Chapitre 8

6 minutes de lecture

— Mardi c’est l’anniversaire d’Oly, m’informa ma mère en me tendant ma tasse à café. Je pensais qu’on pourrait peut-être faire quelque chose ensemble. Dix-huit ans c’est quelque chose tout de même.

Dix-huit ans ! Je venais d’avoir une gamine et déjà, elle était majeure.

— Hector ?

— Ben ouais, bonne idée.

— On pourrait passer le prochain week-end quelque part, ça nous ferait du bien à tous de changer un peu d’air.

Je repensai à cette photo punaisée dans l’atelier de mon père.

— Ça te dirait qu’on l’emmène à cet étang où nous étions allés avec Papa, tu sais celui avec les cabanes sur l’eau ? demandai-je.

Ma mère me sourit.

— Tu en gardes un bon souvenir n’est-ce pas ?

— Ouais… C’était top.

— Ça le sera aussi pour Oly.

— Ouais mais le week-end prochain ça sera mort, il aurait fallu réserver plus tôt.

— Je n’y avais pas pensé, souffla ma mère, déçue.

— Je vais regarder s’il n’y a pas des dispos de dernière minute pour cette semaine.

— Mais... ton travail ?

— Je m’arrangerai avec Simon.

La chance me souriait, pour une fois. Une cabane était disponible pour deux nuits à compter de mercredi après-midi. Il nous fallait simplement la libérer vendredi en fin de matinée de manière à ce qu’elle puisse être de nouveau louée le samedi. J’avais appelé Simon et lui avais demandé les trois jours, proposant en contre-partie de bosser ce week-end ainsi que le suivant. « Laisse tomber mec ! Il faut savoir profiter de ses gosses, le temps passe si vite », m’avait-il répondu.

Je pris la bagnole et m’aventurai en ville à la recherche d’un cadeau. Je m’arrêtai dans une librairie- papeterie et achetai un coffret comprenant une panoplie de fusains déclinés en crayons et bâtons naturels ainsi que des pastels et un carnet de croquis.

J’entrai ensuite dans une auto-école pour inscrire Olympe à ses premiers cours de code. J’achetai par la même occasion le « A » magnétique que je lui offrirais avec un de ces putains de sapin désodorisant, pour marquer le coup.

Enfin, je passai devant une bijouterie. Celle-là même dans laquelle j’avais acheté le bracelet-plume de Rave autant d’années plus tôt. J’optai pour un collier.

Sur le chemin du retour, je passai chez « le gars » pour récupérer la tondeuse mise en réparation, espérant ainsi rendre crédible mon mensonge de la nuit dernière et justifier mon absence de la journée.

À mon retour, je fus surpris de ne pas voir Olympe.

— Elle est partie rendre visite à son amie Caroline, m’expliqua ma mère.

Devant mon air interrogateur, elle se sentit obligée de rajouter :

— L’infirmière…

Elles étaient effectivement restées en contact après la mort de Rave. Olympe avait même fait office de baby-sitter pour elle. Je supposais que ça lui faisait du bien de voir d’autres personnes que Marianne et moi. Sans doute avait-elle également trouvé en cette Caroline une confidente. Quelqu’un de neutre avec qui il était bon pour elle de parler de sa mère, ou de n’importe quoi d’autre d’ailleurs.

Dans tous les cas, j’étais content qu’elle soit sortie de la maison, qu’elle se soit éloignée de cette histoire de corbeau. Son regard m’avait déstabilisé la nuit dernière, je craignais qu’elle ne soit tout près de découvrir la vérité. Et moi, j’étais si lent à lire, à comprendre le passé de Rave ! Je profitai de son absence pour essayer de rattraper mon retard.

« Mon père m’accueillit avec une surprise mêlée d’émotions. Il ne dit rien pendant un moment, se contentant de me regarder comme s’il me découvrait pour la première fois, à la fois heureux et inquiet devant mes brûlures et mon regard vide. Je lui confiai un peu de la vérité : l’héroïne, mon placement, l’incendie, la mort de ma mère, la mienne par la même occasion… Il voulut en savoir davantage mais je ne dis rien de plus. Je voulais juste oublier. Ici, le passé ne me rattraperait pas. J’abandonnai Rave, la laissant derrière moi comme je t’avais laissé toi et passai le reste de ma vie dans la peau de Véra, le prénom de naissance que mon père avait choisi pour moi.

Ma vie à ses côtés fut douce. Aussi silencieuse et sereine qu’elle l’avait été lorsque je vivais chez vous. Nous accueillîmes Olympe et enfin, j’oubliai tout.

La curiosité d’Olympe s’affûta à mesure qu’elle grandit. Le monde qui l’entourait était pour elle source d’interrogations et bien entendu la question de mon passé se posa plus d’une fois. Je ressentais son besoin de connaître son père. J’ai mis longtemps à lui parler de toi. Pourquoi ? J’y viendrai. Laisse-moi encore quelques lignes de répit.

Lorsque mon père est mort, j’ai découvert qu’il avait entretenu avec le tien une correspondance pendant plusieurs années. Il avait contacté Francis quelques temps après mon retour chez lui. Sans doute cherchait-il les réponses que je ne voulais pas lui fournir. Il est fort probable aussi qu’il ait simplement voulu l’avertir de ma fausse mort. En tant que père, il savait sans doute ce que signifiait pour un parent de perdre l’un de ses enfants. Toujours est-il qu’ils se sont mis à échanger autour de ce qui m’avait fait fuir. Et puis un jour, mon père reçut ce mot du tien : « Le corbeau est vaincu. Dis à Rave qu’il ne lui volera plus une seule miette de son coeur. »

Quelques temps après la mort de mon père, j’appris que j’étais condamnée. Olympe n’aurait plus aucune famille. C’est ce qui motiva mon retour. Je savais qu’auprès de Francis, Marianne et toi, elle serait heureuse. Je n’ai pas voulu te contacter. Je ne pouvais pas revenir auprès de toi comme ça. Je n’en avais pas le droit. Mais je n’avais aucun doute sur la relation que tu tisserais avec Olympe, que tu apprennes ou pas la vérité sur moi. Les âmes écorchées cachent en leur coeur tant de similarités qu’elles savent quoi faire pour se trouver.

J’ai déposé mon carnet dans le tiroir du chevet de mon ancienne chambre pour qu’Olympe le trouve. Je lui devais bien cette partie de la vérité depuis le temps qu’elle me la demandais

Ma curiosité piquée par cette histoire de correspondance entre mon père et celui de Rave, j’avais eu l’intention de retourner fouiller l’atelier de mon père mais déjà Olympe revenait. Je fis mine de cacher ma contrariété et la questionnai sur son après-midi passée auprès de son amie. Elle joua le jeu, me parlant avec enthousiasme de l’infirmière et de sa fille.

La soirée s’étira aussi lentement qu’un fil de soie tissé par les pattes courbées d’une jeune araignée. Lorsque tout le monde fut couché, j’attendis encore deux bonnes heures pour m’assurer qu’Olympe ne me surprendrait pas encore une fois.

J’escaladai la fenêtre de ma chambre en pensant que de toute mon adolescence, jamais je n’avais fait ça. Je contournai ensuite la cour, évitant ainsi de marcher dans les graviers. Une fois dans l’atelier, j’allumai la torche de mon téléphone en prenant soin de la recouvrir de ma main pour en atténuer encore la lueur. Je m’approchai cette fois des vestiaires métalliques. Je lâchai un juron en apercevant les cadenas à code qui empêchaient l’ouverture des portes. J’alignai les chiffres correspondant aux dates d’anniversaire de mes parents et du mien mais rien ne s’ouvrit. J’essayai également celui de Rave et celui d’Oly. En vain. À bout de patience, j’attrapai une pince coupante et sectionnai les cadenas. Dans les vestiaires se trouvaient de vieilles salopettes de mon père. Je les fouillai sans rien trouver. Il était incompréhensible que ces armoires aient été fermées si elles ne contenaient que des vêtements. J’étais persuadé qu’Olympe était déjà passée par là ! Comment avait-elle fait ? Et quelle longueur d’avance avait-elle sur moi ?

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Rêves de Plume ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0