18 - L'Après - Descente aux Enfers

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J’ai erré dans les rues toute la nuit. Après m’être fait souffrir plus que de raison à les deviner en train de s’envoyer en l’air à travers le rideau, j’ai fini par partir. Enfin… C’est surtout la patrouille de police qui me regardait bizarre, qui m’a fait fuir.

Décidément, je suis réellement un moins que rien… Les deux femmes qui comptaient le plus pour moi, dans les bras de deux autres hommes et plus heureuses sans moi. Magnifique… J’ai tout gâcher, tout perdu. Et tout ça pour les beaux yeux d’une meuf qui n’en avait à priori réellement rien à foutre de moi. Je suis vraiment le dernier des crétins.

Qu’est-ce que j’vais devenir maintenant ?


Avec mon dernier salaire, j’ai pu m’acheter à manger quelque temps, mais les jours passent et mes poches ne se remplissent plus. Au bout du deuxième mois, elles sont désespérément vides. J’ai bien essayé de gagner un peu de tune en effectuant quelques travaux au Black, mais sans garanties, cela n’inspire pas vraiment confiance. Du coup, je fais les poubelles, et je mendie dans la rue ou auprès des associations dès que possible. Je n’ai aucun talent artistique pour tenter de gratter quelques pièces sur le trottoir, alors je ne fais rien de bien particulier, et forcément je ne récolte pas grand-chose. Et puis je suis obligé de dormir dans des endroits insalubres. Sans autre solution, je passe de squat en squat pour tenter de passer mes nuits à l’abri des intempéries et surtout des brigands. Je commence à connaître par cœur les dessous de ponts de la ville, les abords du périphérique, les porches crasseux qui sentent la pisse, les parcs non surveillés.


Au début, je suis quand même allé faire un tour dans le centre d’hébergement social que le médiateur m’avait recommandé. Vous savez ? Le fameux foyer « Les Fourmilles ». Mais j’ai vite abandonné l’idée. J’ai passé une nuit horrible ! On y dort dans une grande pièce remplie de lits d’appoint parfaitement inconfortables, tous ensemble, dans le bruit des cris des drogués et des alcoolos éméchés. Et puis, c’est carrément dangereux, des vrais coupe-gorges ces trucs-là ! Ils se volent tous entre eux, et t’es même pas sûr de te réveiller en vie le lendemain ! Y’a des mecs qui plantent d’autres mecs pendant qu’ils dorment, vous vous rendez compte ?! Tout ça pour leur prendre le peu d’affaires qu’ils ont. Ils sont tous à moitié fous là-dedans… Le seul avantage que j’y voyais, c’était qu’il y avait des sanitaires. Enfin, des sanitaires… C’est vite dit. Disons qu’il y avait de l’eau courante à disposition, quoi. Avec des lavabos crasseux et des douches miteuses qui dégageaient tous deux une odeur nauséabonde car ils ne devaient probablement pas être nettoyés tous les jours, ça ne donnait pas vraiment envie de s’y déshabiller. Bref, je n’y suis pas resté bien longtemps, au risque de choper une cochonnerie. Et puis, vu l’ambiance, je préfère encore rester seul dehors, sale mais vivant. Parfois, j’arrive à me faufiler dans des toilettes publiques pour faire un brin de nettoyage rapide, mais maintenant que tout est payant, je me fais souvent refouler. Et quand j’utilise les fontaines de la ville, les gens appellent les flics. J’ai même fait quelques nuits en prison pour ça. Au moins, j’étais à l’abri, vous me direz !

Je ne me suis pas douché depuis des jours. Je pue. Je me sens crade. J’ai la barbe qui pousse et les cheveux en bataille. Je ne ressemble plus à rien. Alors imaginez pour retrouver un travail ! J’ai bien tenté de m’en sortir, j’vous le jure ! Je me suis inscrit à Pôle Emploi et tout ! Mais au fur et à mesure des rendez-vous avec mon conseiller, mon aspect physique qui se dégrade de jours en jours parce que je ne peux pas me laver régulièrement, sans parler de ma cicatrice qui me donne un air bourru et peu recommandable, celui-ci me propose de moins en moins d’offres car je n’ai plus aucune chance aux entretiens d’embauche… Vous prendriez un clodo qui sent le moisi, vous ?!


Bref. C’est le serpent qui se mord la queue : plus de travail donc plus de logement, plus de logement donc plus possibilité d’hygiène correcte, plus d’hygiène donc plus d’entretien d’embauche, plus d’entretien d’embauche donc plus de travail… Enfin… Vous m’avez compris, quoi. Ma vie est foutue. Je suis au fond du gouffre. Et je l’ai bien mérité…


Quand j’arrive à dormir un tant soit peu, toujours d’un seul œil pour ne pas me faire planter entre deux, mon sommeil est le plus souvent peu réparateur, agité par des images intempestives d’Alice en train de se faire sauter par l’autre Don Juan richissime, et parfois même par d’autres images. Celles de Samia, sur le canapé avec cet homme mince au torse parfaitement entretenu et à la peau halée, partageant des moments de complicité que nous n’aurons plus.

Parfois, durant les nuits les plus froides, recroquevillé sous un pont ou sous un arbre, je repense à mon canapé pourri, et je me dis qu’il n’était pas si mal finalement. Au moins, j’étais au chaud, j’avais un toit et de quoi me laver tous les jours. Et puis j’avais Sam.

Je pense beaucoup à elle. Il m’arrive de temps en temps de passer intentionnellement devant l’épicerie de M. Abraham rien que pour tenter de la voir. Mais je n’ose pas aller lui parler. Après la façon dont ça s’est passé entre nous quand elle m’a viré de l’appartement, elle n’a certainement plus envie de me voir de toute manière… Alors je me cache derrière un arbre, et je l’observe simplement.

Elle est radieuse. Elle, elle vit probablement sa meilleure vie aujourd’hui. Avec ce bel Apollon basané, comme elle les aime. Elle doit bien profiter, maintenant que je ne suis plus là pour risquer de la déranger en plein ébat. Elle peut même le faire sur le canapé si elle veut, vu que je n’y dors plus. Si ça se trouve, il la prend en levrette dessus, comme la fois où je l’ai malencontreusement pris en flagrant délit. Sauf que cette fois, elle serait à quatre pattes, la tête appuyée sur le dossier craquelé, les mains agrippées au tissu, pendant qu’il lui tambourinerait l’arrière-train, les deux mains autour de son cul, somme toute bien sculpté lui aussi. Je me souviens bien de cette vision ce jour-là, d’ailleurs. Je ne l’ai jamais vraiment oublié. J’avais été étonné de la trouver si bien gaulée, moi qui l’ai toujours vu comme un pote plutôt que comme une femme. On ne se retourne pas forcément sur elle au premier regard, mais quand on l’observe bien, on se rend compte qu’elle a son charme. L’air de rien, elle a un joli visage tout de même ! Evidemment, ce n’est pas une mannequin grande, élancée, fine ou à la taille de guêpe avec de gros roploplos, mais quand même ! Je revois son corps qui dessinait des courbes fines jusqu’à son cul bien galbé malgré de petites fesses sans prétention, sa poitrine pointue aux seins en forme de poire ni trop gros ni trop petits, qui dépassait sous ses bras. Sa peau halée qui luisait de sueur alors qu’elle gémissait sous les coups de reins de l’homme qui avait le privilège de poser ses mains sur elle, et de goûter à son intimité. Il faut avouer qu’elle était même plutôt sexy, quand j’y repense.

Bizarrement, ce souvenir me rend tout chose. L’image de son corps nu me fait même subitement et étonnamment bander, tout seul comme un con. Comme ce soir-là, d’ailleurs. Mais lorsque je me rappelle qu’elle est avec l’autre type, je me sens brusquement vide et déprimé. Comme si le fait de la savoir en train de prendre du plaisir avec un mec me dérangeait subitement. Pourtant, ça ne m’avait jamais perturbé auparavant. Elle couchait avec qui elle voulait, et pareil de mon côté. Qu’est-ce qui a changé aujourd’hui ? Pourquoi je ressens une envie folle d’aller mettre mon poing dans la gueule de l’autre type qui était tranquillement installé dans mon canap’ ? Pourquoi j’ai envie d’être à sa place, dans les bras de MA Samia, ou juste pour être à ses côtés et profiter de sa présence, de son sourire, de son rire aussi ? D’elle, tout simplement…

Elle me manque terriblement… J’ai le cœur qui se serre rien qu’à y penser. Et encore plus lorsque je l’imagine enlacée avec l’autre.

Qu’est-ce qui m’arrive, bordel ?! C’est ma pote, pas ma meuf ! Et pourtant, ce mélange de rage et de désespoir… Je crois bien que je suis… jaloux ?!


Bon... Admettons qu’il s’agisse bien de jalousie... En tout cas, ça ne m’aide pas vraiment à changer ma situation. Je suis jaloux de son confort, c’est tout. Mais j’ai trop honte désormais pour retourner plaider ma cause auprès de Sam. Je préfère encore la savoir heureuse avec un autre, finalement. C’est vrai, quoi ! Qu’aurais-je à lui offrir, moi, aujourd’hui ? Un chômeur professionnel ? Un poids mort, en fait... Pfff... Décidément je suis vraiment lamentable...

Au fond du trou, je me laisse dépérir à petit feu. Je n’ai plus de solution pour m’en sortir. Je vais finir seul et déguelasse sous un pont qui pue la pisse autant que moi, c’est tout ce que je mérite...

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