Mécanique du non-verbal

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Samuel fut inexplicablement contrarié par la lueur de déception qu'il vit brûler dans les yeux de sa promise. Et bien que la tentative rassurante de sa future belle-mère à l'égard de celle-ci se voulût furtive, elle n'échappa pas à son regard aiguisé ce qui rendit le revers d'autant plus humiliant.

Comment, n'était-il pas assez bien pour elle ?

Continuant de la dévisager malgré lui avec une intensité qui rendrait n'importe qui mal à l'aise et faute de savoir ce qui le fascinait autant chez elle, il persista tant qu'il le put. Car après tout, il ne comprenait pas ce qu'il avait fait pour provoquer un tel rejet.

Certes, il l'avait fixé avec impertinence, mais c'était parce qu'il ne l'avait jamais imaginé si belle. Après tout, seule sa mère lui avait brièvement parlé de Lise Fougas et à l'époque, il doutait réellement que les goûts de sa génitrice soient égaux aux siens, lui ne la connaissait pas. Et qui pouvait le lui reprocher ? Cette fiancée sortait de nulle part, telle une lettre grivoise dans l'un des compartiments obscurs d'un secrétaire.

À peine avait-il posé le pied sur la plantation familiale qu'il apprenait sa future union avec une totale inconnue. Et si ces années d'études bien loin de ses parents lui avaient quelque peu fait oublier la réalité de sa situation, l'annonce de cet arrangement conclut sans son consentement l'avait bien vite fait redescendre sur terre. Et tout cela pour finalement assister impuissant au dédain de la jeune femme, qui semblait l'avoir déjà jugé sans même lui avoir parlé.

L'ironie de la situation était telle, que si cela avait été possible il hurlerait de rire ici en leur présence à tous contre toute forme de bienséance. Car si quelqu'un devrait être déçu, ça n'aurait pas dû être elle au vu des nombreux avantages que lui apporterait ce mariage. En outre une légitimité qu'elle n'aurait jamais pu acquérir autrement du fait de ses réelles origines.

De plus si Pierre avait dû la reconnaître c'était uniquement à cause de l'infertilité de Marie-Antoinette, qui ne pouvait lui offrir l'héritier mâle tant espéré. Les rumeurs sur la naissance de Lise Fougas auraient tôt fait le tour de l'île qu'elle n'aurait pu prétendre qu'au statut de maîtresse d'agrément interdite de patronyme.

D'ailleurs Samuel se demandait jusqu'à présent pourquoi le choix de ses parents s'était porté sur Lise Fougas. Certes la métis qu'elle était rivalisait de blancheur avec la plus belle des Créoles ; mais depuis son retour, Samuel avait pu constater au combien leur communauté méprisait les libres de couleur autant que de la boue sous leurs chaussures.

Alors comment Pierre Fougas avait-il pu convaincre, réussissant ce tour de force qui semblait pour lui d'une facilité déconcertante. Et surtout qu'elle était les véritables raisons derrière l'acceptation hasardeuse de sa famille. Leurs intentions n'étaient pas claires et il détestait plus que tout être prit pour la marionnette de service.

Relevant les yeux sur celle qui allait bientôt devenir sa femme, Samuel l'examina de nouveau. Or avec elle, il allait de surprise en surprise car l'expression de son visage avait complètement changé. Bien loin de la résignation attendue après celui de la déception ; il fut hypnotisé par la flamme de défi que lui lançaient ses déroutants orbes verts. Provocateurs et séduisants, ils lui signifiaient clairement qu'elle n'avait rien d'un agneau sacrificiel, ce qui suscita chez lui un regain d'intérêt.

Séditieux au possible, un rictus narquois ourla ses lèvres.

Finalement, cette histoire de mariage prenait une tournure tout à fait intéressante et inattendue. Et si quelques heures plus tôt, il haïssait jusqu'à la simple idée de contracter ces noces de raison, l'apparition de Lise Angélique Fougas avait eu le bon goût de lui faire complètement changer d'avis. Durant ces années de liberté à Paris s'il avait bien appris une chose, c'est qu'il n'y avait pas plus délicieuse qu'une femme qui vous lançait ce genre de regard.

(Une voix moqueuse et sarcastique ricana dans sa tête avant de lui souffler. _ Métis peut-être, mais nul doute qu'elle vous plaît tout de même mon cher...)

Bizarrement son principe incorporel de pensée intérieur avait toujours été comme la voix de sa grand-tante, ce qui d'habitude l'amusait profondément au vu du personnage qu'était Rosalie Frances Ruillier. Mais pour la première fois le timbre de celle qui résonnait ironiquement dans sa tête l'agaça. Désireux de la réduire au silence, il l'ignora afin de se concentrer sur la conversation qui animait déjà le salon alors que sa mère priait chacun de s'asseoir après s'être fait débarrasser par Ermine.

S'avançant en direction de Lise, il tenta une approche directe qui fut toute suite approuvée par des sourires hypocrites de leurs parents respectifs.

_ Puis-je vous tenir compagnie, mademoiselle Fougas ? demanda-t-il avec galanterie.

Bien loin de le vouloir à son attitude exagérément réservée, elle lui répondit tout de même afin d'être entendu de lui seul.

_ Faite comme il vous plaira, monsieur ; la glace bien que rompue, il n'empêche que vous êtes ici chez vous.

Amusé, il admira son intelligence subtile, car si sa réponse ne le lui refusait pas ; elle ne l'y autorisait pas vraiment non plus. De fait, il s'imposa et s'assit auprès d'elle secrètement admiratif de son insolence piquante.

Lui qui pensait épouser une de ces ingénues de bonnes familles, il fut agréablement surpris de l'esprit dont elle faisait preuve. Curieux d'en apprendre davantage sur elle sans la brusquer, il opta de prime abord pour une conversation plus ou moins anodine.

_ Si je peux me permettre, vous n'avez rien de l'image que je me faisais de vous, ma demoiselle Fougas, dit-il ne s'expliquant pas volontairement, pensant qu'il aurait droit de nouveau à une ses répliques mordantes. Or, elle l'épata en faisant tout le contraire de ce à quoi, il s'attendait.

Affichant le plus chaleureux des sourires, elle lui demanda.

_ Est-ce une mauvaise chose, mon sieur ?

Plus d'une femme se serait offusqué de sa remarque, mais elle ne semblait nullement inquiète de ce qu'il pensait d'elle. Pris au dépourvu, il chercha une once de condescendance dans ses manières sauf qu'elle n'en montrât aucune. Attendant une réponse de sa part, elle affichait cette gentillesse gracieuse qui la rendait suspecte à ces yeux.

Mais pourquoi la juger, alors qu'il était le premier à lui reprocher les préjugés qu'elle avait à son égard ? Alors qu'il l'admirait encore subjugué, il s'éclaircit la gorge et choisit d'être honnête, testant son orgueil.

_ Rassurez-vous ce n'est pas le cas bien au contraire, car vous êtes une femme sublime, si je puis vous le dire. Splendide de grâce et de beauté, je comprends enfin pourquoi Pierre est si fier de vous. D'ailleurs en toute franchise, vous me laissez quelque peu pantois devant celle que vous êtes. Mieux vous connaître serait un plaisir, plus qu'une chance.

Il lui adressait à peine ce compliment, qu'il fut interrompu par l'annonce du repas.

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