Samuel Louis DUFLO

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Lise était perdue dans ses pensées lorsque la voiture s'arrêta soudain devant une somptueuse demeure.

Située dans les hauteurs de la paroisse de Saint-Claude*(1), l'habitation Duflo datait de la fin du dix-septième siècle. Fort prospère, le domaine s'étendait sur près de deux cent cinquante hectares et comptait plus de trois cents esclaves. Majestueuse, la maison avait été construite en maçonnerie et en charpente avec des frises marquise en dentelle. Couverts de tuiles en bois, le rez-de-chaussée et le premier étage étaient ceinturés d'une véranda circulaire. La terrasse extérieure était d'ailleurs entourée d'un magnifique jardin arboré. Alors que des odeurs délicieuses de chocolat, de café et de liqueur due à une bonifierie*(2) toute proche embaumaient l'air, un homme noir sobrement vêtu au visage austère déplia le marche-pied aidant Marie-Antoinette et elle à descendre de la carriole Victoria.

_ Si mon'sieur Fougas et ses dames veulent bien se donner la peine de me suivre.

À quelques encablures de la montagne, la forêt dense de végétation luxuriante nichée aux alentours de la propriété favorisait une humidité glaciale. Or malgré ce vent particulièrement frais, rien ne semblait pouvoir entacher la beauté et la mystérieuse atmosphère que dégageaient les lieux. Entouré de palmiers, de fleurs tropicales et de chutes d'eau à bassins jonchées de roches couvertes de mousse, l'endroit était juste extraordinaire. Et bien que sa cape de soie ne réussît pas à la protéger de la fraîcheur de ce début de soirée, Lise n'en montra rien. D'une attitude prudente, elle cacha simplement sous son manteau ses avant-bras couverts de chair de poule. Elle espérait seulement qu'une fois rentrée chez les Duflo, la chaleur de l'intérieur atténuerait l'air friquet de la Soufrière*(3).

Après leur avoir désigné la direction à suivre, l'homme de son prénom Ermine les fit tous gravir une volée de marches qui menaient à l'entrée principale. Alors qu'ils pénétraient le hall d'entrée Lise comprit que la famille Duflo était plus cossue que celle de son père. Paré de carreaux d'argile cuite, de consoles trianon agencés par des vases de fleurs fraîches, d'une banquette six pieds d'acajou recouvert de tissu et d'un tapis en brocart vert menthe l'établi était éblouissant. Tel un enfant, elle avait envie de tous toucher, jusqu'à ce que la présence d'un jeune homme que son père s'empressa de saluer chaleureusement la stoppa net dans sa progression.

_ Samuel, cela fait si longtemps, très heureux de te revoir mon garçon, dit-il en tapotant son épaule gauche de manière enthousiaste.

_ Moi de même, monsieur Fougas, répondit-il en souriant canaille.

Mon père fit un geste de la main et poursuivit.

_ Allons, Allons pas de monsieur, nous nous connaissons depuis ton enfance et nous serons bientôt membre d'une même famille, lâcha-t-il faussement désinvolte.

À cette déclaration, mon prétendant, qui avait l'air de vouloir lui répondre, fut interrompu par deux portes qui s'ouvraient brusquement laissant passer une voix féminine. Celle-ci ne lui accordant pas la possibilité, d'exprimer le fond de sa pensée, puisqu'il s'agissait de sa mère. Resplendissante sur le seuil d'une pièce qui semblait être le salon, se tenait l'aristocratique Charlotte Louise Duflo de La Charrière. Qui ne tarda pas à s'avancer vers celui qu'il m'était nullement impossible de dévisager.

Très brun, le port altier, le nez droit, la bouche à la fois rosée et sensuelle, le regard bleu azuré transperçant, Samuel Louis Duflo valait vraiment le coup d'œil. Il portait un ensemble de manteau, gilet et culotte de taffetas de soie beige avec garniture florale brodée à l'aiguille en bordure. Ceux qui le disaient uniquement beau ne lui rendaient absolument pas justice ou n'avaient aucune idée de l'attraction diabolique qu'il possédait. Absorbée par cette contemplation, tout à fait déplacée et notant la virilité brute qui émanait de sa personne, Lise fut uniquement ramenée sur terre à cause de la remarque qu'adressa Charlotte à son fils.

_ Mais enfin Samuel Louis Duflo, accueillir nos invités ainsi dans l'entrée. Est-ce ainsi que je vous ai éduqué ?

Se tournant vers nous, elle continua.

_ Entrez s'il vous plaît mes chers et pardonnez à mon humble fils  son impolitesse, s'excusa-t-elle. Il semble que la capitale lui ait entièrement fait perdre ses aimables manières.

Perturbée, Lise remarqua que l'incapacité qu'elle développait à ralentir les battements de son cœur chaque fois que Chalotte Duflo mentionnait son enfant l'agaçait au plus au point. S'il était bien question d'accomplir son devoir, il était pour elle hors propos d'y ajouter, le désir ou l'amour, car dans cette union seules les libertés accordées aux femmes mariées l'intéressaient. À la différence de toutes les femmes de son entourage, elle n'avait jamais voulu de mariage. Elle savait que même sa mère avait espéré que Pierre Fougas l'épouse ce qui pour une raison évidente était parfaitement absurde. Mais bien sûr, sa mère Marie s'était tout de même mise à rêver de cette chimère.

Tentant de reprendre contenance, elle essaya de se concentrer sur ce qui se passait autour d'elle.

Franchissant les portes, elle fut immédiatement frappé du bon goût de leur hôtesse. Décorée de ton brun, crème et vert menthe, la pièce éclairée à la flamme de bougie était lumineuse. Le mobilier de bambou et d'acajou clair en patine recouvert de velours vert conférait à l'ensemble un aspect gracieux. Le salon et la salle à manger en bois massif formaient un vaste ensemble harmonieux qui l'apaisa.

Malheureusement, ce répit bienvenu fut de courte durée lorsque Marie-Antoinette, la pria discrètement d'adresser ses salutations aux membres la famille qui les recevait.

Reprenant ses esprits, elle salua, Eugène, Charlotte ainsi que les trois enfants Duflo avec tout le respect attendu d'une belle-fille. Or, relevant la tête, elle vacilla presque en surprenant les yeux de Samuel sur elle. S'il semblait la dévisager au premier abord avec une curiosité empreinte de détachement. Actuellement, le regard licencieux qu'il lui lançait indiquait un tout autre message.

Bien que folle de rage, Lise feignit un sourire poli.

"_ Encore un qui succombait à l'attrait de l'exotisme !"

Une grande déception la submergea.

Les hommes, avaient-ils d'autres intérêts chez une femme que son physique ?

( _ Mais quel hypocrite ! lui balança une voix intérieure. N'étais-tu pas celle qui quelques instants plus tôt jaugeais son physique ? )

Contrariée, elle fit en sorte de revenir dans le présent, mais une boule d'angoisse obstruait sa gorge. Inquiète, la femme de son père l'interrogea en posant ses mains délicatement sur les siennes en un geste apaisant, mais chuchotant afin que personne d'autre ne l'entendent.

_ Lise mon enfant, que t'arrive-t-il ?

Lexique

Saint-Claude*(1) Commune de Guadeloupe .

Bonifierie*(2) Transformation du café dans son moulin datant de 1760.

Soufrière*(3) Surnommée « vié madanm la » est un volcan en activité.

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