Chapitre 4

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Simon était moins bavard aujourd’hui. Sa confidence de la veille ne nécessitait sans doute plus qu’il comble nos silences par un humour feint. Ça me manquait presque quand j’enlevai le casque pour profiter de notre pause. Nous sortîmes de l’atelier et Simon s’assit sur le muret. Il tassa du tabac sur du papier à cigarette puis roula la feuille entre ses doigts avant de l’humidifier pour la refermer. Sa clope au bec, il fouilla longuement ses poches. Je dégainai le zippo retrouvé dans les vieilleries de la maison et, j’actionnai la molette trois fois. À la dernière rotation, la flamme jaillit et embrasa le bout de feuille que la bouche de Simon me tendait.

Je refermai le clapet du briquet et fit tourner l’objet entre mes doigts. Je ne savais pas pourquoi je gardais ce truc puisque je ne fumais pas mais j’aimais tourner cette fameuse molette avec, à chaque fois, l’appréhension que la flamme n’en sortirait pas. Pourtant, elle apparaissait, aussi fidèle que l’étoile du Berger dans la nuit parsemée. Alors, mes yeux, hypnotisés, la fixaient jusqu’à ce que mon pouce cède sous la pression du mouvement.

— Hey ! Qui est le seul à avoir le dernier mot avec une femme ? lançai-je sans trop savoir pourquoi.

Simon haussa les épaules.

— L’écho, lui répondis-je.

Il émit un petit hoquet timide. Il n’avait pas l’air dans son assiette. Il tira longuement sur sa roulée pendant que je comptais les secondes puis, le regard loin devant lui, il demanda :

— Tu sais comment on fait aboyer une vache toi ?

— Non j’sais pas.

— Tu rentres chez toi à quatre heures du matin.

Son regard croisa le mien avant qu’il ne m’entraine dans son fou rire.

Mon téléphone vibra. J’avisai l’écran. Numéro inconnu. Le répondeur prendrait le relai.

Simon écrasa son mégot.

— On y retourne ?

Avant de rentrer, mon portable vibra une seconde fois. Toujours le même numéro. Je serrai les dents, contrarié.

— Je prends l’appel, j’arrive.

— Monsieur Guillot ? m’interpella la voix à l’autre bout du combiné.

— Oui…

— Bonjour Monsieur. Maitre Fabre à l’appareil. Je vous appelle au sujet de Mademoiselle Véra Sénéchal.

Véra. Rave. Deux prénoms pour une seule et même personne.

— Je vous écoute.

— J’ai en ma possession une enveloppe que Mademoiselle Sénéchal m’avait confiée avec pour instruction de vous la remettre après son décès.

Je fermai les yeux. Rave. Véra. Deux prénoms appartenant à tout jamais au passé.

— Monsieur Guillot ?

— Je… oui, je suis là.

— Quand seriez-vous disponible ? Je pars demain pour une quinzaine de jours mais nous pouvons convenir d’un rendez-vous à mon retour.

Attendre serait une véritable torture pour moi. J’insistai pour le voir avant son départ, arguant le fait qu’Olympe était dans une mauvaise passe et que ce courrier pourrait m’aider à l’accompagner dans son deuil.

Le notaire consentit à me recevoir le soir même et c’est avec une appréhension pesante que je franchis la porte de son cabinet. Maitre Favre se dispensa des politesses d’usage et alla à l’essentiel.

— Voici pour vous.

Il me remit une enveloppe blanche de taille standard ainsi qu’une autre, marron, plus imposante de par sa taille et son poids.

— Mademoiselle Sénéchal m’a demandé de vous mentionner qu’il vous faudrait lire la blanche en premier. Je vous laisse parapher les feuillets et signer.

Comme un automate, j’apposai mes initiales au bas des feuilles, mon esprit complètement accaparé par ces courriers que Rave m’avait laissés. Que pouvaient-ils contenir ?

En rentrant chez moi, je posai les enveloppes sur la table basse et m’affalai dans le fauteuil. Je sentais l’orage poindre en moi. Sombre, noir, terrifiant. Ma jambe droite battait la mesure de mon angoisse tandis que je gardai les yeux fixés sur ces deux fourreaux de papier. J’entendais ma vieille horloge dézinguée ricaner. De quoi t’as peur ? Tic, Tac, Tac, Tic.

L’orage, lui, grondait au fond de moi, prêt à exploser. Je ne connaissais qu’un remède à cela. Je me levai et attrapai la bouteille de bourbon qui, sur le meuble bas, n’attendait que moi.

La première lampée brûla mon œsophage, la seconde s’écoula sur un brasier déjà presqu’ éteint, m’offrant cette douce sensation de réconfort que seul l’Enfer savait me prodiguer. Bercé dans la chaleur amère qui coulait de ma bouteille, je décachetai l’enveloppe blanche. L’écriture de Rave me sauta au visage. Elle était moins ronde que dans mes souvenirs, plus étirée, comme si le simple fait d’écrire l’épuisait. Comme si ce geste ne représentait en somme que le fardeau qu’elle se trainait depuis tant d’années.

J’avalai une autre gorgée pour me donner le courage de décoder son message.

Hector,

Je te demande pardon.

Pardon pour toutes ces années passées à te faire croire que j’étais morte. Pour toutes ces années que je t’ai volées, d’une manière ou d’une autre.

J’ai prié chaque jour que Dieu a fait pour que tu oublies ces promesses qu’on s’était faites, pour que tu refasses ta vie, que tu sois heureux, pour nous deux, même si je sais que quelqu’un comme toi ne se donne à l’autre qu’une seule fois.

Pardon d’être revenue dans ta vie, comme ça, comme un fantôme que la mort tient dans ses bras. Je ne peux qu’imaginer la douleur et la rancoeur que tu ressens.

Je ne mérite ni ta compassion, ni ton absolution. J’ai fait un choix, seule. Celui de protéger Olympe. J’ose à présent te demander d’en faire autant. Je sais quel homme tu es et quel père tu feras. Je ne pouvais rêver mieux pour elle.

Elle m’a longtemps demandé de lui révéler mon passé, mes secrets. Je ne pouvais partir sans assouvir son besoin de comprendre. Aussi, lui ai-je laissé mon carnet. Il ne contient pas tout, il y a des choses que je ne peux malheureusement pas lui confier. Mais je connais son intelligence et sa curiosité et je sais qu’elle ne se contentera pas de cette version romancée de la vérité. Elle cherchera jusqu’à ce qu’elle trouve.

Alors cette vérité, je vais te la livrer, pour que tu saches contre quoi tu te bats. Je sais qu’après cela, ton monde s’écroulera, mais je reste persuadée que tu sauras protéger Oly comme il se doit.

Brûle ma confession quand tu l’auras lue. Qu’elle disparaisse dans le feu de l’enfer comme j’aurais dû l’être.

Rave.

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