quatre à quatre les escaliers et tambourinai à la porte de sa chambre.

— Olympe, ouvre !

— Va t-en !


Crise d’ado, acte II.


— Marianne a préparé à manger, la moindre des choses c’est de venir à table.

— J’ai pas faim.

— Alors t’as décidé de ne plus dormir et de ne plus manger maintenant ?

— Va t-en !

— Tu m’en veux je... comprends. Viens manger, on discutera après.

— J’veux pas discuter.

— Alors, viens manger, on discutera pas.

— …

Fais chier !

— Bon comme tu veux ! J’espère au moins que tu révises !

J’entendis quelque chose claquait contre la porte. Un bouquin sûrement. Je ne pus m'empêcher de sourire.


Ma mère m’interrogea du regard lorsque je revins dans la cuisine.

— Elle ne descendra pas, lui répondis-je.

Elle haussa les sourcils avant de détourner les yeux. Est-ce que j’étais vraiment con ?

— Qu’est-ce qui s’est passé ? me lança t-elle.

— Elle a dans la tête de trouver ce qui a amené Rave à s’enfuir. Elle est en boucle sur ça.

— Laisse la faire.

— Hein ? Mais elle a un bac à passer. Y’a que moi que ça intéresse qu’elle ne foute pas sa vie en l’air.

— Sa vie ne sera pas gâchée parce qu’elle loupe son bac.

— Hein ?! C’est toi qui dis ça ? Non mais je rêve !

— Hector, Oly a perdu sa mère. Elle cherche des réponses, c’est tout. Personne n’aurait la tête au bac dans sa situation. C’est une jeune fille qui a la tête sur les épaules. Fais lui confiance.

— Ça reste une gamine !

Ma mère s’approcha de moi et posa sa main sur mon épaule.

— De quoi as-tu peur ?

— Je te l’ai dit ! Qu’elle gâche son avenir.

— Non Hector, tu as peur d’autre chose.

Je me dégageais d’un geste brusque. La conversation devenait surréaliste.

— Mais vous voyez pas que le passé c’est l’enfer ! Y’aura rien de bon à tirer de toute cette merde !

Ma mère ne me reprit pas sur mon langage. Elle savait que l’orage grondait en moi, qu’il fallait que je le fasse sortir.

— Tu ne pourras pas l’empêcher de chercher à comprendre, rajouta t-elle de sa voix douce.

— Alors quoi ? Je la laisse se noyer ?

— Non, Hector. Tu l’accompagnes.

Je tournai la tête vers elle, les sourcils froncés.

— Tu restes tout près. Tu montres que tu es là, même si elle ne te regarde pas. Tu lui montres qu’elle pourra toujours compter sur toi, même si tu ne comprends pas ses choix.



**


Les mots de ma mère tourbillonnaient dans mon esprit tandis que je fixais le plafond de ma chambre d’enfance. Elle venait de me donner ma première leçon de parentalité.

Je fouillais dans mes souvenirs à la recherche d’une situation semblable. Avais-je moi-même déjà placé mes parents comme spectateurs d’un choix qu’ils ne partageaient pas ? M’avaient-ils réconforté par leur présence alors même qu’ils auraient voulu agir autrement ?

Le souvenir invoqué m’apparut. Je devais avoir quinze ans lorsque j’étais descendu un beau matin, les cheveux intégralement teints en vert. Peter s’était esclaffé tandis que ma mère recrachait son café et qu’un semblant de sourire effleurait la moustache de mon père, caché derrière la page de son journal. Parce que je ne pouvais pas me contenter d’afficher une tête de rebelle sans avoir le look approprié, j’avais tailladé mes jeans et bariolé mes T-Shirt de graffitis. J’avais décidé de montrer à mes parents que moi aussi je pouvais être un mec à problèmes !

Ma mère ressemblait à un poisson qui, étendu sur la rive, luttait pour respirer. Et moi, je jubilais. Qu’est-ce qu’ils allaient faire ? M’engueuler ? M’emmener sous la douche ? M’empêcher de sortir comme ça ? J’allais leur tenir tête, j’étais prêt. C’est alors que mon père avait sorti sa voix de contrebasse : « Notre fils est un artiste Marianne. »

En revenant de l’école, ma mère m’attendait dans ma chambre : « J’ai fait quelques achats. » Et elle avait sorti de ses sacs, des T-Shirt grunge et un jean large. « Tiens, essaie, le vendeur m’a dit que ça se portait en bas des fesses. » Puis elle m’avait tendu une ceinture en cuir avec des rangs cloutés. « Parait que tu n’as pas besoin de l’enfiler dans les passants, tu la mets au-dessus du jean, comme ça. » « Oh ! Avec ton père on se disait qu’on pourrait t’inscrire à des cours de guitare, ou de peinture, comme tu veux... »

Je l’avais regardé, interloqué. Elle respirait normalement. Elle souriait même, fière de son artiste. Une semaine plus tard, mes cheveux avaient retrouvé leur couleur naturelle et ma silhouette ses vieux polos et ses pantalons droits.

Est-ce que j’étais en mesure d’en faire autant ? D’accompagner Olympe dans son délire de corbeau ? Je soupirai. J’aurais préféré qu’elle se teigne la tignasse en rose ou bien qu’elle se troue le nez pour me provoquer. Mais Oly n’était pas le genre d’ado à sortir du rang juste pour faire chier. Elle était beaucoup trop intelligente pour ça. Décoder ces haïkus, c’était pas juste une lubie, c’était pour elle une question de survie. Elle en crèverait de pas savoir.

— Fais chier !

Je me levai et allai cogner doucement à sa porte.

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