4 - Un an avant - Premier Rendez-Vous

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En arrivant devant le petit café d’antan dans lequel elle m’a donné rendez-vous, j’ai le trac. Je la vois à travers la vitre, accoudée sur la table, belle comme un cœur. Elle porte une robe d’été fleurie, simple mais très élégante. Elle m’attend en pianotant sur son mobile, un peu anxieuse visiblement elle aussi. Je déglutis un grand coup, défroisse la chemise soigneusement choisie par ma coloc’ – la seule que j’ai, à vrai dire – et passe une main dans mes cheveux pour tenter de les coiffer un minimum malgré leur indiscipline manifeste. Puis je bombe le torse, et me lance.

Lorsque je passe le pas de la porte, elle me fait signe aussitôt, la mine réjouie. Je fais comme si je venais seulement de la repérer, lui souris et m’avance pour la rejoindre.

Arrivé à sa hauteur, elle se lève d’un bond. Elle semble hésiter, puis me tend finalement sa joue. Je lui fais la bise, comme si nous étions amis depuis toujours. Sa peau est douce comme la soie. Moi, je prie pour ne pas piquer, même si j’ai pris soin de raser les contours de mon bouc avant de partir. Apparemment, elle ne fait pas la grimace, j’en conclus donc que ça passe.

— Tu es resplendissante, lui dis-je, un peu nerveux.

— Merci ! Tu n’es pas mal non plus !

— Ah… Euh… Merci ! Content de te revoir si vite !

— Oui, je te prends un peu au dépourvu, je suppose… Désolé…

— Ah non, mais t’inquiètes ! J’avais rien d’autre à faire, façon…

— Ah…

Eh merde ! Quel abruti…

— Non mais, c’que j’veux dire, c’est que je préfère largement venir boire un verre avec toi, quoi !

— Ah OK, je vois, me répond-elle en souriant. Bon sinon ! Tu deviens quoi, toi, alors ? Tu m’as dit qu’tu bossais dans le BTP, c’est ça ?

Aïe… J’vais passer pour un crétin avec mon job qui fait pas rêver…

— Ouais, c’est ça…

— C’est quoi ta société ?

Achil-Travaux.

— Ah c’est rigolo comme jeu de mots ! Et c’est la tienne ?

— Hein ?! Euh... Ouais... Ouais, Ouais, c’est ma boîte, ouais !

Putain mais qu’est-ce que j’raconte, moi ??

— Cool ! Ça marche bien ?

— Euh… Ça va, ouais… J’ai pas mal de gros chantiers en cours, donc ça va... Et toi ? Tu fais quoi ?

Vite changer de sujet…

- Oh, moi ? Eh bien, j’ai ouvert ma propre boîte de produits de beauté. “Alice’s Beauty”, tu connais ?

— Euh… Pas vraiment… C’est que, j’suis pas trop du genre à me maquiller, tu vois ?

Elle est trop mignonne quand elle glousse ainsi ! Ne dit-on pas « femme qui rit, à moitié… » ?

— Ha ha ! T’es bête ! Non mais peut-être que tu as une… petite-amie qui pourrait connaitre, éventuellement ?

- Euh... Non... ‘Fin… J’ai pas de femme dans ma vie, si c’est c’que tu voulais savoir.

— C’était pas vraiment la question... Mais au moins, maintenant, je sais ! me répond-elle en souriant d’un air malicieux.

Je fonds !

— Alors… Ta mère, elle connait peut-être ? ajoute-t-elle subtilement.

— Ma mère ??

— Oui… Tu vis encore chez tes parents à Bagnolet, non ?

— HEIN ?! Ah non, non !! Pas du tout !! J’ai mon appart’ et tout !

— Ah c’est cool ! Et tu habites dans quel quartier maintenant ?

Merde. La question fatidique. J’peux pas lui dire que j’vis dans un trou à rats, quand même… si ?

— Oh, euh… Dans un quartier chic. Un peu “bobo” mais sympa. Dans un grand appart' spacieux et tout… Il fait quoi ? Au moins 80 mètres carrés, je crois…

Mais qu’est-ce que j’raconte… Pathétique…

— Ah c’est cool ! Et tu vis tout seul dans un si grand logement, alors ?

— Euh… Non, pas vraiment… ‘Fin…

— Ah… Tu fréquentes quelqu’un, donc…

— NON ! Non, j’te l’ai d’jà dit ! J’ai pas de meuf. Non… c’est juste que… Bah… En fait, j’héberge Samia ce moment.

Et allez ! On continue dans les mensonges ! Elle va être contente, tiens…

— Ah… Je vois ! ajoute-t-elle avec un clin d’œil.

— Tu vois quoi ?

— Nan, rien !

— Nan mais vas-y, explique ! J’comprends pas, là...

— Nan, c'est juste que… J’ai du mal à imaginer que tu vives sous le même toit qu’une nana sans qu’il ne se passe rien, c’est tout !

— Il n’s’est jamais rien passé entre nous, et y s’passera jamais rien ! C’est ma pote, c’est comme ma sœur même ! Tu crois pas en l’amitié Homme-Femme ?

— C’est pas ça… mais... Bref ! J’disais ça comme ça…

— OK. Parce que j’te le répète, c’est pas ma meuf. J’fais que l’héberger, et c’est temporaire. J’ai pas meuf, j’suis libre comme l’air en vérité !

— Tu préfères être célibataire peut-être ?

— Hein ?! NON ! Non... Pas forcément... Disons plutôt que j’ai pas encore trouvé la femme de ma vie, voilà tout !

Elle me regarde d’un air malicieux, ses beaux yeux bleus plongés dans les miens, et je perds immédiatement tous mes moyens. Elle me fait décidément toujours autant fondre ! Elle a ce charme fou qui me remue les entrailles, c’est dingue !

— Hum, hum ! je toussote pour me redonner contenance. Bref ! Tu bois quoi ?

— Oh, euh... Une bière.

— Sérieux ?! Une femme comme toi, ça boit de la bière aussi ??

— Ça a l’air de te surprendre ! Il faut un style bien particulier pour avoir le droit de boire des bières ??

— NON ! C’est pas c’que j’veux dire, mais...

— Tu pensais que je commanderai plutôt un cocktail, c’est ça ?

— Euh, bah, en fait... Oui... je finis par admettre à demi-mots en me frottant les cheveux d’un air confus.

— C’est assez marrant, en vrai !

— Ah ? Quoi donc ?

— Que tu sois autant bourré de préjugés, alors que tu as dû être le premier à en faire les frais au quotidien !

Alors là, elle m’a tué !

— Euh... Ouais... C’est pas faux, c’que tu dis là, quand j’y pense ! T’as raison en fait !! N’importe qui peut boire une bière après tout ! GARÇON !!! Deux bières s’il-vous-plait !! je hèle au barman en glissant un clin d’œil à mon rencard du jour.

Elle glousse discrètement en voyant le serveur scruter les alentours en se demandant si c’est bien à lui que je parle. Faut dire que j’avais oublié dans quel genre de café on est, et qu’ici, on ne beugle pas sa commande à tout va...

— Alors toi... Tu es vraiment... surprenant, me susurre-t-elle, un sourire mielleux aux lèvres. Je te trouve plus... Sûr de toi !

— Bah ! Faut bien ! J’vais pas m’morfondre pendant des années parce que j’suis pas un beau-gosse, hein ! J’suis comme ça, faut vivre avec, et pis c’est tout ! Que veux-tu ?

— J’ai pas dit que tu étais moche non plus...

— C’est pas c’que tu disais quand on était ado !

— Moi, j’ai rien dit du tout !

— Ah oui ? C’est pas toi qui m’a dit clairement qu’il fallait pas qu’on nous voit ensemble parce qu’on n’était pas du même style ??

— Du même style, oui ! Pas parce que t’étais moche ! D’ailleurs, j’ai jamais pensé ça de toi.

— Ah non, c’est vrai ! J’étais juste gros, je suppose...

— C’est surtout Val’ qui le disait ! Moi j’ai jamais rien dit de tel...

— Je n’t’ai pas beaucoup entendu prendre ma défense, pourtant...

— C’est vrai... Et je m’en excuse aujourd’hui. On était des jeunes cons, n’est-ce pas ?

— Mouais... Bref ! On trinque ?

#

Je passe la meilleure soirée de toute ma vie !!

On a parlé pendant des heures dans le café, de tout et de rien, de nos années lycée – catastrophiques pour moi, super pour elle – de nos amours – faut-il que je précise en ce qui me concerne ? – de nos carrières – Là-dessus, je m’enfonce lamentablement dans mes mensonges... C’est pas très glorieux de mon côté, alors faudrait pas qu’elle comprenne que j’suis un raté… – de nos familles qu’on voit plus ou moins – plutôt moins, pour ma part – de nos amitiés qui vont et qui viennent – sauf avec Samia, j’entends.

Bref ! Le temps est passé tellement vite, qu’on ne s’est pas rendu compte qu’il était tard, et qu’on n’avait rien mangé ! En gentleman, je paie donc l’addition du bistrot avec le peu de monnaie que j’ai dans les poches, en tentant de faire bonne figure devant l’employé qui me lance des regards de reproches lorsque je laisse tomber ma mitraille sur le comptoir. N’ayant pas une bourse très riche cependant, j’hésite à inviter ma compagne à diner. Mais je dois donner l’illusion que je ne suis pas fauché, et j’opte donc pour le plan B.

— T’as faim toi ? je lui lance d’un air assuré.

— Euh… Un peu, je dois dire ! me répond-elle un peu gênée.

— C’est bête, à cette heure-ci, tous les bons restaus doivent être blindés ou déjà fermés… Mais après tout, moi perso, j’préfère la simplicité ! Tu sais c’que j’aime faire, quand il fait bon comme ça ?

— Non, mais je sens qu’tu vas me le dire !

— Mon p’tit plaisir, c’est d’me prendre une bonne pizza et d’aller la dévorer face à la mer, à la belle étoile. Ça te dit ?

— Avec grand plaisir !

Eh hop ! Une économie de faite !

Nous avons donc fait un détour par le pizzaiolo, puis nous nous sommes installés sur les bords de la digue pour déguster notre marguerita avec vue sur la mer étoilée. Entre deux bouchées, je l’observe à la dérobé. Elle est beaucoup moins guindée que je le pensais, finalement ! Au contraire, elle me parait plutôt simple, comme nana. Et j’aime ça. Et puis elle est tellement belle…

— Au fait, reprend-elle. Je voulais encore m’excuser pour mon comportement quand on était au lycée...

— Hm ? Oh laisse tomber, c’est d’l’histoire ancienne ! J’suis passé à autre chose depuis longtemps.

— Nan, nan ! J’insiste ! C’était pas cool en vrai... On choisit pas d’avoir de l’embonpoint, c’est pas cool de se moquer du physique des gens...

Eh Bam ! Sans le vouloir, elle m’en remet une ! Devant mon air ahurit, elle tilte.

— EUUUHH ! NON ! C’est pas c’que j’voulais dire !

— Ha ha ha ! T’inquiètes.

— Non, mais... RAAAH ! Quelle idiote je suis ! J’suis désolée, vraiment !

— Nan, nan ! Mais ça va, t’inquiètes ! C’est la vérité. J’étais gros et c’est une réalité. D’ailleurs... j’ai pas beaucoup évolué finalement...

— Pfff ! N’importe quoi ! Tu as quand même vachement maigri, l’air de rien !

— Grandit, tu veux dire ?

— Non, non. Maigri.

— C’est gentil de vouloir être polie, mais j’suis pas stupide, tu sais ! J’le sais que j’ai d’la bedaine, j’suis pas aveugle, hein !

— Bah moi, je n’te trouve pas si gros que ça. Et ça n’me dérange pas, ta petite bedaine comme tu dis... On dirait un nounours ! Je trouve ça plutôt mignon.

Elle est sérieuse là ?! Jamais aucune femme n’a trouvé mes poignées d’amour « mignons » ! J’en reste planté là comme un imbécile, la bouche pleine, à la fixer comme si elle avait dit une énorme connerie. Je sens que je rougis, et apparemment je ne me trompe pas de beaucoup, vu le sourire amusé qui se dessine sur son visage d’ange.

Soudain, mon téléphone sonne. Je sursaute de manière monumentale, manquant de me casser la figure et éjectant malgré moi la boîte de pizza vide sur le sol, avant de sortir à la hâte mon mobile de ma poche. C’est Samia. Elle a décidément le chic pour gâcher tous mes rencards, celle-ci ! Le dernier en date, elle est carrément venue me déloger du restaurant manu militari parce qu’elle n’aimait pas la candidate en question ! Je souffle, puis ronchonne.

— Désolé... J’vais devoir y aller...

— Ta nounou te rappelle à l’ordre ? me dit-elle d’un air moqueur.

— Bah... Mais elle a raison d’un côté ! T’as vu l’heure ? En plus, j’me lève tôt demain... Bref ! Heum... J’te raccompagne ?

— Euh… Non, ça ira merci. J’ai passé une excellente soirée, en tout cas ! Merci beaucoup. J’espère qu’on aura d’autres occasions de discuter ! On s’tient au jus ? Allez ! Bye !!

Sur ce, elle se lève, frotte sa robe pour en retirer les miettes de pizza, me fait signe de la main et s’éloigne d’un pas décidé, son arrière-train bien roulé me taquinant les yeux.

Et c’est ainsi que tout à commencer.

Ouais, ça va… J’vous entends d’ici. Ça débute sur un mensonge, c’est mal barré ! Oui, bon… Je sais, c’est pas très malin d’avoir menti sur mon logement. D’autant plus que si j’arrive à la pécho, faudra bien que je la fasse venir chez moi à un moment donné. Maintenant, je vais devoir trouver un appartement qui fasse illusion et que je pourrais squatter quand je voudrais la voir… Très, très malin ça, Bryan…

Bref. En rentrant dans mon appart’ pourri, c’est à moitié sur un petit nuage, et à moitié dans mes pensées que je me laisse tomber mollement sur le canapé, en me triturant les méninges pour trouver une solution à cette situation ubuesque dans laquelle je me suis fourré tout seul, comme un con.

— Quoi ? me lance Samia en relevant un sourcil devant son bol, le lendemain matin. Tu m’en veux, c’est ça ?

— T’en vouloir de quoi ?

— Tu fais la gueule parce que j’t’ai appeler pour qu’tu rentres hier soir ?

— Nan.

— Alors qu’est-ce t’as à faire la tronche depuis hier ?? Ça s’est mal passé ton rendez-vous ?

— Si, si, c’était super même !

— Bah alors qu’est-ce qui va pas dans ce cas ? Elle veut plus t’revoir ??

— Mais si roooh… Toujours aussi optimiste, ça fait plaisir…

— Tu tires une tronche de déterré depuis qu’t’es rentré !!! Excuse-moi d’me poser des questions ! C’est parce que t’as pas niqué dès l’premier soir ?? Bah laisse-lui l’temps, aussi !

— Tu m’fais chier, Sam ! Ça n’a rien à voir, et tu l’sais très bien ! J’suis pas du genre à sauter sur les filles comme ça, ‘fin merde quoi !

— Oh ça va, te vexe pas ! C’était pour rire… Alors qu’est-ce qui t’tracasse, frérot ? Parce que vu ta tête, y’a forcément un truc qui va pas.

— C’est rien… Ça m’regarde…

— De quoi, « ça m’regarde » ?! Tu déconnes ou bien ?? On est potes, non ?

— Sam, s’te-plait… J’ai juste fait une boulette et j’dois me dépatouiller tout seul avec ma connerie, voilà.

— Quel genre de connerie.

— Rien de grave, t’inquiètes. BON ! Allez, j’dois y aller, moi ! Sinon, j’vais m’faire défoncer par l’dirlo, encore… Salut ma poule !

Je fais genre que tout va bien, mais en vrai, j’ai un énorme problème, avec tout ça ! Comment je vais faire pour me trouver un appart’ convenable pour y emmener mon rencard ? Un gros mytho qui va me coûter cher… Faut vraiment que je trouve une solution. Et je ne sais pas pourquoi je n’en ai pas parlé à Samia, au fond…

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