Chapitre 9

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J’avais passé une sale nuit, ne cessant de me retourner, à la fois incapable de trouver le sommeil et de poursuivre la lecture de la lettre de Rave. Je pensais à cette correspondance, à mon père, mouillé jusqu’au cou dans cette histoire. Quel rôle avait-il joué au juste dans tout ça ? N’était-il que le confident de Rave, un simple œil gardé sur un corbeau ? Je fouillai mes souvenirs à la recherche d’indices. Mis à part le début d’incendie dans l’atelier, je ne me rappelais d’aucun événement étrange. Il avait toujours été mystérieux et silencieux. Son AVC, bien avant sa mort, avait su enterrer ses secrets au plus profond de lui. Bien joué la vie !

Je me dégageai des draps et descendis rejoindre ma mère.

— Oh sale tête…, me lança t-elle.

— Merci ça fait toujours plaisir.

Elle rit.

— Tiens, ça va te requinquer, me dit-elle en me tendant une tasse remplie de café.

Je songeai un instant à la questionner sur les courriers échangés entre mon père et celui de Rave mais si elle avait été courant cela impliquait qu’elle avait toujours su que Rave n’était pas morte. Or, ce n’était pas le cas. Je me rappelais parfaitement de l’état dans lequel elle était lorsqu’elle m’avait parlé de son retour.

Mon père avait donc agi dans son dos. Pour l’épargner ? La protéger ? Toutes mes certitudes volaient en éclat. Qui était réellement mon père ?

Je ne savais plus dans quelle direction chercher ni à quoi me fier. Mon cerveau tournait au ralenti, anesthésié par les sentiments que je tentais de refouler. J’avais l’affreuse sensation d’évoluer dans un monde parallèle où des fantômes, tapis dans l’obscurité la plus profonde, surgissaient tout à coup, prêts à m’avaler. Pourquoi ne me laissaient-ils donc pas tranquille ? Quel était l’objectif de toute cette histoire ? Et quelle en serait l’issue ?

Olympe dormait encore – ou nous faisait croire à une grasse matinée. Je l’imaginais dans sa chambre, les haïkus étalés sur un coin de son lit, les cartes envoyées par le père de Rave sur un autre. Je ne savais pas comment elle se débrouillait mais elle était suffisamment maligne pour avancer dans ses questionnements seule et lever le voile sur ce qui ne restait pour moi qu’une vaste nappe brumeuse.

Je décidai de m’occuper et sortis la tondeuse fraichement réparée de ma voiture ainsi qu’un des deux bidons d’essence que j’avais ramenés. J’avais un petit créneau en ce dimanche matin pour laisser le bruit de la machine recouvrir le vacarme présent dans mon esprit. Peut-être qu’en me concentrant sur autre chose, mon cerveau saurait, dans une sorte de travail inconscient, faire le tri nécessaire et me souffler la voie à emprunter. Il me restait encore quelques lignes à lire avant de découvrir la finalité de la lettre de Rave mais j’étais intimement convaincu que malgré ses révélations, un mystère demeurerait. Il me faudrait dans tous les cas poursuivre un bout de chemin seul.

La machine vrombit. Son ronronnement s’insinua dans les méandres de mon esprit, soulevant les questions une à une pour tenter de les placer sous un autre jour. Au bout d’une heure de vibrations cérébrales, je ne voyais qu’une seule solution : fouiller les affaires d’Olympe.

Je rangeai la tondeuse et rentrai en m’efforçant de ne pas paraître trop pressé. Oly était sous la douche. C’était une occasion à ne pas manquer, il me fallait agir vite. J’entrai dans sa chambre et jetai un rapide coup d’œil à la pièce. Son sac ! Je m’avançai et cherchai avidement à l’intérieur mais il n’y avait rien hormis son cahier à spirales et quelques manuels. J’ouvris le tiroir de la table de chevet avant de me figer, en proie à une sorte d’instinct qui me soufflait soudainement où chercher. Après m’être assuré que l’eau de la douche coulait toujours, je soulevai le matelas. Bingo ! Des cartes postales gisaient sur le sommier. Les embarquer était impossible, Olympe saurait que j’étais passé par là. Je dégainai mon portable et pris plusieurs photos. À l’abri dans mon album numérique, je pourrai ressortir les clichés au moment approprié.

Lorsque je voulus quitter la chambre, je percutai Olympe.

— Qu’est-ce que tu fais ?

— Je...cherchais ton chargeur, j’ai oublié le mien chez moi.

Elle plissa les yeux suspicieuse.

Je repensai à la gamine timide et réservée qu’elle était il y a encore un mois. Je me trouvai aujourd’hui face à une jeune femme au tempérament plus affirmé. Était-ce la perte de sa mère qui l’avait rendue si déterminée ?

Elle s’approcha de la table de chevet et débrancha le câble resté suspendu à la prise.

— Tiens. Je peux m’habiller maintenant ?

— Euh oui bien sûr.

Je tournai les talons et entendis la porte se fermer derrière moi. Il s’en était fallu de peu.

Le reste de la journée défila, rythmée par les stratagèmes qu’Oly et moi opérions pour nous empêcher l’un l’autre de nous retrouver seul. Nous savions tous les deux que chacun d’entre nous possédait des informations que nous nous appliquions à dissimuler et, l’objectif était de retarder le moment où nous pourrions, chacun de notre côté, avancer dans nos enquêtes respectives. Aussi, m’avait-elle proposé d’aller à la pêche. Elle était forte ! Elle n’avait jamais tenu une canne de sa vie mais se montrait soudainement très curieuse d’apprendre.

Nous passâmes l’après-midi au bord du ruisseau. Elle m’écoutait attentivement, mettait en application mes conseils, prenant soin de dissimuler l’hameçon dans le corps du pauvre ver de farine comme je le lui avais montré. Puis, en faisant très attention à ne pas accrocher sa ligne aux arbres alentours, elle lança la canne d’un geste vif avant de rembobiner lentement. Je la regardai ne pouvant m’empêcher de superposer l’image de Rave à celle d’Olympe. Elles se ressemblaient tant. Bien qu’Oly ait choisi de venir ici dans le seul but de m’éloigner de mes recherches, j’espérai qu’elle appréciait vraiment ce moment.

Quand vint le soir et que plus aucun prétexte ne put nous empêcher de regagner nos chambres, Olympe me dit :

— C’était une belle journée. J’ai eu l’impression qu’on était tous les trois.

Je ne sus quoi répondre tant ses mots étaient enrobés d’une nostalgie qui me troubla. Je mesurai à cet instant précis la douleur que ressentait Olympe à l’idée que la vie de famille dont elle avait toujours désirée serait à jamais amputée d’un de ses membres.

Quant à moi, je ne m’étais jamais imaginé devenir père et, dire qu’une vie de famille m’avait manquée aurait été un atroce mensonge. Cependant, je savourai la valeur de ma vie depuis qu’Olympe y était entrée. J’espérais que ma présence à ses côtés lui apporte cette impression qu’en dépit de la mort, elle, Rave et moi resterions à tout jamais liés.

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