16 - Un jour avant - Tout Perdre
Encore sous le choc de ce qu’il vient de se passer, je déambule en ville, sans but. Mes pensées se bousculent. Alice a raison : Je suis un minable. Et je ne peux m’en prendre qu’à moi-même. Maintenant, je dois réparer mes erreurs et me reprendre en main. Après tout, tout n’est pas perdu. J’ai encore de la ressource. Je peux me rattraper et récupérer Alice. Mais pour ça, faudrait déjà que je me trouve un toit pour la nuit.
Sans vraiment faire attention, j’atterri machinalement dans le quartier des Pinèdes. Lorsque je relève le nez, je suis en bas du bâtiment délabré dans lequel j’étais en colocation avec Samia. Mais oui ! Ma pote, évidemment ! Elle, elle sait toujours quoi faire quand ça n’va pas. Elle m’aidera, c’est sûr ! D’abord, je vais devoir m’excuser bien sûr, si je veux obtenir un petit coin dans mon ancien appartement. Après tout, elle n’avait pas tort non plus. Je n’aurais jamais dû mentir, tout est ma faute. Mais on se connait depuis tellement longtemps… Elle me pardonnera si je fais amende honorable, c’est certain.
Après une profonde inspiration, j’en conclus que c’est la meilleure option. Je monte donc les escaliers (l’ascenseur est encore en panne, saloperie…) jusqu’au sixième. Lorsque j’arrive enfin sur le palier, à bout de souffle, je reviens très vite à moi en entendant des rires de l’autre côté de la porte de mon ancien appartement. Curieux, je colle mon oreille au contre-plaqué peu insonorisé qui sert d’entrée. Il y a quelqu’un avec Sam. Une voix d’homme, visiblement. Peut-être qu’elle reçoit un ou plusieurs potes. Peut-être qu’elle fait la chouille tous les jours depuis que je suis parti, bien contente de s’être débarrassée de moi. Ou peut-être qu’elle est avec un rencard, encore. Je ne ferais pas deux fois la même erreur : Aujourd’hui, je vais toquer avant d’entrer.
Des bruits de pas, la clef dans la serrure, puis le battant s’ouvre sur une Samia resplendissante et plus féminine que jamais. Sans rire, je ne l’ai jamais vu comme ça : Elle est vraiment rayonnante, attrayante je dirais même. Elle porte un mini short en jean moulant et un débardeur saillant et pas mal décolleté, très sexy. Je crois bien qu’elle ne porte pas de soutif en dessous en plus. Bref, je suis ébahit par le charme fou qu’elle dégage. Et elle est souriante ! Enfin… Jusqu’à ce qu’elle me découvre sur le pas de la porte.
— Bryan ??
— Salut, Sam…
— Qu’est-ce tu fous là ?
— J’te dérange ?
— Un peu, ouais. J’suis pas seule.
— Ah…
Je me penche légèrement pour apercevoir derrière elle un homme un peu basané, grand et élancé, torse nu musclé et impeccablement rasé, affalé dans MON canapé, une bière à la main. J’ai un pincement au cœur, je ne sais pas pourquoi.
— J’peux te déranger juste 5 minutes alors ?
— Qu’est-ce tu veux ?
— Te parler.
— Pour quoi faire ?
— Je… Euh… Je voudrais m’excuser, en fait…
— Elle t’a largué, c’est ça ?
— Heum… Oui…
— Et tu crois qu’tu peux rev’nir comme ça, comme une fleur, et que j’vais te pardonner sans broncher ?
— Non…
— Alors qu’est-ce que tu fous là dans c’cas ?
— Je… J’ai nulle part où aller…
— Et qu’est-ce que ça peut m’foutre ?
— Ça s’rait temporaire et…
— J’en ai rien à foutre ! J’t’avais prévenu, Bryan ! De toute manière, ta place est prise maintenant, laisse tomber !
— Y’a un problème, ma puce ? demande l’homme qui s’est faufilé derrière elle pour la prendre par la taille, sa bière toujours à la main.
Mon cœur chute au trente-sixième dessous. J’ai l’impression d’avoir pris un coup de poignard en pleine poitrine. Ce n’est donc pas un simple colocataire. Elle a finalement trouvé un mec, et elle l’a carrément installé tranquillement dans NOTRE appartement. A ma place. Et moi, je ne suis plus le bienvenu…
— Nan, aucun. Bryan s’en allait, toute façon.
— Heum… Oui, je… J’allais partir. J’vous laisse… J’te souhaite le meilleur pour la suite, Sam…
— C’est ça. Allez, ciao.
Et elle reclaque la porte vivement.
Bon. OK. Elle aussi elle m’en veut. C’est ce qui s’appelle « être dans la merde ». Ma meuf, mon logement, ma meilleure amie… Je n’ai plus rien.
Ah si ! Mon job. Oui, c’est ça, j’ai encore mon taf pour me ressaisir. J’vais me refaire ! Je vais leur montrer, à mes deux nanas, que je n’suis pas un bon à rien ! Mais pour le moment…
Je me cale dans le hall d’entrée, en bas de l’immeuble, et je passe la nuit en boule sous l’escalier, emmitouflé dans mon blouson troué. Me voilà SDF pour un soir. C’est lamentable…
#
Je suis réveillé le lendemain par le concierge, qui me fout dehors sans ménagement. Il ne m’a pas reconnu. Normal, on ne se côtoyait déjà pas quand j’habitais ici. Alors que je rattrape au vol mon sac qu’il me balance littéralement à la figure, je croise un des médiateurs sociaux du quartier. Il me fixe quelques instants, puis s’approche de moi, l’air désolé.
— Tiens. J’crois qu’il y a encore des places dispos, si ça t’dit. C’est pas ouf, mais c’est mieux que rien. Pis là-bas, tu t’feras pas mettre dehors, au moins ! Allez ! Bon courage, mec !
Alors que je regarde d’un air effaré la petite carte qu’il me tend sans la prendre, il la glisse doucement dans ma poche de blouson. Je reste sans voix, et le regarde s’éloigner en fourrant ses mains dans les poches de son survêt’ large.
Intrigué, je ressors le bout de papier.
« Centre d’Hébergement social Les Fourmilles »
Mais il est malade, lui !! J’ai pas besoin d’ça ! J’suis pas désespéré à c’point, hein !! J’vais m’refaire. J’ai un taf, je peux trouver un autre logement sans problème. Après tout, des Smicards, y’en a des tas en France, et ils sont pas tous sans abris. Y’en a même qui ont de beaux petits studios. Donc je peux le faire aussi.
Reboosté, je me hâte sur le chantier. Je me suis arrêté vite fait dans un buisson pour me changer avant, et y cacher mon sac, pour ne pas avoir totalement l’air d’un sans-abri.
Lorsque je passe la pointeuse et enfile mon casque, le chef d’exploitation m’attrape au vol.
— MONSIEUR GONZAGUE ! glapit-il.
Et merde…
— ICI. TOUT DE SUITE.
— Oui, chef ?
— J’ai eu Monsieur De Contigny au téléphone hier.
— Ah…
— Vous squattiez, Gonzague ?! Vous squattiez sur un chantier ??
— Euh… Oui, mais je peux tout vous expliquer…
— Putain ! J’espère que vous avez une bonne excuse !
— Bah, j’ai perdu mon logement, et…
— J’M’EN FOUS, D’ÇA ! C’est votre problème, pas le mien !! Dans tous les cas, vous n’avez pas à dormir sur votre lieu de travail, Gonzague !! Vous imaginez l’image que ça donne de l’entreprise ?! Un employé qui squatte sur un chantier ?? Ce n’est pas parce qu’il s’agit d’un appartement que ça vous autorise à y loger gratos !!!
— Je sais, patron…
— VOUS ETES RENVOYÉ, GONZAGUE !!!
— HEIN ?! Mais… mais…
— Et sans préavis, bien entendu !! Vous pouvez reprendre les affaires que vous avez laissé rue Saint Denis, et dégager l’plancher, TOUT DE SUITE !! J’ai bien sûr prévenu votre boîte d’intérim, et ils m’ont dit d’vous dire que vous recevrez votre lettre de licenciement pour faute grave et votre solde de tout compte d’ici peu. Sans indemnités, bien évidemment. Hors de ma vue, maintenant !
C’est pas possible, je suis maudit…

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