Chapitre 3

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Évidemment, Olympe n’avait pas ouvert, ni même répondu à mes lamentables grattements contre le bois de sa porte. J’étais retourné à mes insomnies, comme un chat à son panier, cherchant au creux de la nuit noire une façon de renouer le contact. Le lendemain matin, avant de partir, j’avais glissé un papier sous sa porte. Le dessin soigné d’une plume immaculée. Je ne sais pas au juste quel message je souhaitais lui faire passer. La paix, sans doute. Faute de mieux, c’était déjà ça.

En entrant dans l’atelier de Simon, l’odeur de bois me plongea dans une autre dimension. J’aurais pu passer mes journées entières ainsi que mes nuits dans cet endroit. Je revoyais mon grand-père dans son établi, les sourcils et la barbe couverts de sciure, ses mains fortes et rêches caressant les planches de chêne.

Simon n’avait rien de l’homme barbu et courbé qui occupaient mes pensées. C’était une espèce de gringalet qui avait plus l’air d’un comique que d’un menuisier. Il était aussi chétif qu’un chaton et, son strabisme conjugué à son éternel sourire en coin ne lui donnaient aucune crédibilité. Pourtant, il était pourvu d’une poigne solide qui m’étonnait chaque fois que je lui serrais la main. Outre ses blagues misogynes qu’il me servait à toutes les sauces, Simon était également un homme capable de porter sur le monde un regard raisonnable et bienveillant. Il n’avait fait aucun commentaire en parcourant mon CV. C’est tout juste s’il l’avait lu. Il m’avait posé cette simple question : « Qu’est-ce que tu sais du bois ? » Devant son sourire cocasse, j’avais hésité à répondre, m’attendant à ce qu’il le fasse lui-même comme si sa question n’était qu’une simple plaisanterie. Mais il avait patienté, son œil droit posé sur moi tandis que celui de gauche lorgnait l’arête de son nez.

— Le bois chante, pas sous le vent, pas sous la pluie, seulement lorsque tu es seul avec lui.

Les mots de mon grand-père m’étaient revenus comme ça. Comme un doux refrain mélancolique, qu’on murmure du bout des lèvres par peur de souffler à jamais la lueur voilée de nos souvenirs. Les deux coins de la bouche de Simon s’étaient étirés en même temps puis il m’avait fait faire le tour de son atelier. C’était un vrai moulin à paroles, oscillant entre paroles inutiles et véritables leçons de vie.

Ce matin, on devait être de l’ordre du babillage. Enfin, j’sais pas trop, j’écoutais pas vraiment. Mes pensées s’étaient vite reportées vers Olympe. Je pensais que, immergé dans mon antre, je saurais oublier pour quelques heures, que j’avais une fille et des responsabilités. Mais faut croire qu’être père c’était l’être à plein temps.

J’essayais en vain de repousser les flashes de Rave qui me revenaient comme pour me montrer la similitude entre l’entêtement d’Oly à faire la gueule, seule dans sa chambre et la semaine qu’avait passée Rave isolée dans cette même pièce avant son départ. Je ne pouvais m’empêcher de craindre qu’Olympe en fasse de même. Il me fallait trouver le moyen de retenir son attention avant qu’il ne soit trop tard.

— T’es pas bavard aujourd’hui ? me lança Simon.

Je suspendis mon geste et le regardai, ahuri. Quand est-ce qu’il m’avait déjà vu bavasser ?

— Tu parles pour deux, lui répondis-je.

Il s’esclaffa.

— T’as l’air soucieux… C’est à cause d’une gazelle ?

Il n'attendit pas que je réponde. Il devait se douter que je ne le ferais pas.

— Tu sais, les femmes, ça te prend la tête tout le temps. Tu veux un conseil ? Sème-les dans un magasin de chaussures, elles prendront leur pied.

Il s’esclaffa encore une fois.

— Il est pas de moi, il est de Lindsay.

— C’est qui Lindsay ?

— Ma femme.

— T’as une femme toi ?

— Ben ouais.

— Et t’as des gosses ?

— Ouais. Je voulais un garçon. J’ai eu quatre gonzesses. Tu crois pas qu’elle s’est foutue de ma gueule Dame Nature ?

Moi je voulais pas de gosses du tout ! Je confirme, elle se fout de notre gueule !

— C’est pour ça toutes ces blagues sur les bonnes femmes ?

— Non, ça c’est pour me persuader qu’elles ne sont pas essentielles à ma vie.

— Et c’est pas le cas ?

— Ben non, les femmes sont comme les fleurs, elles te font regarder le monde avec poésie.


**


Lorsque je rentrai, je retrouvai mon dessin du matin glissé de mon côté de la porte. La jolie plume blanche était barbouillée au fusain noir. Elle brillait. Comme le plumage d’un corbeau. Olympe ne lâcherait rien. Si je voulais qu’elle sorte de son silence, il faudrait que je lui montre que j’étais prêt à l’accompagner. Mais comment lui faire comprendre puisqu’elle refusait de m’écouter ? Je me creusais les méninges, réfléchissant à ce qui pourrait l’atteindre.

Ça m’avait pris toute la nuit, mais au matin, un bout de papier se trouvait au creux de ma main. Je relus une dernière fois les trois lignes que j’avais griffonnées.

« Ta main dans la mienne

Plumons ce maudit corbeau

Sous l’arbre barbon »

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