10 - Six mois avant - Evolution
Je file le parfait amour avec Alice.
Cela fait maintenant trois mois que nous sommes officiellement en couple. Nous nous retrouvons régulièrement dans l’appartement luxueux de mon client pour de folles nuits endiablées. J’ai pris soin de ramener quelques affaires à moi dans le duplex, afin d’y mettre ma petite touche personnelle et que mon histoire soit crédible. Quelques photos, des petits souvenirs de vacances à trois francs six sous, un peu de vaisselle sale dans l’évier, en plus du tableau qui trône lui aussi dans le salon désormais… Bref, de quoi donner l’illusion qu’il s’agit bien de mon chez-moi au quotidien. Evidemment, je cache tout ça dès qu’elle s’en va, et je m’organise toujours pour que Alice ne vienne qu’en soirée, au cas où il viendrait une lubie à mon patron de venir vérifier l’avancée de mon travail en journée.
En parlant de taf, j’ai quand même dû entreprendre les travaux que je suis sensé faire, bien évidemment. Aussi, pour excuser tout ce remue-ménage auprès de ma bien-aimée, j’ai prétexté vouloir faire quelques petites rénovations. J’ai fait semblant d’avouer que le côté artisanal de mon métier me manquait un peu maintenant que je suis entrepreneur, et que cela me fait du bien de faire un peu de travail manuel ici. En plus, ça justifie que mes affaires soient rangées régulièrement, si jamais j’oublie de remettre quelque chose à sa place.
Bref ! L’air de rien, je m’en sors pas trop mal !
Pourtant, je n’ai toujours pas l’impression que Samia soit heureuse pour moi. C’est même de pire en pire. Elle semble plus renfrognée que d’habitude, me parle à peine, s’isole même parfois quand je rentre à l’appartement.
Bon… OK. J'avoue que je ne lui accorde peut-être plus autant de temps qu’avant, depuis que je suis avec Alice. Pis je l’ai abandonné le soir de notre traditionnelle soirée séries pour ma belle... Mais en même temps, quand on se retrouve à trois, elle nous lance des regards noirs. Surtout à Alice, je dirais ! On dirait même qu’elle l’agace, pour être totalement honnête. Et moi, ça me contrarie.
Samia a toujours fait gaffe à mes fréquentations. C’est vrai que là-dessus, je ne peux rien lui reprocher. Elle a toujours été une amie fidèle et limite protectrice. Elle a toujours été honnête sur ce qu’elle pensait de mes coups de cœur, et m’a prévenue à chaque fois que je m’emballais trop pour un coup d’un soir. Elle m’a mis des claques même parfois pour me ramener sur terre. C’est pour ça qu’elle était venue de déloger du restau lors de mon dernier rencard : La prétendante avait tenté de me voler mon portefeuille avec l’aide de son véritable mec pendant que je mangeais, les yeux fixés sur son décolleté plongeant. Samia l’a vu, elle est entrée comme une furie dans l’établissement, et a décollé une de ces claques dans la tronche de la nana, puis un coup de pied bien placé dans les couilles de son complice, qui n’a rien compris ! Ensuite, elle m’a attrapé par l’oreille et m’a sorti de là manu militari, me traitant de gros obsédé au passage.
Je sais donc que Samia surveille de près mes relations amoureuses, mais là… Je ne comprends pas ce qu’elle reproche à Alice, en plus de ça !
C’est vrai quoi ! Elle est géniale, ma meuf, non ? Gentille, douce, attentionnée, canon, et intelligente même ! Elle a sa propre boutique en ligne de produits de beauté, c’est pas rien quand même ! Je suppose qu’il faut en avoir dans le crâne pour gérer une société. Elle travaille dur pour ça, et cela lui prend parfois beaucoup de temps. Du coup, on ne se voit pas toujours aussi souvent que je le voudrais, mais le taf avant tout. Il faut se donner les moyens pour réussir, comme elle dit. Je l’admire tellement. Et puis, elle fait l’effort de se montrer sympa avec Samia, contrairement à elle, qui lui grogne dessus à chaque fois qu’elle la voit.
Je ne la reconnais plus. Elle n’a jamais été à ce point méprisante et désagréable avec mes conquêtes, aussi peu nombreuses furent-elles. Elle n’a peut-être pas l’habitude, il faut dire. On a toujours tout partagé, Samia et moi. Alors forcément, ces derniers temps qu’on ne se voit quasiment plus, ça doit lui faire bizarre, j’avoue. Je devrais la rassurer : Je n’ai pas l’intention de perdre notre amitié. Elle aussi, elle est importante pour moi.
— Sam ?
— Hmm ?
— Ça va ?
— Hmm…
— C’est vague !
— Parce que ça t’intéresse, maint’nant ?
— Okayyy… Tu fais la gueule, donc…
— Je devrais ?
— Non. Enfin… Si c’est l’cas, y’a pas d’raison, non.
— Bah voyons… C’est pas à toi d’me dire si j’dois bouder ou pas, toute manière.
— Tu boudes parce que je n’suis pas resté avec toi mercredi dernier, c’est ça ?
— Non, j’m’en fiche, tu fais c’que tu veux d’ta life.
— Menteuse ! je la taquine un peu.
— Merde, Bryan.
OK. Perdu. Pas d’humeur à rire, visiblement. Try again.
— C’est à cause d’Alice, n’est-ce pas ?
— Ah tu crois ?? ironise-t-elle.
— Mais qu’est-ce que tu as contre elle, exactement ? T’es… Jalouse ?
— JALOUSE ?! MOI ?? s’emporte-t-elle soudain. Pffff… N’importe quoi ! Pourquoi je s’rais jalouse d’ailleurs ? Hein ? Parce qu’elle passe tout son temps avec toi ? Parce qu’à cause d’elle j’vois même plus mon meilleur pote ?
— C’est vrai, on s’voit moins, toi et moi, j’en suis désolé. J’étais trop concentré sur Alice et la réussite de notre histoire, j’avoue. Mais t’inquiètes pas, ça change rien entre nous ! On est toujours potes !
— Pfff… Elle t’a surtout r’tourné l’cerveau avec ses nibards de bombasse...
— Arrêêêtes ! J’vais me libérer du temps pour toi, j’te promets !
— J’te crois pas ! Tu n’jures que par elle, Bryan ! Même quand t’es pas avec elle, t’es pas vraiment là… Tu passes ton temps à lui écrire ou à l’appeler. On n’a plus un seul moment ensemble !
— J’vais m’reprendre, promis !
— T’es totalement hypnotisé…
— *soupir* Sam… J’sais que ça t’manque, nos moments ensemble… A moi aussi tu sais ? J’te jure que j’vais faire en sorte de passer plus de temps avec toi ! J’ai pas envie de perdre notre amitié, j’t’assure.
— Moi non plus… Mais là… J’trouve qu’elle est trop présente, ces derniers temps. Pis en plus, elle m’aime pas !
— Quoi ?! C’est toi qui dis ça ?? Mais « LOL » quoi ! Tu lui parles tout l’temps comme un chien ! C’est toi qui n’es pas très sympa avec elle, franchement !
— Bah voyons…
— Sam… S’te plait… Fais un effort, au moins ! Pour moi…
— Je fais qu’ça, des efforts !!
— Je l’aime, Sam !
— J’vois ça… Mais j’reste à dire que votre relation n’est pas fondée sur de bonnes bases… Et que tu devrais lui dire la vérité….
— Et c’est r’partie… je souffle, d’un air dépité.
— J’dis ça pour toi, tu sais ?!
— Oui… Je sais… Mais j’suis un grand garçon, Sam.
— Un grand garçon aveuglé par la beauté d’une meuf aux gros nichons et aux fesses rebondies !
Elle me fait rire quand elle fait sa jalouse !
— T’inquiètes, t’es jolie, toi aussi ! je lui réplique en souriant. Tu trouveras un mec bien, j’en suis sûr !
— J’t’emmerde, Bryan… Ça n’a rien à voir… Pis tu m’fais chier à la fin !
Et là voilà qui se renfrogne de nouveau, se levant d’un bond pour filer dans la chambre avant d’en claquer la porte violemment.
Bon… OK. Je vais la laisser tranquille un petit peu. Elle va redescendre, je la connais.
#
Aujourd’hui, c’est mon jour de repos. Habituellement, je retrouve Sam à l’épicerie, mais cette après-midi, Alice a décidé de m’emmener faire du shopping. Elle trouve que mes tenues ne sont pas assez « classes », d’après elle. Elle s'est donc mise en tête de refaire toute ma garde-robe. Maman !!
C’est donc sans grand enthousiasme que je la suis dans les magasins de fringues, et que je la laisse me faire essayer une bonne trentaine de tenues différentes. Non mais sérieusement !! Je n’ai pas réussi à sortir de cette putain de cabine une seule minute !!
Bref. Elle s’est enfin arrêtée sur une dizaine de vêtements tout de même, et nous arrivons les bras chargés à la caisse. Pendant que la caissière en nage retire les antivols et scanne chaque article dans un moment qui semble interminable, Alice fouille dans son sac.
— Bah... Ça alors... C’est bizarre ça... Je pensais pourtant l’avoir mis là...
— Quoi donc ?
— Bah mon portefeuille !
— Ah...
— Zut alors...
— Nan, mais laisse tomber ! je commence à m’agacer.
Après ces nombreux essayages, je suis épuisé, et je ne souhaite qu’une chose : Sortir d’ici !
— J’vais payer, t’inquiètes... dis-je en sortant ma carte bleue.
— 669 euros et 97 centimes, s’il-vous-plait ! annonce fièrement la caissière.
— COMBIEN ?! je m’étrangle.
— 669 euros et 97 centimes, s’il-vous-plait !
OK, donc j’avais bien compris... C’est quoi ce délire ?! Comment on peut en arriver à des sommes aussi astronomiques avec si peu d’articles ?? C’est la moitié de ma paye, putain !
L’air de rien, je paie tout de même, une goutte de sueur perlant sur ma tempe au moment d’appuyer sur le bouton de validation du terminal.
A la fin de la journée, Alice semble sur un petit nuage. Elle exulte, sautille, le sourire aux lèvres, pendant que moi je croule sous les sacs remplis de vêtements et d’accessoires de beauté qu’elle m’a fait acheter dans d’autres magasins ensuite, pour elle cette fois. Cela fait des heures que je me trimballe nos achats, espérant à chaque fois qu’elle ne rentre pas dans la boutique suivante. Je n’en peux plus, j’ai les jambes en coton et les bras qui tremblent. Je n’ai qu’une envie, c’est de me caler dans mon canapé avec ma chérie pour faire une petite sieste ! Si éventuellement elle pouvait, en plus, me remercier avec une petite pipe pendant ce temps...
— On a passé une bonne journée, hein mon amour ? s'extasie la chérie en question.
— Euh... Ouais. Dis, ça te dit pas de rentrer maintenant ? J’ferais bien une petite sieste crap...
— Oula ! Oups !! me coupe Alice. J’avais pas vu que j’avais reçu tous ces messages ! Merde... C’est pour le boulot... Je dois y aller, j’suis désolée. On s’voit plus tard ? Allez, ciao mon roudoudou !! »
Elle attrape les sacs qui lui reviennent, me fait un bref bisou au coin des lèvres et la voilà qui s’éloigne déjà à grands pas, gloussant en pianotant sur son téléphone, et me laissant seul comme un con dans la rue, les bras chargés de mes sacs à moi. C’est bizarre... Pour un problème professionnel, la nouvelle semblait pourtant la mettre d’assez bonne humeur, vu son sourire béat...
Je rentre donc à l’appartement qui est réellement le mien, dans le quartier des Pinèdes, chargés de mes nouveaux vêtements hors de prix. J’ai décidé de ne pas les amener rue Saint Denis pour le moment, cela prendrait beaucoup trop de place et risque d’être trop peu discret. Je ne prendrai qu’une seule tenue, ça sera plus facile à gérer. Je passe difficilement la porte du logement, poussant le battant comme je peux avec mon pied, devant les yeux ébahis de Sam.
— C’est quoi tout c’bordel ?! me demande-t-elle.
— Oh euh... Alice voulait faire quelques emplettes. Ça, c’est ceux pour moi.
— Ah parce qu’il y en a d’autres ?
— Oui, mais Alice les a repris vu que c’était pour elle.
Je lâche enfin désespérément mon baquetage sur le sol, et souffle de soulagement, les mains sur les hanches. Sam se lève et jette un œil dans un des sacs, avant d’en sortir un des polos Lacoste qu’Alice m’a fait acheter.
— Mais... Mais ça vaut combien ce truc ??
— Euh... Cher...
— Et qui a payé tout ça ??
Devant mon air ahurit, elle comprend très vite, et entre dans une rage folle.
— Ah bah oui ! Évidemment !! J’aurais dû m’en douter !! Tout façon, c’est toujours toi qui paies les sorties, les restaus, et tout ! Alice, elle met jamais la main au portefeuille ! clame-t-elle. Tu trouves pas ça chelou ?? Pis tu vas t’ruiner, avec tout ça !! J’te rappelle qu’on a le loyer à payer aussi !
Bon… Elle n’a pas tout à fait tort sur le fait que c’est toujours moi qui sors les billets, j’avoue. Mais en même temps, je suis un homme galant, moi ! Et je n’vais quand même pas demander à Alice de payer sa part au restaurant par exemple, ça s’fait pas ! Et puis, aujourd’hui, c’était pas sa faute, elle n'avait pas son portefeuille ! Cela dit… C’est mon banquier qui risque de faire la gueule, bientôt…
— T’es totalement aveuglé, et tu fais d’la merde du coup… renchérit-elle sans me laisser le temps de me défendre.
— Tu exagères, là…
— Ah vraiment ?? Dois-je te rappeler sur quel ÉNOOORME mensonge est basée votre relation, dis-moi ? Tu t’es inventé une vie pour lui plaire, Bryan, et regardes où ça t’mène ! Tu dépenses sans compter ! Tu crames tout ton flouz’ pour des conneries, juste pour lui faire plaisir !! Alors ne m’dis pas que tu n’fais pas n’importe quoi !
— Tu peux pas juste être heureuse pour moi ??
— Heureuse de quoi, exactement ?? Que tu lui mentes ? Qu’elle ne te connaisse pas vraiment du coup ?
— Si, elle me connait ! Et même intimement !
— Elle sort avec celui que tu lui fais croire que tu es ! Mais c’est pas le vrai toi, Bryan ! Le vrai toi, il gagne tout juste le SMIC !
— Pffffoouh… Tu m’soûle avec tes leçons d’moral, Sam… Pourquoi tu n’vois pas à quel point je suis heureux depuis qu’je suis avec elle ?
— Je l’vois… Mais c’est n’importe quoi, votre histoire…
— Pourquoi tu dis ça ?? je m’offusque. Tu crois que j’peux pas plaire à une nana comme elle sans argent, c’est ça ? Tu crois que j’suis trop moche pour ça ??
— J’ai jamais dit ça !!! J’dis juste que ton mensonge fausse votre relation, c’est tout ! C’est d’la poudre aux yeux, c’que tu lui montres. Et quand elle s’en apercevra, elle te larguera. Et ça s’ra encore moi qui te ramasserai à la p’tite cuillère…
— Mais naaann… je soupire. Elle m’aime.
— Nan, elle aime celui que tu lui dis être !
— Depuis l’temps, elle sait qui j’suis au fond. C’est pas l’plus important, le métier qu’je fais, combien je gagne... Je joue pas la comédie, j’suis moi-même quand j’suis avec elle ! Le même que quand j’suis avec toi.
— Sauf qu’elle croit que t’es plein aux as !
— Qu’est-ce que ça change ?
— TOUT, Bryan !
— J’te dis qu’elle est pas avec moi pour mon fric !
— Ça, c’est c’que tu crois ! Mais franchement c’est pas c’que j’vois ! Et pis, en vrai, ça t’plait ce genre de truc, là ?? Tu vois pas qu’elle essaie d’te changer ?!
— C’est peut-être pas plus mal, après tout !
— Q-Quoi ?!
— Elle fait de moi un mec plus classe et plus cool, c’est une bonne chose non ? Tu devrais peut-être prendre exemple, ça t’ferait pas d’mal à toi aussi...
— Espèce de... *soupir* Bon... OK. J’vois qu’c’est pas la peine de discuter... J’vais faire comme si j’avais rien entendu et j’vais m’coucher moi. J’te laisse avec la tune que tu jettes par les fenêtres sans scrupule.

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