Une simple fille
Arrivé près de l'entrée du hangar, Nicolas risqua un œil vers sa tante. Cette dernière arborait un visage cramoisi et ses épaules étaient remontées vers son menton décidé. Elle était tellement furieuse qu'il s'attendait presque à voir de la fumée lui sortir par les oreilles. Elle attaqua aussitôt qu'elle le vit.
– Qu'as-tu fait encore ? cria-t-elle en serrant le poing vers lui.
– Moi ? Mais rien, je n'ai rien fait, je ne sais pas de quoi tu parles, ma tante.
– Ne fais pas l'innocent, Nicolas. Vu ton visage, tu sais très bien pourquoi je suis là. Je viens de croiser le prévôt.
– Ah oui ? Le prévôt ?
– Oui, le prévôt. Tu es bien allé à Charleville hier, pour ton patron ?
Nicolas ouvrit la bouche pour répondre, sans doute pour dire une nouvelle bêtise de son invention, mais il n'en eut pas le temps. Marie n'attendait visiblement pas de réponse de sa part car elle continua sur sa lancée, ses yeux lançant presque des éclairs. Même plus petite que son neveu d'une tête, elle arrivait à le toiser.
– Jean-Baptiste Jottay a porté plainte contre toi pour coups et blessures !
– Jean-Baptiste Jottay ? Coups et blessures ?
Il fronça les sourcils en regardant sa tante. Ce nom ne lui disait vraiment rien.
– Cesse de répéter mes paroles ! Tu sais qui est M. Jottay ? C'est le patron de Louis Vernal.
Nicolas grimaça. Autant le premier nom ne lui rappelait rien du tout, autant le second lui avait valu une lèvre fendue et un œil au beurre noir la veille au soir, et la douleur lancinante qu'il avait derrière l'œil depuis ce matin ne lui permettait pas de l'oublier.
– Je vois que tu te souviens, maintenant. Apparemment tu t'es encore battu avec Louis hier, sur le trajet du retour. Est-ce que c'est vrai ?
Même si elle était sûre que le prévôt lui avait dit la vérité, elle voulait laisser à son neveu la possibilité de donner sa version de l'histoire.
– Oui… non…
– Alors, c'est oui ou c'est non ? l'interrompit-elle avec force.
– Mais c'est de sa faute, il m'a provoqué ! Il est toujours à me chercher ! Déjà la semaine dernière…
– On peut connaître la raison ?
– Et bien… je l'ai vu à l'épicerie, il y a quelques jours. Et, heu… et…
– Et ?
– Et bien, il embrassait Marguerite !
– C'est une plaisanterie ? Tu as envoyé Louis chez le chirurgien parce qu'il embrassait une simple fille ?
– Mais, ma tante, ce n'est pas une simple fille, c'est Marguerite, ma future femme !
– Ta… future femme… répéta-t-elle, incrédule. Tu as cassé la clavicule et une côte à Louis parce qu'il a embrassé la fille de l'épicier…, gronda-t-elle. Tu sais qu'il ne peut plus bouger le bras ?
Nicolas eut l'air surpris. Sans doute n'imaginait-il pas que les blessures de Louis seraient aussi graves. Mais il se reprit bien vite et tenta vainement de trouver une justification plausible.
– Oui… non, mais ce n'est pas moi, il est tombé. D'accord, je l'ai un peu poussé mais il s'est déséquilibré tout seul ensuite, c'est tout ! Et puis Louis exagère, il est très douillet, comme garçon. Il est jeune, il va s'en remettre ! paraphrasa-t-il sa tante en pensant aux innombrables fois où elle lui avait sorti cette phrase. Dans quelques temps, il n'y paraîtra plus, tu verras.
Marie était abasourdie. Même pour un garçon de quinze ans, son neveu manquait clairement de jugeote. Elle se demanda quand allait-il grandir ? Et surtout, quand allait-il cesser de se bagarrer sans cesse ? Elle le regarda droit dans les yeux et dit lentement :
– Son patron a porté plainte, Nicolas. Comment fera-t-on si tu es condamné au tribunal ? Tu sais bien qu'on a tous besoin de ton salaire.

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