Orgueil et préjugés

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Lise avait la désagréable sensation de nager au milieu des requins. Et bien que Marie-Antoinette lui prodiguât de manière inattendue le soutient espérer d'une mère, elle peinait sincèrement à lui accorder ne serait-ce qu'une once de confiance. Non qu'elle n'ait pas apprécié son geste, mais elle avait conscience que celle-ci demeurait avant tout la femme de son père. D'ailleurs qui qu'elle puisse regarder dans cette pièce, elle savait tout au fond de son cœur, qu'ils travaillaient tous uniquement dans un seul but. Faire de son mariage une affaire conclut, une réussite familiale et mondaine. Une alliance qui permettrait au clan Duflo et Fougas de tirer de quelconques bénéfices substantiels.

À cet instant, même si la déception, la colère et le dégoût lui ravageaient l'âme ; elle ne se résignerait jamais, à être celle qu'ils voulaient qu'elle soit. Car elle avait la certitude qu'être une simple épouse ne combleraient jamais ses espoirs et ses rêves. Destin scellé ou non, elle trouverait un moyen d'être cet esprit libre qui espérait en secret l'érudition pour elle-même, bien loin des diktats paternaliste et esclavagiste. Et si Samuel Louis Duflo de La Charrière pensait l'attendrir avec cette avalanche de compliments pompeux, il se trompait lourdement. Il était la dernière personne en qui elle pouvait placer la moindre petite espérance.

Elle aurait voulu être impartiale, mais elle n'y arrivait pas. Leurs préjugés mutuels étaient malgré eux bien trop encrés et faisaient le décorum de l'environnement dans lequel ils évoluaient. De plus, Samuel quoiqu'il fasse possédait la même allure arrogante que tous les fils de grands propriétaires. Et cela, c'était sans compter l'impression qu'il donnait d'être en terrain conquis.

Alors comment seulement imaginer qu'elle puisse avoir foi en lui ?

Elle se mit à l'observer alors qu'Ermine annonçait le repas et comprit qu'il espérait une réponse aux louanges qu'il lui avait galamment adressée. Or, il faisait fausse route sur le genre de femme qu'elle était car s'il y a bien une chose qu'elle détestait, c'était les vaines flatteries. La réalité de sa situation ne lui avait permis aucune prétention, elle n'était pas vaniteuse. En contradiction avec le schéma classique, elle n'avait pas la naïveté de croire qu'il l'aimerait un jour.

Certes l'éducation surprotectrice de son père l'avait mise à l'écart de toute passion charnelle, mais ironie du sort elle était loin d'être naïve sur le sujet. Car les femmes de couleur comme sa mère, étaient généralement éduquées dans l'unique but de devenir des courtisanes. Et les métis, issues de ses relations sexuelles incapables de bénéficier comme elle de la protection et du patronyme paternel, imitaient presque toutes la conduite de leurs mères. Ce qui bien loin de leur inspirer une quelque pudeur leur donnait tout intérêt à n'avoir que des mœurs légères et les conduisait adroitement à ne rechercher que l'attrait du plaisir.

Fières, elles s'enorgueillissaient même à titre de maîtresse, d'appartenir à tel ou tel homme blanc ; recommandable à leurs yeux que pour son rang ou ses richesses. De fait, l'attitude de son fiancé depuis qu'il avait posé les yeux sur sa personne ne lui était pas étranger. À cause du milieu dans lequel elle avait grandi, elle entendait ce que se chuchotaient les mulâtresses entre elles, donc n'ignorait rien de qui se passait entre un homme et une femme dans l'intimité d'une chambre.

Or, si l'hypocrisie puritaine de la vertueuse société créole prônait une moralité intransigeante, la réalité pontifiait toute autre chose. Il n'y avait qu'à considérer les regards que Samuel lui portait ainsi que la duplicité de ses manières, pour comprendre ce qu'elle avait besoin de savoir. Car s'il la voulait effectivement pour femme, la violence de son pseudo franchise indiquait qu'il désirait qu'une seule chose, la mettre dans son lit. Sa façon d'agir était si peu subtile qu'elle lui ait ri au nez à la face de tous et contre toute convenance, si ce comportement eut été possible.

Rancunière, elle aurait agrémenté ses moqueries de cette verve empoisonnée dont elle avait le secret. Mais comme la disait Germaine Léonard sa professeure de langues étrangères, l'une des rares mulâtresses lettrées et savantes qu'elle avait eu la chance de côtoyer :

"_ On n'attrape pas les mouches avec du vinaigre, ma belle. Écoute-moi et laisse là ton ironie. Au-delà de l'orgueil mal placé, cultive plutôt la dignité, car même s'ils détiennent le pouvoir de t'enlever ta liberté, tu gagneras toujours à te respecter. Le jour où tu comprendras que tu obtiendras bien plus de choses en étant intelligente et charmante, tu conquerras des cœurs. Nous femmes de couleur n'avons pas beaucoup d'atouts dans ce monde, mais gracieuse et chaleureuse n'a jamais voulu dire stupide ma jolie, pense-y."

À y regarder de plus près ce conseil lui était plus utile aujourd'hui qu'à l'époque.

Fit d'humilité, elle décida d'apporter une réponse convenable à défaut d'une réponse honnête, car si elle s'écoutait la réponse aurait plutôt figure de sarcasme.

( _ Rassurez-vous ? Ai-je l'air inquiète ? Mon cher, je ne suis en rien tourmenté. Belle, vraiment ? Beaucoup de femmes le sont, alors peu vous importe celle que je suis. Qu'une demoiselle soit jolie vous suffit pour l'épouser. Fière dites-vous, peut-être parce que je suis son unique enfant. Ne soyez pas hypocrite, vous savez plus que quiconque à quel point mon géniteur aurait été ravie d'avoir un descendant mâle capable de combler son orgueil. Votre franchise, vraiment ou votre piètre désir licencieux ? Mieux me connaître, seulement si cela vous permet de vous glisser sous mes draps, souffla une petite voix feutrée dans sa tête.)

Ne cédant aucunement à sa diablesse intérieure, car elle la savait capable de dégâts irréparables. Elle fit ce que l'étiquette lui dictait. Souriante, elle débita aux oreilles du jeune homme quelque chose d'appropriée.

_ Reconnaissante de vos aimables compliments, j'espère me montrer digne de la confiance que vous et votre famille avez placé en moi. Et espère continuer de susciter la fierté de mon père en dépit des circonstances.

Impassible, il lui sourit en retour et l'accompagna à la table tel un gentilhomme.

Extrêmement qu'intriguée par son comportement stoïque, Lise n'en laissa rien paraître et se fit conduire sans un mot. Car il avait une différence nette entre le vouloir et le pouvoir. Or, creuser afin de mettre en lumière les véritables sentiments et intentions de Samuel Duflo était hors limites de la dame qu'elle représentait. Ce qui malheureusement la cantonnais au rôle que l'on attendait d'elle, mais qu'importe comme le disait Germaine gracieuse et chaleureuse n'avait jamais voulu dire stupide.

Contre toute attente, le dîner fut agréable, les conversations policées et l'ambiance d'une correction s'en entachent. En tout cas jusqu'à ce que leurs parents intriguent les laissant seuls pour discuter. Enfin seul bien grand mot, quand on savait qu'ils écoutaient.

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