8 - Neuf mois avant - Une Affaire qui Roule
Maintenant deux semaines que je suis l’homme le plus chanceux du monde ! Parfois, je me demande tout de même pourquoi elle m’a choisi moi. Après tout, je ne suis pas un Apollon, je suis grand et gras, avec un visage sommes toute banal et balafré qui plus est, et je n’ai pas de gros muscles saillants… Qu’est-ce qu’elle peut bien me trouver, finalement ?
L’autre jour, je le lui ai demandé, pendant nos préliminaires. Elle m’a répondu qu’elle aime bien mes petits bourrelets, au contraire. Elle dit que ça la rassure, que c’est mieux d’avoir un bon oreiller pour y poser sa tête lorsque je la prends dans mes bras, plutôt que des pectoraux durs et peu confortables. Et puis, elle dit que c’est pas les muscles le plus important pour elle. Elle parlait de ma queue ou de mon cerveau ??
Elle est vraiment parfaite, mon Alice. Je suis fou amoureux d’elle ! Et je crois que c’est réciproque. Enfin, j’espère ! C’est l’impression qu’elle me donne en tout cas. On s’envoie des messages sans arrêt, on s’appelle pendant nos pauses, on se voit le plus souvent possible. C’est pas toujours facile, car elle bosse dur, ma belle. Je passe cependant le plus de temps possible avec elle. Je lui offre des cadeaux – au risque d’y laisser ma paie – je la couvre de baisers et de tendresse autant que je peux pour qu’elle ait toute l’affection dont elle a besoin. Je ferais n’importe quoi pour qu’elle se sente aussi comblée que moi je le suis !
C’est tellement incroyable qu’une nana comme elle soit avec un type comme moi ! Je donnerai tout ce que j’ai pour qu’elle reste avec moi le plus longtemps possible, et vivre cette idylle jusqu’à la fin de mes jours à ses côtés.
D’ailleurs, ce soir, elle m’a demandé de l’accompagner à une soirée importante. Je me suis donc fait tout beau !
Je sors de la salle de bain en finissant de boutonner les manches de ma chemise d’un blanc immaculé, et lorsque je relève la tête, je croise Samia qui revient de la cuisine avec un grand bol de pop-corn dans les mains.
— T’étais pas obligé d’te saper comme un beau-gosse pour ça, hein ! ricane Sam, l’air incrédule, en me dévisageant de la tête aux pieds.
— De quoi ?!
— Bryan… Tu t’souviens quel jour on est, au moins ??
— Oui, mercredi, pourquoi ?
— Et tu sors ??
— Bah ouais !
— Bah… et notre traditionnelle soirée Netflix ??
— Arf… Ah oui, c’est vrai… Bah… On remet ça ? Façon, j’peux pas, je dois accompagner Alice à un vernissage ce soir ! je lui réponds fièrement, en replaçant mon col.
— Un vernissage ?!
— Ouaip !
— Mais tu sais même pas c’que c’est ! se moque-t-elle ouvertement.
— Bien sûr que si !! je m’offusque.
— Ah ouais ? Et c’est quoi alors ?
— Heum… C’est… Un évènement hyper important !
— Ouais… Mais encore ? Ça s’passe où ?
— Euh…
— Dans une galerie d’art, mec !! Inculte… Nan mais sérieux ! Tu vas passer ta soirée dans une galerie d’art, à r’garder des croûtes hors de prix avec des bobos qui vont t’narguer avec leur pognon ? Vraiment ?!
— Mais qu’est-ce que ça peut t’foutre ?! Toute façon, j’y vais pour Alice, pas pour les œuvres ! Et pis, si ça s’trouve, les gens sont plus agréables que tu n’le penses !
— Alors là, j’y crois très peu ! Franchement, tu vas louper une soirée Netflix pour aller te faire chier là-bas ??
— J’lui ai promis, Sam. J’peux pas faire faux bonds à Alice, toute d’même !
— Mais à moi, si, à l’évidence… ronchonne Sam, en fronçant les sourcils.
— Pffff… je soupire en levant les yeux au ciel. Bon, allez, j’y vais ! Bonne soirée !
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Je rejoins Alice devant l’adresse indiquée. Elle m’attend déjà, toujours aussi resplendissante, en robe de cocktail bustier bleu nuit. Personnellement, je trouve que ses seins ressortent beaucoup trop dans ce bustier, mais qu’importe, elle sera comme toujours la plus sexy ce soir.
Lorsque nous entrons, ma belle à mon bras, je suis un peu perdu. Certains sont en costume cravate, d’autres en jean et baskets… D’autres encore sont habillés… Comment dire ? Comme des clowns ?? Je tente tant bien que mal de faire bonne figure, essayant de paraître le plus naturel possible. Après tout, je suis sensé être un homme riche et important moi aussi, je suis donc sensé être coutumier de ce type d’évènements. Alice me présente à quelques personnes, puis me laisse un instant seul avec ses convives pour « discuter affaires » avec un homme à l’écart. Dès qu’elle s’éloigne, un silence pesant s’installe autour de moi.
— Hum, hum, je toussote. Sympa, cette petite soirée, hein ?
Pas de réponse, juste un sourire crispé de ma voisine… OK… Trouve quelque chose pour détendre l’atmosphère, Bryan !
— Et ce champagne… Délicieux ! Va falloir que j’fasse gaffe de pas trop boire, j’voudrais pas le dégobiller sur une toile et être obligé d’vous la vendre ensuite une petite fortune, ça s’rait con, non ? HA HA HA !!! HA HA !!! Aaaah… Hum, hum…
OK… Bon… En plus, ils n’ont pas d’humour… Magnifique…
Le mec en face de moi me regarde bizarre. Il semble offusqué et profondément gêné d’être là, avec moi. Ma voisine scrute les alentours avec dédain, espérant trouver refuge avec un autre groupe d’individus. Ils me prennent probablement pour un fou… Ou un débile peut-être même…
Soudain mal à l’aise, je cherche ma dulcinée du regard. Celle-ci est toujours en pleine discussion avec l’homme aux cheveux grisonnants au fond de la salle. Je crois qu’il vaut mieux que je fasse profil bas en l’attendant. Je m’excuse auprès de mes convives et déambule en observant les tableaux au prix exorbitant accrochés aux murs désespérément blancs et sans âme. Quand je pense que Sam est sûrement en train de se fendre la poire devant une série Netflix en ce moment même, alors que moi… Alice finit par me rejoindre, tandis que je reste planté devant une œuvre que je ne regarde pas vraiment, perdu dans mes pensées, ma flûte à la main.
— Qu’est-ce qu’il se passe, Bryan ? me chuchote-t-elle. Y’a un problème avec les autres ?
— Non. Du tout.
— Pourquoi tu discutent pas avec eux alors ?
— Oh ! Euh… J’avais envie de faire un peu le tour de la galerie, c’est tout.
— Ah… OK… T’as fini ton tour maintenant ?
— Pourquoi ?
— Bah j’aimerai que tu sois à mes côtés, quoi !
— Ah… Oui, bien sûr. J’te suis, alors.
Alice semble tout à fait à son aise dans ce milieu, contrairement à moi. Pour ne pas risquer de renouveler ma bévue de tout à l’heure, je garde le silence au maximum. Ce qui n’échappe pas à ma belle compagne.
— Bon, qu’est-ce que t’as aujourd’hui, Bryan ?!
— Bah rien, pourquoi ?
— Tu dis rien ! On dirait qu’tu fais la tête ! Qu’est-ce qu’il y a ? T’es pas content d’être avec moi, c’est ça ?
— Mais non… je souffle. C’est pas ça, voyons…
— Alors fais au moins l’effort d’être aimable et agréable, s’te-plait !!
OK… J’viens carrément d’me faire engueuler par ma meuf devant tout le monde… La honte.
Je n’sais plus où me foutre… Je crois que j’vais réellement vomir, avant même d’être réellement bourré… Je me hâte rapidement vers les sanitaires dès qu’Alice a le dos tourné.
Après m’être passé une lampée d’eau sur le visage pour reprendre mes esprits, je m’active à me sécher les mains sur la serviette épaisse et douce qui sert d’essuie-main. C’est alors que j’entends glousser de l’autre côté de la cloison, dans les toilettes destinées aux femmes. Ah chouette ! Des potins croustillants ! Ça animera un peu ma soirée merdique…
— Pffff… Non mais franchement, elle l’a dégoté où celui-là ?! Tu l’as entendu parler ?? Il a l’air complètement attardé !
— C’est clair qu’il a pas inventé l’eau chaude, en tout cas !
— Ouais, et il y connait rien en art !
— Sans parler de son humour de merde…
— Mais carrément ! C’est d’un vulgaire !
— Franchement, Alice nous avait habitué à mieux…
— J’avoue ! Cette fois, elle a fait fort, tout de même !
— En plus, il est même pas beau !
— J’vois pas ce qu’elle lui trouve, en effet !
— Soi-disant qu’il a d’la tune…
— Bah même ! J’espère pour elle qu’il a des talents cachés, parce que sinon…
— Ha Ha Ha !! Imagine ! Si en plus, il n’a rien dans l’pantalon, c’est vraiment la loose pour elle !
Le sol se dérobe sous mes pompes. Oh putain… Je fais pitié à c’point ??
OK ! Faut te reprendre, Bryan ! Tu dois lui faire honneur !
J’ai bien l’intention de leur montrer que je ne suis pas un moins que rien, à tous ces biens pensants ! Je retourne donc dans la galerie, plus remonté que jamais.
Alice est en train de s’extasier ouvertement devant une petite foule de messieurs bavant sur son physique avantageux, lorsque j’arrive à sa hauteur.
— Ah ! Te voilà, mon chéri ! me lance-t-elle. Je t’attendais ! Figure-toi que le tableau devant lequel tu beuguais tout à l’heure est l’œuvre d’un peintre italien célèbre dans son pays ! Peintre que seul le propriétaire de cette galerie propose à la vente en France !
— Ah.
— Et Monsieur est justement le fameux propriétaire, et il m’a gentiment proposé de nous faire un prix, rien que pour nous !!
— Ah, parce que tu comptes l’acheter ?
— Pas moi, voyons ! Toi !!
— Hein ?!
Quoi ?! Mais qu’est-ce qu’elle raconte ?? J’ai pas les moyens, moi !! Pis il est même pas beau, son truc…
— Oui ! Pour mettre dans ton duplex luxueux de 80 m² en plein cœur du quartier de la rue Saint Denis ! J’ai déjà une idée de l’emplacement idéal pour lui !
Est-elle réellement obligée de donner tous ces détails ?!
— Ah oui… Bien sûr… Donc, monsieur nous fait un prix, c’est ça ?
— Exactement !! Il est gentil, il nous le fait à 10 000 euros seulement ! C’est sympa, hein ?
Je m’étrangle avec ma gorgée de champagne, et Alice perd son sourire.
— Quoi ? Ça ne te convient pas, mon amour ??
— Euh, si si ! Non, c’est juste qu’effectivement, c’est un très bon prix ! C’est très aimable à vous, monsieur… ?
— Charles-Henri De La Magneville, troisième du nom ! me répond le soi-disant artiste.
— Eh bien… Monsieur, euh… De la Magneville, troisième du nom, je vous remercie pour ce tarif avantageux !
— Je vous en prie ! Parce que c’est vous, ma chère mademoiselle Andersson ! ajoute-t-il à l’intention de ma bien-aimée, en lui faisant un baise-main.
Oui, surtout pour ses beaux yeux, hein ? Ou son cul et ses nibards plutôt…
— Tu l’achètes alors ? s’enthousiasme Alice, malgré mon teint blême et mes yeux bruns qui fusillent ce Charles-Henri machin-chose.
— Que ne ferais-je pour toi, ma princesse, je lui réponds en la prenant délibérément par la taille pour la ramener à mon grand corps volumineux, et lui déposer un tendre baiser sur les lèvres.
Me voilà dans une merde phénoménale !! Je suis bien incapable de payer ce machin à 10 000 balles ! Mais je n’ai pas l’intention de donner raison aux deux pimbêches des sanitaires, et je ferais honneur à ma belle. Il faut que je trouve une parade pour m’en sortir sans égratigner mon orgueil et ma prestance.
Je jette un œil du côté de la toile, et m’aperçois qu’un homme endimanché l’observe à son tour avec intérêt. Je m’approche discrètement.
— Jolie toile, n’est-ce pas ? je m’enquiers avant de porter mon verre à ma bouche.
— Hm ? Oh ! En effet, oui.
— Et j’en suis l’heureux acquéreur !
— Ah oui ? Ah… Dommage…
— Ah… Elle vous plaisait aussi ? je feinte la surprise.
— Eh bien… Pour être honnête avec vous…. C’est une œuvre d’un peintre italien. Et ma femme étant elle-même d’origine ritale, cela lui aurait fait plaisir, je crois…
— Ah… Zut. Me voilà bien embêté pour vous.
— Oh non, ne le soyez pas ! C’est la loi du marché, vous savez.
— A vrai dire… Pour être moi aussi honnête avec vous… Le propriétaire de la galerie m’a fait un prix d’ami, mais je vous avoue que je ne saurais quoi faire de cette œuvre qui ne correspond pas vraiment avec mon style habituel. Je n’ai pas osé refuser son offre car elle était avantageuse mais… Peut-être que si vous lui proposiez une offre légèrement au-dessus…
— Combien vous a-t-il proposé ?
— Oh ! La moitié de sa valeur, de ce que j’ai cru comprendre.
— C’est-à-dire ?
— 20 000.
— Vraiment ?!
Il mord à l’hameçon !
— Je peux peut-être m’effacer face à votre négociation auprès du galeriste, si cela vous intéresse vraiment ?
— Vous feriez ça ? Mais… Vous ne risquez pas de le froisser ?
— Oh ! Ne vous en faites pas pour ça ! C’est un ami de ma femme, il comprendra ! Je lui en achèterai un autre plus important pour le dérider, j’ajoute avec un clin d’œil.
— Très bien… Dans ce cas… Je vous remercie de me céder la place ! Monsieur ?
— Appelez-moi Smith.
En douce, je retrouve donc le fameux vendeur.
— Dites. Excusez-moi, mais je crois que l’homme là-bas semble vraiment intéressé par le magnifique tableau que je vous ai acheté.
— Ah bon ?! Eh bien, dommage pour lui, il n’est plus à vendre puisque vous me l’avez acheté !
— Oui… C’est surtout dommage pour vous, car il m’a dit vouloir vous l’acheter le double de ce que vous m’avez gentiment proposé… Me voilà bien fort embêter pour vous, du coup… je feins de réfléchir, la mine déconfite.
Ça fonctionne ! Il blêmit à vue d’œil !
— Ah… souffle-t-il en déglutissant difficilement.
— Oui, d’autant que je ne peux malheureusement pas suivre son offre… C’est embêtant…
— En effet…
— Mais bon ! je m’exclame, soudain de nouveau enjoué. Un accord est un accord, n’est-ce pas ?
— Euh… Oui…
— A moins que…
— A moins que quoi ??
— Que vous ne préfériez accepter le prix du plus offrant.
— Mais… Votre dame en serait fortement peinée si je ne vous le vends pas à vous.
— Oh ne vous inquiétez pas pour ça. Les affaires sont les affaires, que voulez-vous ? Je lui en trouverai un autre, et puis voilà ! Tant qu’on a de l’argent, on arrive toujours à combler une femme !! Vous savez ça aussi bien que moi, je suppose !
— Hm, oui. En effet. Vous laissez donc passer cette occasion ?
— A contre-cœur, mais… Oui.
— Très bien ! Dans ce cas, parfait ! Je vais de ce pas aller conclure avec ce monsieur ! Je vous remercie pour votre générosité et votre honnêteté, jeune homme ! Bonne soirée !
Et hop ! Sauvé !

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