Chapitre 1 - L'horloge

39 minutes de lecture

8h-17h.
Un rythme. Un battement de cœur mécanique. Le même tous les jours.
Je me lève à 5h45. Je saute le petit-déjeuner — seul le café que je prends à mon boulot suffit. Je saute dans ma voiture, la musique classique pour me détendre, le regard vide. À la radio, les mêmes informations qu’à la télé : “La guerre en Ukraine s’intensifie, les tensions diplomatiques s’aggravent entre la Russie et l’Europe…”, “Aux États-Unis, de nouvelles émeutes éclatent dans les grandes villes…”, “L’ONU évoque une perte de contrôle globale de la paix mondiale.”.
Arrivée au bureau à 7h30, sourire mécanique à la collègue qui s’en fout autant que moi.

Les tâches sont toujours les mêmes : réponses aux mails, tableaux Excel, dossiers à remplir, procédures à suivre… J’ai parfois l’impression d’être née dans ce bureau. Comme si ma vie n’avait jamais existé avant cette chaise grise, ce clavier poussiéreux, et cette foutue cafetière qui fuit depuis 3 mois.

Les journées s'égrènent. Identiques. Précises. Inutiles.

Aujourd’hui, on est mardi, je crois. Le calendrier affiche la date, mais ça ne change rien pour moi.
J’avale une gorgée de café. Brûlant. Amer. Parfaitement dégueulasse.

16h52.
Bientôt l’heure. Mon moment préféré de la journée : compter les minutes avant de quitter ce bâtiment, cette boîte sans âme.
16h53.
Je range doucement mes affaires, comme si le moindre bruit pouvait casser cette illusion de liberté imminente.
16h55.

Je commence à fermer les onglets ouverts par réflexe. Pas un ne m’intéressait vraiment. Je ne parle à personne. Pas besoin. Dans mon monde, on survit en silence.

Il y a quelque chose de rassurant dans cette routine. Une tristesse confortable. Personne ne me demande comment je vais. Et c’est très bien comme ça.
Je n’ai plus à mentir.

17h00.
L’heure de la renaissance.
Du moins, c’est comme ça que je l’appelle.
Ce moment précis où je quitte ce bâtiment aux murs blancs et aux néons fatigués, et où je redeviens presque moi-même.

Je crois sincèrement qu’il est devenu impossible d’être pleinement épanouie dans le monde du travail.
Pas tant à cause du métier, ni même des collègues.
Mais à cause du système, du climat ambiant. De cette pression constante de faire mieux, plus vite, plus fort. La carrière, aujourd’hui, c’est la guerre. Une guerre silencieuse, quotidienne, où le champ de bataille se cache derrière les sourires polis, les réunions inutiles et les mails sans âme.
Pour avancer, il faut écraser. Écraser les autres, ou s’écraser soi-même.

Je n’ai jamais su choisir entre les deux. Alors je reste là, entre deux eaux.
Présente, mais invisible. Compétente, mais inoffensive. Le genre de profil qu’on garde sous la main, mais qu’on ne promeut jamais.

Je sors dans la rue. Il fait gris. Encore.
Les gens défilent, pressés, le visage creusé par la fatigue ou l’indifférence.
Un flot de corps anonymes qui s'étirent sur le trottoir comme un fleuve d’automates. Je rentre chez moi sans parler à personne.

Le mercredi matin, c’est la même chose que les autres jours.
Boulot.
Je suis à l’heure, comme d’habitude. La même ambiance fatiguée qui flotte dans l’air.
On avance comme des ombres.

L’après-midi, c’est le seul moment où je respire.
Repos.
Pas grand-chose de spécial à faire. Juste un peu de temps pour moi. Un peu de liberté, dans ce monde d'horaires fixes. Je pourrais peut-être sortir, prendre l’air, mais souvent, je préfère rester chez moi, dans ma petite bulle.

Je n’ai pas de grandes ambitions pour cet après-midi-là. Juste de l’espace. De l’air. Du temps qui s’étire lentement. Et comme une envie de faire du tri dans les vieilles affaires que j’ai laissées dans le garage de mes parents.

Je rentre chez moi.

À part mon chat — enfin, le chat — personne ne m’attend.
Il ne m’appartient même pas vraiment. C’est une pensionnaire temporaire, je l’appelle Boubou, une minette sauvée de la rue que je garde en famille d’accueil pour l’association où je suis bénévole. Une petite minette grise de 6 ans, à la queue malformée. On se comprend bien, elle et moi. On ne se dit pas grand-chose, mais on partage le silence. Chacune à son espace et s’est suffisant.

De l’extérieur, on pourrait croire que ma vie n’est pas terrible.
Et c’est vrai que parfois, quand je me regarde dans mon miroir ou dans les reflets de mon écran noir, je ne vois pas grand-chose d’exaltant.

Mais dès que je pousse la porte de mon appartement, j’ai comme l’impression de respirer à nouveau.
L’air est à moi. Le silence aussi.
J’ai le temps. Le luxe du temps. Celui de faire ce que j’ai à faire : ranger un peu, lancer une machine, préparer un repas simple mais chaud.
Mettre une ou deux vidéos de mon youtubeur préféré — il me fait rire, et j’aime ça rire.
Puis je me cale dans le canapé avec un plaid, et je regarde quelques épisodes de ma série du moment.
Pas de grande évasion, non. Juste... une bulle. Une bulle où rien ni personne ne m’agresse.

C’est peut-être pas grand-chose. Mais c’est à moi.

Mes yeux se perdent un instant dans le plafond.
J’ai toujours rêvé — ou peut-être cru, sans jamais oser le dire à voix haute — qu’un autre monde existait quelque part.
Un monde parallèle au nôtre.
Mais pas un monde avec plus de technologies, ou des super-héros. Non.
Un monde sans limites. Sans jugement. Un monde où l’on peut être, simplement. Sans peur d’être trop, pas assez, ou de travers. Une utopie, sûrement.
Mais je m’y raccroche comme à une étoile lointaine qu’on ne distingue qu’en fermant les yeux très fort. C’est peut-être idiot. Mais ça me tient debout.
Peut-être une envie soudaine de faire un peu de tri. Ou simplement d’occuper mes mains, de faire taire ma tête.

Le mercredi matin, c’est la même chose que les autres jours.
Boulot.
Je suis à l’heure, comme d’habitude. La même ambiance fatiguée qui flotte dans l’air.
On avance comme des ombres.

L’après-midi, c’est le seul moment où je respire.
Repos. Pas grand-chose de spécial à faire. Juste un peu de temps pour moi. Un peu de liberté, dans ce monde d'horaires fixes.
Je pourrais sortir, prendre l’air. Mais souvent, je préfère rester chez moi, dans ma bulle. Je n’ai pas de grandes ambitions pour cet après-midi-là : juste de l’espace, un peu d’air, du temps qui s’étire doucement. Et surtout, cette envie persistante de faire du tri dans les affaires qu’il me reste chez mes parents.

Cet après-midi-là, je suis tombée sur un vieux carton de livres. Tous couverts de poussière, ils dégageaient cette odeur particulière, un mélange d’ancien et de souvenirs oubliés. Et dans ce carton, mon regard s’est arrêté sur un livre en particulier : un gros volume sans titre, sans description. Une couverture épaisse, rouge bordeaux, marquée de quelques touches de doré, comme un secret bien gardé.

Quand je finis de trier mes affaires, je rentre chez moi.
La soirée se déroule sans accroc.
Je suis fatiguée — vidée. J’ai passé l’après-midi à transporter des cartons, jeter des objets à la déchetterie, bouger deux vieux meubles trop encombrants pour ce que je vis maintenant. Le reste, je l’ai rangé dans un coin du garage, empilé proprement. Une sorte de tri entre ce que je garde et ce que je laisse. Cet après-midi, je suis tombée sur un vieux carton de livres. Tous couverts de poussière, ils dégageaient cette odeur particulière, un mélange d'anciens et de souvenirs oubliés. Et dans ce carton, mon regard s’est arrêté sur un livre en particulier : un gros volume sans titre, sans description. Une couverture épaisse, rouge bordeaux, marquée de quelques touches de doré, comme un secret bien gardé.

À cet instant, j’ai ressenti quelque chose d’étrange. J’étais attirée par ce livre. Une attirance sourde, inexplicable. Irrésistible.

Je le pris dans mes mains, et aussitôt, une chaleur étrange s’en dégagea. De doux frissons remontèrent lentement le long de mes bras, comme si le livre lui-même réagissait à mon contact. C’est alors que je décidai de le garder avec moi, sans trop savoir pourquoi. Alors, sans vraiment réfléchir, j’ai décidé de le garder avec moi. J’ai refermé le carton, que j’ai rangé dans un coin du garage, en me promettant de faire le tri un jour… mais pas aujourd’hui.

En rentrant je prends une douche chaude. Je mange un truc simple. Une vidéo pour me détendre, puis je file me coucher.
Je suis sereine. Rarement, je me suis sentie aussi calme, aussi alignée.
Le silence me berce. Puis vient la nuit.

Je me réveille en sursaut.
03h00.
Le chiffre s’imprime en blanc sur l’écran de mon téléphone, posé à côté du lit.
Il clignote presque, comme s’il voulait me dire quelque chose.

Je suis en sueur. Mon t-shirt me colle au dos. J’ai du mal à respirer.
J’ai l’impression qu’un poids invisible m’écrase la poitrine, me cloue au matelas. Comme si quelque chose était là, assis sur moi. Silencieux. Inexplicable.

Je veux bouger. Rien ne répond.
Je veux crier. Ma gorge est nouée.

Je suis éveillée, mais prisonnière.
Et dans cette immobilité étouffante, une chose me traverse l’esprit : le livre.

Je ne sais pas pourquoi. Je n’y ai pas pensé une seule seconde avant. Mais là, à cet instant, c’est la seule image qui me revient.
La couverture sombre.
Les symboles.
Ce frisson étrange que j’ai ressenti en le touchant.

Et pendant une seconde — une fraction d’éternité — je crois entendre un mot. Un murmure.
Pas dans mes oreilles. Dans ma tête.

Un mot que je ne comprends pas… mais que je ressens.
Comme s’il m’appelait.

Puis, tout s’efface.

Je reprends soudainement mon souffle.
Le poids disparaît.
Je peux bouger. Je suis seule, dans le noir. Boubou dort au pied du lit, paisible.
Tout est redevenu normal.
Mais moi… Moi, je ne le suis plus tout à fait.

Le lendemain matin, tout semble normal.

Je me réveille avant le réveil. Chose rare.
Il est 05h12.
Boubou est déjà debout, assise à côté du lit comme une sentinelle silencieuse. Elle me fixe sans cligner des yeux, comme si elle savait quelque chose que j’ignore encore.

Je me lève mécaniquement, comme chaque matin.
Douche. Vêtements.
Rien n’a changé, et pourtant... je sens une légère tension en moi. Quelque chose de suspendu, comme une vibration faible au fond du ventre.

Je repense à la nuit. À ce réveil brutal. À ce poids sur ma poitrine.
Et surtout, à ce mot — ce son qui n’était pas un mot, mais que j’ai compris quand même.

Je n’arrive pas à le nommer. Il s’est effacé, comme un rêve au réveil.
Mais il m’a laissée vide. Ou pleine. Je ne sais pas encore. Je regarde autour de moi, mon appartement est calme. Identique.
Mais je le perçois autrement. Les murs semblent… plus étroits. L’air, plus dense.

Je ressens un appel, doux mais persistant. Un écho dans mes os.

Et je sais — je le sais avec une certitude que je ne peux pas expliquer — que tout commence maintenant. Qu’il y a un lien entre cette nuit et ce livre.

Rebelote.
Jeudi. Journée de travail. Même heure, même lieu, mêmes visages fatigués.
Le même café tiède, les mêmes sourires forcés à ceux qu’on n’a pas envie de voir, les mêmes dossiers qu’on brasse pour donner l’illusion du mouvement.

Tout est identique. Sauf moi.

Toute la journée, je pense au livre. Le fameux livre, celui sans titre, sans auteur, sans explication.
Un livre qui n’a rien dit, rien montré, mais qui a laissé en moi quelque chose d’irréversible.

Durant la journée, je fais tout ce qu’on attend de moi, mais en pilote automatique.
Mon corps est là, assis devant l’écran. Ma tête, elle, est ailleurs.
Enfoncée dans cette couverture sombre, dans ces symboles silencieux qui dansent encore derrière mes paupières.

Je veux l’ouvrir. Je dois l’ouvrir.

C’est comme une obsession… Une fièvre douce qui me suit depuis le réveil.
Plus les heures passent, plus l’envie devient physique.
Je sens mes mains impatientes. Mon cœur, un peu plus rapide que d’habitude.
Comme si le livre… m’attendait, lui aussi. Et qu’il n’attendait qu’une seule chose, que je revienne à lui, encore une fois…

16h52

Journée bientôt terminée.

J’ai eu la chance de pouvoir prendre quelques jours de vacances. Donc à partir de ce soir, à moi la vraie liberté. Plus de mails, plus d’appels téléphoniques, plus besoin de 6 cafés pour les responsables en réunion… Plus tout ça.

Ça fait déjà quelques semaines que j’ai envie de partir ailleurs, de changer de boulot. Je ne me reconnais plus dans ce que je fais, je commence à devenir de plus en plus agressive avec certains collègues. Puis surtout, je ne veux plus être quelqu’un qu’on garde, au cas où sous le coude. Je veux être réellement utile, que mes compétences puissent servir là où il y a un besoin. Je veux pouvoir être fière de ce que j’ai accompli dans une journée, pouvoir affirmer que ce que je fais me rend heureuse et surtout me donne envie d’en faire plus.

Je crois que j’ai atteint le point de non retour, et il me sera difficile de faire marche arrière. Vu comment les choses avancent à mon boulot, je veux quitter le navire avant que tout le monde ne se noie.

17h00

Ça y est, je suis officiellement vacancière, pendant deux semaines. À moi les séries, les balades au bord de la mer, dans la forêt… Faire des pâtisseries, même si je ne suis pas très bonne dans ce domaine et que mes gâteaux ressemblent plus à des cales portes qu’à des délicieuses gourmandises…

Je suis sur la route du retour, je conduis fenêtre ouverte, cheveux dans le vent. Dehors, il y a un grand soleil bleu, et aucun nuage à l’horizon. L’air est chaud, avec une légère touche de fraîcheur. C’est agréable. Il flotte dans l’atmosphère comme une douce odeur de liberté et de légèreté. À ce moment-là, je suis en paix.

À la radio passe actuellement la chanson “Goo Goo Dolls” de Iris. C’est une de mes préférées, alors je monte un peu le son. Et là, on se croirait comme dans un film.

Je suis enfin arrivée chez moi. Je commence à ressentir des palpitations, mon cœur bat un peu plus vite qu’à la normale. Pendant un instant, je me demande pourquoi, puis je me rappelle ce livre. Celui que je n’arrive pas à me sortir de la tête depuis quelques jours. Celui qui prend autant de place dans mon esprit et qui n’en sort pas une seule seconde…

Je pose mes clés dans la petite coupelle en céramique bleue sur le meuble de l’entrée, j’enlève mes chaussures – ou plutôt, je les fais voler dans un coin – et je me précipite aux toilettes. Priorités, on a dit.

Une fois cette urgence gérée, je prends une grande inspiration. L’odeur familière de chez moi me réconforte instantanément : un mélange de lessive, de café froid et de mon diffuseur à la pêche, qui ne diffuse plus grand-chose mais persiste vaillamment.

Je me dirige vers le salon. Mon sac tombe sur le canapé, suivi de ma veste, puis de moi. Je fixe le plafond un moment, les bras en croix, comme si je venais de courir un marathon. Ce qui est un peu vrai : rentrer mentalement de la vie active, c’est tout un sport.

Et puis, mes yeux glissent lentement vers la table basse.

Il est là.

Le livre. Fermé, posé bien à plat. Un peu trop bien, comme s’il essayait de se faire oublier. Mais moi, je ne l’ai pas oublié. Je le sens presque me regarder.

Je me redresse lentement. C’est idiot, je le sais, mais ce livre me met mal à l’aise. Il n’a rien de particulier, pourtant. Aucune couverture inquiétante, aucun titre mystérieux. Juste un vieux livre, trouvé par hasard dans une boîte. Que j’analyse et j’observe. Juste à côté de moi, Boubou est assise bien sagement. Elle me regarde, et de temps en temps regarde le livre. Je crois qu’elle est aussi impatiente que moi à l’idée d’ouvrir ce livre.

Sur la couverture, il y a des touches de doré et de rouge bordeaux. Les couleurs sont ternes. Plus aussi vives qu’à sa création. Il y a comme des signes, cachés, dissimulés par la poussière et la crasse des années accumulées.

Je tends la main. Hésite. Puis je le prends.

Sa surface est rugueuse, comme un tissu ancien, presque brûlé par le temps. Je passe doucement mes doigts sur la couverture, tentant de deviner les symboles, ces formes que je n’avais pas vraiment remarquées la première fois. Ce n’est pas un simple motif. On dirait… un alphabet. Ou un plan ? Un genre de carte ? Je n’en sais rien. Mais c’est là. Gravé, discret, à la limite du perceptible.

Je souffle doucement pour chasser la poussière. Une légère brume s’élève, et pendant une fraction de seconde, j’ai l’impression que les lettres se mettent à briller, juste un peu. Mais c’est sûrement mon imagination. Ou la lumière de fin d’après-midi qui joue des tours à mes yeux fatigués…

Je l’ouvre.

Les pages crissent comme un vieux parchemin. Ça sent un mélange de cuir, de papier jauni, et… quelque chose d’autre. Comme une odeur métallique, presque imperceptible, mais qui accroche au fond de la gorge.

Il y a également des symboles. Je ne pourrai pas les décrire car ils sont totalement aléatoires, j’ai l’impression. Mais bizarrement, ils ne me sont pas inconnus. C’est difficile à expliquer, mais j’ai l’impression de les comprendre, sans réellement les comprendre.

C’est comme une mémoire oubliée qui frappe doucement à la porte.

Je me penche un peu plus, fronce les sourcils. Certains de ces symboles me font penser à des constellations, d’autres à des lettres inversées ou déformées. Mais ce n’est ni du grec, ni du cyrillique, ni même de l’arabe ou de l’hébreu. C’est autre chose. Et pourtant, je peux presque... les lire. Comme si mon cerveau traduisait sans que je le veuille.

Mon cœur bat plus fort. J’ai la gorge un peu sèche. Une chaleur étrange monte le long de ma nuque.

Je continue de tourner les pages, lentement. J’ai conscience que je devrais peut-être poser ce livre. Le laisser là. Peut-être même le remettre là où je l’ai trouvé. Mais je n’arrive pas à m’en détacher. C’est comme si mes mains avaient décidé à ma place.

Et puis, sans que je le veuille vraiment, j’y suis.

Page 237.

Là, sous mes yeux, noir sur blanc, il est écrit : “Tu es enfin prête.”

Mais moi, je sens que quelque chose cloche.

Je prends une inspiration, puis je reprends le livre. Il s’est rouvert à la même page.

Je bloque un instant. Il n’y a plus rien.
La page est vierge. Complètement. Pas une tache d’encre, pas un mot. Rien. Juste un vieux papier légèrement jauni, qui ne dit plus rien. Comme s’il n’avait jamais rien dit.

Je fronce les sourcils. Non, non. Je suis sûre de ce que j’ai vu. Il y avait une phrase. Elle était là, juste là. “Tu n’aurais pas dû revenir.” Je l’ai lue. Je l’ai lue. Ce n’est pas mon imagination.

Je tourne la page suivante. Vierge. Je reviens en arrière. Rien non plus.
Je passe les doigts sur la feuille, pensant que c’est peut-être une encre spéciale, ou un effet d’optique, mais rien ne réapparaît. Rien. Seulement un léger frémissement du papier sous mes doigts.

Et puis, Boubou lève la tête et fixe un coin de la pièce. Un point précis, au plafond. Elle ne bouge plus. Ses yeux sont grands ouverts, ses oreilles pointées vers l’arrière.

Mon cœur fait un bond dans ma poitrine.

— Boubou ? Qu’est-ce que tu regardes… ?

Elle ne réagit pas. Elle ne cligne même pas des yeux. Je suis figée. Je déteste quand les chats font ça. Je la connais Boubou, elle n’a jamais fixé un point aussi longtemps. Surtout un point vide.

Je referme brusquement le livre.
Et dans le silence qui suit, je crois entendre, au loin, comme un souffle.
Comme une conversation, étouffée, ténue, presque irréelle. Deux voix, peut-être plus. Elles parlent à voix basse, comme si elles ne voulaient pas qu’on les entende… ou comme si elles savaient que je tendais l’oreille.

Je me lève lentement, le livre toujours serré contre moi, et me place face à la porte de ma chambre. Les voix semblent venir de là. Derrière.
Je retiens ma respiration.

Mon cœur bat vite, trop vite. J’ai l’impression qu’il fait plus de bruit que les voix elles-mêmes.

Boubou, elle, ne bouge pas. Toujours roulée sur elle-même, les yeux fermés, parfaitement calme. Traîtresse.
Je fixe la poignée. Elle est immobile. La porte aussi. Rien ne bouge.

Mais les voix, elles, continuent.

Je tends l’oreille. Une voix grave. Des mots flous, des syllabes indistinctes. Un mot se détache, pourtant. Un seul. "Clé."

Je cligne des yeux. Et d’un coup, plus rien. Le silence total. Brutal. Froid.

Je pose la main sur la poignée. Ma paume est moite. Je prends une inspiration. J’hésite, ne sachant pas si ouvrir cette porte est une bonne décision. Quand bien même Boubou est en train de faire sa plus belle sieste, moi, je suis un peu moins sereine quant à l’idée de découvrir ce qu’il y a derrière cette porte.

Je baisse alors la poignée, et essaie d’ouvrir la porte. Mais rien ne passe.
Elle est fermée. Complètement.
Ce qui est étrange… car je ne la ferme jamais. Jamais. Je vis seule, je n’ai aucune raison de verrouiller ma chambre à clé.

Je reste un instant immobile, la main toujours sur la poignée. Mon autre bras serre instinctivement le livre contre moi, comme s’il pouvait me protéger de quoi que ce soit.

J’écoute à nouveau.

Plus un son. Ni souffle. Ni voix.
Rien.
Juste ce silence épais, presque palpable, celui qui n’est jamais vraiment silencieux, mais chargé d’un "quelque chose" qu’on ne peut pas nommer.

Je tourne lentement la poignée une nouvelle fois, plus fort. Elle résiste. Je pousse un peu. Elle ne bouge pas d’un millimètre. J’essaie de regarder à travers la fente, sous la porte. Je ne vois rien. Rien de particulier. Juste une ombre. Floue. Immobile.

Et soudain, quelqu’un frappe. Trois petits coups secs, précis, de l’autre côté de la porte.

Je recule d’un bond.

— Qui est là ?! dis-je, la voix tremblante.

Et d’un coup, quelqu’un, avec une voix grave, presque masculine, répète à son tour :

— Qui est là ?!

Je reste pétrifiée.
Cette voix... elle a quelque chose d'étrange. Comme si elle venait de très loin. Ou de très près, mais étouffée, comme à travers un vieux magnétophone ou un mur trop épais.

Elle a répété exactement mes mots. Le même ton. La même intonation.
Mais ce n’était pas ma voix. Ce n’était pas moi.

Je fais un pas en arrière, le souffle court.
Le livre pèse lourd dans mes bras, comme s’il s’était densifié depuis tout à l’heure. J’ai soudain la sensation qu’il dégage une chaleur. Subtile, mais présente. Comme une pulsation.

Boubou, toujours sur le canapé, a ouvert les yeux. Elle ne bouge pas, mais elle me fixe maintenant. Longuement. Son regard est différent. Presque… interrogateur. Comme si c'était à elle maintenant de me demander : qui est là ?

Je me rapproche de la porte, à nouveau.

La poignée est tiède, presque chaude.
Je tends l’oreille. Rien. Silence.

Puis, encore une fois, la voix — plus lente, plus basse :

— Tu es la passagère, c’est ça ? C’est toi qui a hérité du Sacer Codex, alors ?

Je reste là, paralysée, incapable de répondre.
Passagère ?
Hériter ?
Sacer Codex ?

Ce sont des mots qui me semblent à la fois étrangers… et familiers. Comme les symboles du livre. Comme ces impressions que j’ai depuis des jours, ces rêves confus, ces fragments de mémoire qui ne m’appartiennent pas.

Je serre le livre contre ma poitrine. Mon cœur bat si fort que j’ai peur qu’on l’entende à travers la porte.

— Je… je crois que non. Je ne sais pas ce que c’est, je réponds enfin, à voix basse.

Un silence. Pesant.

Puis, la voix murmure, presque avec une tristesse étrange :

— Alors tu n’as pas encore vu.

Encore vu quoi ? Qu’est-ce que je n’ai pas encore vu ?

La poignée bouge.

Pas moi. Pas ma main. Mais quelqu’un de l’autre côté l’actionne lentement. Un cliquetis. La porte s’entrouvre très légèrement, laissant passer une fine ligne d’ombre. Par curiosité, j’essaie de regarder à travers : ça laisse entrevoir sur ce qui ressemble à un salon, très cosy, une ambiance un peu cottage anglais. La pièce semble habitée, quelques affaires qui trainent, un canapé d’angle beige, un cheminée, une table à manger avec 4 chaises, des crayons de couleur sur le tapis blanc, et une horloge comme celle dans les gares et sur le mur… À en croire la lumière de la pièce, je dirai qu'il est pas loin de 18h00 - c'est l'heure indiquée sur l'horloge -.

Je retiens ma respiration. Le livre devient brûlant. Mes mains me brûlent presque, mais je ne le lâche pas.

Un souffle passe dans l’interstice de la porte. Il porte une odeur que je n’arrive pas à définir. Pas de la poussière. Pas du moisi. Quelque chose d’ancien. De vivant et de presque palpable. Et une légère odeur d'herbe fraîchement tondue.

Et là, la voix parle une dernière fois, plus claire, plus directe :

— Moi c'est Jules. Je sais que ça paraît un peu dingue de te proposer ça mais, maintenant que tu es sur le fait accompli, est-ce que tu souhaites venir ? Ne t'inquiètes pas. Tant que tu as le livre avec toi, tu pourras toujours revenir chez toi. Je t'invite, seulement le temps qu'on puisse discuter, de tout ça.

Pendant un instant, j'hésite. Puis en y réfléchissant bien, cette ouverture, cette porte donnant sur un monde inconnu et nouveau, est-ce que ça ne serait pas l'opportunité de m'évader ? Après tout, ce n'est que pour quelques minutes. Boubou est en sécurité, elle a à manger, à boire…

Je pousse alors la porte, en gardant le livre bien collé contre ma poitrine. En passant la porte, je ressens comme une légère vibration, des frissons qui me traversent de tout mon corps.

La porte se ferme derrière moi, lentement et presque d'une manière onirique. Sans violence, avec délicatesse.

Je vois Jules. Un homme, grand, brun aux yeux verts. Avec des traits de visages fins et proportionnés - autrement dit, un bel homme -. Je suppose aussi être dans son salon…

L'ambiance s'allège. L'air est tout de suite moins lourd et l'odeur d'herbe et de vanille arrive mon nez. Le temps d'un instant, j'observe la pièce dans laquelle je me trouve et les environs. Je ne me souviens pas de cet endroit, cette maison, mais j'ai la nette impression de connaître, ou plutôt reconnaître, ce monde.

Jules me sort alors de mes pensées :

— Tout d'abord, je tiens à te préciser que je ne suis pas un serial killer ou un psychopathe. Tu n'as pas à avoir peur. Je te vois observer la pièce, et c'est normal. Derrière toi, tu as la porte par laquelle tu viens d'arriver. C'est la porte de mon cellier, et il semblerait que ce soit aussi la porte de ton salon. Je suis désolé, j'ai eu le temps de jeter un coup d'œil tout à l'heure. Tu n'as pas à t'inquiéter. Si tu veux, je peux t'expliquer tout ce que tu viens de découvrir, et surtout ce qu'est ce livre que tu tiens fermement contre toi.

Sa voix. À la fois masculine et douce. Elle ne m’effraie pas. Au contraire. Elle me rassure — ou plutôt, elle ne me donne pas l’impression que je suis en danger. Alors, je décide enfin de lui répondre :

— Je te remercie pour cette précision. C’est vrai que ce n’est pas du tout commun de rencontrer quelqu’un… par un moyen que je ne comprends même pas encore, et qui habite… je ne sais où. Enchantée. Moi, c’est Annabelle.

Il me tend la main — un geste neutre, accueillant. Je la serre. Et au moment où nos mains se touchent, je ressens une vague de chaleur, légère, mais troublante. Quelque chose de familier.

Alors je lui demande, presque dans un souffle :

— Où est-ce qu’on est ?

Jules esquisse alors un sourire en coin et jette un regard furtif à mon livre — celui que je serre contre moi comme si ma vie en dépendait, prête à l’étouffer tant mes bras le retiennent avec force. C’est alors qu’il m’explique, d’un ton calme, que nous sommes chez lui. La pièce dans laquelle nous nous trouvons est son salon. Un espace simple, mais chaleureux, à son image. Il ajoute que, pour l’instant, nous ne sommes que lui et moi. Par chance, précise-t-il, sa sœur et ses deux enfants sont repartis il y a environ une heure, après avoir passé la journée ici.

Je hoche lentement la tête, à la fois soulagée de ne pas avoir d’autres regards posés sur moi… et intriguée par cette sensation étrange d’être là, dans un lieu inconnu, mais qui ne m’effraie pas. Au fur et à mesure de ses explications, mes bras se détendent presque malgré moi. Mon étreinte sur le livre se relâche doucement, comme si mes nerfs eux-mêmes commençaient à céder à la paix ambiante. Mais une seule question tourne en boucle dans ma tête, insistante, obsédante, comme un écho qui refuse de disparaître : Comment suis-je arrivée ici ?

C’est alors que, après qu’il a tant bien que mal tenté de me rassurer, je prends une inspiration et lui pose enfin la question qui me hante depuis le début :

— Jules, je te remercie pour toutes ces explications. Vraiment. Mais il y a une interrogation qui ne cesse de tourner dans mon esprit. Je voudrais comprendre… Comment suis-je arrivée ici ? Je ne connais pas cette maison, je n’y suis jamais venue. Rien ne m’y semble familier, à première vue. Et ce livre… ce livre que je serre contre moi depuis que je suis entrée dans ton salon, il n’a cessé d’émettre une chaleur étrange, mais réconfortante.

J’aimerais vraiment comprendre. Et… Et j’ai le pressentiment que tu as des réponses à me donner sur tout ça.

Une fois ma phrase terminée, il me fixe. Son regard devient plus sérieux, presque grave. Ses beaux yeux verts m’observent avec une intensité calme, mais chargée de quelque chose que je n’arrive pas encore à définir.

Sans un mot de trop, il me propose de m’asseoir à sa table. J’accepte, poussée par un étrange mélange de curiosité et de confiance.

L’horloge murale indique 18h40. Cela fait déjà quarante minutes que je suis ici… et pourtant, j’ai l’impression que le temps n’a aucune prise. Comme si chaque minute passait sans vraiment exister.

Un flash-back me traversa alors l’esprit, vif et inattendu. Une après-midi avec ma grand-mère. J’avais tout juste neuf ans.

Ce jour-là, toute la famille était réunie dans la maison de mes grands-parents. Un samedi ensoleillé, en plein mois de juillet. Je me revois courir pieds nus dans le jardin, les rires de mes cousins résonnant autour de moi comme une mélodie oubliée. Dans l’air flottait une odeur de tarte aux pommes, celle que mon grand-père préparait toujours pour le dessert. Une odeur douce, sucrée, chargée de souvenirs.

Il était décédé un an plus tôt… et pourtant, en cet instant précis, c’était comme si sa présence remplissait à nouveau l’espace. Vivante. Chaleureuse.

C’était une maison de campagne, simple mais pleine de charme, que mon grand-père avait entièrement réaménagée et retapée, pierre après pierre. Il voulait qu’elle devienne un lieu de convivialité, un refuge pour tous les membres de notre famille. Et il y était parvenu.

Ma grand-mère qu'on appelait Gigie - son prénom était Virginie -, elle passait des heures dans le potager. Donner vie à la nature était un de ces exutoire. Elle aimait se retrouver les mains plongées dans la terre, ressentir le contact brut, vivant, entre ses doigts.

Elle a toujours été ainsi : habitée par ce besoin de faire naître, de raviver, de tendre la main. Elle offrait de l’espace aux opprimés, semait la paix comme d’autres sèment des graines, et faisait fleurir les cœurs ternis.

Cet après-midi-là, elle était allée s’installer dans sa véranda, sur son vieux fauteuil à bascule. Les larges baies vitrées donnaient sur un jardin éclatant, inondé de fleurs aux teintes d’orange, de jaune et de rouge. Un tableau vivant baigné par la lumière dorée de l’été.

Du haut de mes neuf ans, je l’avais observée un instant depuis l’embrasure de la porte, puis, sans un mot, j’étais allée m’asseoir à côté d’elle. Discrètement. Je ne voulais pas briser ce petit moment de paix qu’elle s’accordait. Je voulais juste être là, avec elle, dans le silence doux d’un instant partagé.

— Oh, mon petit poussin, lui dit-elle en souriant. Pourquoi ne t’amuses-tu pas avec tes cousins ?

— Je voulais rester près de toi, répondis-je doucement. Ils sont trop bruyants, ça finit par m’agacer.

Sur le côté de la véranda se dressait une bibliothèque chargée de vieux ouvrages, certains couverts d’une fine pellicule de poussière. Je glissai mes doigts le long des dos reliés, laissant mes mains « surfer » doucement sur les titres effacés par le temps, savourant la sérénité de cet instant.

Parfois, je prenais un des livres au hasard et restais là, à côté d’elle, à essayer de comprendre ce qui était écrit. Les mots me semblaient alors immenses, mystérieux, comme des secrets qu’il fallait apprivoiser.

Je la voyais souvent lire, paisiblement installée dans son vieux fauteuil à bascule, le regard plongé dans les pages, comme si plus rien autour n’existait.

J’aimais la voir comme ça. Elle me fascinait. Et au fond de moi, j’avais envie de faire la même chose. De lire, de comprendre, de m’évader comme elle savait si bien le faire.

Je la voyais souvent plongée dans un vieux livre, dont la couverture dorée et rouge bordeaux semblait avoir traversé les âges. Il n’y avait ni titre, ni indication, juste un objet mystérieux qu’elle tenait toujours avec une grande délicatesse. Elle s’y perdait, comme dans un autre univers, son regard parfois lointain, absorbé par des pages qui semblaient lui murmurer des secrets.

Un jour, ne pouvant plus retenir ma curiosité, je lui ai demandé, les yeux emplis de questions :

— Grand-mère, qu’est-ce que tu lis dans ce livre ?

Elle restait souvent vague dans ses réponses, mais ce jour-là, elle sembla chercher ses mots avant de me les offrir, lentement, comme une confidente. Elle ferma doucement son livre et me regarda, un sourire énigmatique aux lèvres.

— Vois-tu, ce livre est différent des autres. Il ne raconte pas la même histoire que ceux qui sont dans ma bibliothèque. Ce n’est pas un livre comme les autres. Il permet de s’évader, de parcourir le monde… d’une manière que tu ne peux pas encore comprendre.

Elle me regarda alors, ses yeux pleins de douceur, comme si elle me laissait entrevoir un secret qu’il me faudrait, un jour, découvrir par moi-même.

— Ce livre appartient à notre famille, dit-elle alors, comme si elle confiait un secret précieux. Il est là depuis des générations, et il n’en est jamais sorti. Il a sa place parmi nous, comme chacun des membres de notre famille.

Elle marqua une pause, son regard se faisant plus intense, comme si les mots qu’elle allait prononcer avaient un poids particulier.

— Il renferme des secrets que très peu de gens pourraient comprendre. Des secrets que nous seuls savons… et que tu découvriras, un jour, si tu es prête à les entendre.

Elle me laissa alors avec cette phrase, aussi énigmatique qu’elle, une invitation silencieuse à chercher, à découvrir, mais aussi à respecter les mystères que la famille portait en elle.

Ce flash-back ne dura que quelques secondes, mais suffisamment longtemps pour que les souvenirs se fassent sentir, comme un souffle doux et lointain. Puis, tout à coup, j'étais de retour dans le présent.

Jules était là, toujours face à moi, ses yeux verts me scrutant avec une attention silencieuse. Le salon autour de nous semblait tout aussi familier, mais aussi étrangement distant. Le livre que je tenais contre moi, toujours aussi chaud, me rappela la présence de ce passé, tout en m'ancrant ici, à cet instant précis.

C’est alors qu’une voix, douce mais claire, résonna dans mon esprit, comme un murmure venant de l’intérieur. Un seul mot.

— Clé.

Ce mot, étrange et lourd de sens, comme si quelque chose de crucial venait d’être révélé. Mon cœur s’emballa légèrement, tandis que la chaleur du livre dans mes bras semble se renforcer, presque comme une réponse à ce murmure.

Je relève la tête en direction de Jules, une sensation étrange parcourant mon corps. J'espérais, presque désespérément, qu'il ait entendu ce mot lui aussi. Puis, dans un silence suspendu, nos regards se croisèrent. C’est alors qu’on exprima, presque en même temps :

— Toi aussi tu l’as entendu ?

Tous deux surpris, et un peu effrayés, nous nous fixâmes, comme si cette voix venue d’ailleurs avait brisé l’équilibre du moment. La chaleur du livre, toujours dans mes bras, semblait se diffuser davantage, comme une réponse silencieuse à cette présence invisible.

Je crois qu'il ressentit le besoin de m'expliquer à ce moment précis. Il prit une grande inspiration avant de commencer, ses yeux se posant sur le livre que je tenais toujours serré contre moi.

— Moi aussi, dit-il lentement, j'ai hérité d'un livre quasiment identique au tien. Il n'a ni titre, ni indication sur l'auteur. Tout comme le tien, il semble être… hors du temps.

Il marqua une pause, comme s'il cherchait les mots justes. Il semblait peser chaque syllabe, conscient de l'importance de ce qu'il allait dire.

— Je n'avais jamais vraiment compris son pouvoir… jusqu'à maintenant. Mon livre m’a été donné par mon grand-père, peu après sa mort. Il me répétait sans cesse que ce livre appartenait à notre famille depuis des générations. Qu’il ne devait surtout pas en sortir, qu’il portait en lui des secrets que personne d’autre ne pourrait comprendre.

Il disait aussi que ce livre était relié à un autre, quelque part sur cette Terre… ou peut-être même dans un autre univers. Un autre livre, tout aussi ancien, tout aussi mystérieux. Il m’avait toujours prévenu, d’une voix grave et insistante, que le véritable pouvoir contenu dans ces livres ne pourrait être exploité qu’au moment où leur propriétaire serait prêt. Prêt à comprendre, à manier les pouvoirs et les enseignements cachés dans chaque page, dans chaque mot. Mais il m'avait aussi avertie : il fallait être prêt, car ces pouvoirs n'étaient pas faits pour être pris à la légère.

Peu à peu, à mesure que Jules continue de parler, je sens les battements de mon cœur s’accélérer. Ce n’est pas de la peur, loin de là. C’est une sensation étrange, comme si quelque chose en moi s’éveillait, quelque chose que je savais déjà, au fond de moi.

Ses paroles résonnent dans ma tête, chaque mot creusant un peu plus le mystère.

— Ces livres, dit-il, sont considérés comme des portails. Des portails qui permettent aux passagers de naviguer entre les différents univers. Ils sont là pour maintenir un équilibre fragile entre ces mondes, pour empêcher l’un d’eux de sombrer dans le chaos. Et ce n'est pas n'importe qui qui peut sentir sa chaleur, sentir des frissons rien qu'en parcourant des pages blanches. Et ce n'est pas non plus anodin que tu aies eu l'opportunité d'arriver dans mon salon, de par une porte de ton appartement.

Un frisson parcourt mon échine alors qu’il prononce ces mots. L’idée que ce livre que je tiens dans mes bras soit bien plus qu’un simple objet prend tout son sens, comme un puzzle dont les pièces commencent enfin à se réunir.

— Le rôle des Passagers est clair : protéger notre dimension, protéger les humains, de ceux que l’on appelle les Intrus.

Des sorcières et des sorciers corrompus, animés par un seul et unique objectif : récupérer tous les exemplaires des Sacers Codex. Ces livres ancestraux, porteurs d’un pouvoir oublié, sont les clés d’un portail unique. Un portail interdit. Un passage scellé depuis des millénaires… qui, s’il venait à s’ouvrir, libérerait une abomination. Une entité si puissante qu’un seul de ses pas suffirait à anéantir l’humanité.

Je commence à avoir un peu peur. Pas de Jules… mais de tout ce qu’il me dit, de tout ce qu’il m’apprend, de ce qu’il est en train de révéler au grand jour. Chaque mot semble graver un poids nouveau sur mes épaules. Une part de moi hurle : Pourquoi ai-je ouvert cette porte ?

Pourquoi moi ? Pourquoi est-ce que ce livre est venu à moi, et pas à un de mes cousins ? Pourquoi m’a-t-il choisie, moi, qui ne demandais qu’un peu de paix ?

Et soudain, une pensée s’infiltre, acide et tenace : Peut-être que je préférais encore ma routine déprimante…

Au moins, elle avait le mérite d’être familière. Prévisible.

Pas chargée d’une mission dont dépend l’équilibre des mondes.

Je panique. Tout devient trop lourd, trop intense, trop réel. Mon souffle s’accélère, mes pensées s’emmêlent.

Je me lève d’un bond, le livre toujours contre moi, comme s’il m’ancrait à quelque chose que je ne comprends plus.

— Je suis désolée, Jules… je… je dois partir. Il faut que je rentre chez moi.

Ma voix tremble. Mes mots sortent en désordre, poussés par une urgence que je ne maîtrise pas.

— Je ne suis pas prête pour tout ça. Vraiment pas.

Je baisse les yeux, honteuse.

— Pardonne-moi. C’était une erreur. Une erreur de venir ici.

Je me retourne, prête à fuir cette vérité qui me submerge, sans même savoir comment retrouver le chemin de chez moi…

Sans réfléchir, je me dirige vers la première porte que je vois — celle du cellier. Mon cœur bat à tout rompre. Je saisis la poignée, la serre comme si ma vie en dépendait.

Et sans même savoir comment… ni pourquoi… La porte s’ouvre.

Un souffle d’air tiède me traverse.

Et, en un instant, je ne suis plus chez Jules.

Je suis de retour. Chez moi. Dans mon appartement.

Le silence m’enveloppe. Tout est exactement comme je l’avais laissé. Pourtant, quelque chose en moi a changé. Irrémédiablement.

La porte se referme derrière moi dans un claquement sec, suivi du cliquetis discret de la serrure. Un son net, presque irréel, comme si quelque chose venait d’être scellé.

Plus un bruit. Le silence m’enveloppe à nouveau, épais et familier.

Boubou est là, assise tranquillement sur le canapé, comme si de rien n’était. Elle me regarde de ses grands yeux paisibles, comme si je n’avais jamais quitté la pièce.

Rien n’a changé. Absolument rien. Je tourne la tête vers le micro-ondes.

18h00

Exactement l’heure à laquelle tout a commencé.

Je m’effondre sur le canapé, le livre toujours contre moi, et alors que le silence m’engloutit. La soirée se passa, sans nouveauté ni énergie.

Quelques jours passèrent, laissant à mon esprit le temps de se reposer un peu. Les jours précédant le mercredi où je décidai de me rendre à la maison de mes grands-parents, je les consacrai à moi-même. Je me baladai au bord de l’océan, m'accordant quelques instants en forêt, rendis visite à mes parents… Je pris aussi le temps de préparer mon jardin pour les beaux jours. Comme un besoin de me recentrer, d’ancrer mes pas dans quelque chose de simple, de familier.

Ma mère en a hérité après le décès de ma grand-mère, il y a cinq ans déjà. En tant qu' aînée de sa fratrie, ce fut elle qui en prit la responsabilité. Après le départ de ma grand-mère, mes oncles et tantes ont décidé, d’un commun accord, de remettre la maison en état pour en faire un lieu de retrouvailles. Une maison de famille, vivante, ancrée dans le souvenir.

Tous les meubles ont été laissés à leur place, intacts, tout comme certains souvenirs soigneusement préservés. Je crois que c’est notre façon, à tous, de garder vivante la mémoire de mes grands-parents. Comme si, en maintenant leur univers en l’état, nous pouvions encore entendre leurs pas dans les couloirs ou le tintement familier de la vaisselle dans la cuisine.

Je décide alors de m’y rendre un vendredi, un vendredi pluvieux, de ceux qui donnent envie de se réfugier sous un plaid, une tasse chaude entre les mains. Après le départ de mes grands-parents, toutes leurs affaires avaient été soigneusement entreposées dans le grenier. Il y avait un peu de tout : de vieux vêtements, des objets d’un autre temps, des livres jaunis par les années… Un bric-à-brac silencieux, chargé de souvenirs… et la précieuse collection de timbres de mon grand-père. Il était philatéliste, passionné jusqu’au bout des ongles. Une passion que je n’avais jamais vraiment comprise étant enfant, mais qui, pour lui, représentait un monde en miniature. Chaque timbre était une fenêtre ouverte sur l’Histoire, une époque, un pays, une émotion de ce qu’il me disait. Il les avait précieusement entreposés dans un grand classeur, dont la couverture en cuir était marquée par le temps, mais dont l’intérieur brillait encore de ses trésors minutieusement rangés.

En arrivant, je commence par ouvrir les volets et les fenêtres du rez-de-chaussée, comme un réflexe. Histoire de laisser entrer un peu d’air frais, de lumière, et de redonner vie à cette belle maison endormie.

Je me suis baladée dans la maison, comme pour tenter de raviver les souvenirs enfouis, m’imprégner à nouveau de cette ambiance si familière. Quand j’étais petite, j’adorais venir ici, chez mes grands-parents. J’étais particulièrement proche de ma mamie — une complicité tendre et silencieuse nous unissait, comme un fil invisible que le temps n’a jamais vraiment rompu.

Quand elle cuisinait, j’aimais l’aider, lui donner un coup de main : pour les tartes aux pommes, je coupais les fruits avec application ; pour les plats en sauce, je préparais les légumes pendant qu’elle surveillait le feu. Je goûtais les jus pour savoir si c’était assez salé… C’était notre rituel à nous, simple et précieux.

Après le décès de mon grand-père, je pense que la manière de ma mamie pour pallier cette absence a été les livres. Elle lisait beaucoup, presque avec une sorte de dévotion. C’était devenu son rituel à elle, un moment à l’abri du monde. Elle s’installait chaque après-midi dans sa véranda, confortablement, dans son fauteuil à bascule. La porte battante, ouverte sur le jardin, laissait entrer la lumière douce du soleil et les bruits paisibles du quartier. Dans le coin, un vieux matou roux errant venait souvent se reposer dans la véranda, profitant du soleil pour se réchauffer. Il faisait partie du décor, aussi discret et constant que les pages qu’elle tournait. Elle l’avait appelé Gaspard, aucune idée de pourquoi par contre…

Au rez-de-chaussée de cette maison, on trouve la cuisine — ma pièce préférée —, le grand salon qui fait également office de salle à manger, et la véranda, qui elle, s’ouvre sur le jardin. Le jardin, c’était la deuxième passion de mon grand-père. Il adorait en prendre soin et disait toujours avec fierté : « Quand c’est moi qui m’en occupe, il est toujours rayonnant. ». Chaque arbre avait sa place, chaque fleur son coin, où elle pouvait pousser et s’épanouir sans gêner les autres.

Il y avait aussi le bureau de mon grand-père, celui où il aimait s’installer pour lire son journal, trier ses timbres et les glisser avec soin dans son classeur. De part et d’autre du bureau, deux grandes bibliothèques trônent encore, pleines de livres soigneusement alignés, comme un témoignage silencieux de ses passions. Cette pièce est remplie de livres et d’objets que mon grand-père avait amassés au fil des années, comme autant de fragments de sa mémoire. Ma grand-mère, elle, n’avait pas de pièce bien à elle. Seulement sa véranda — son petit royaume de lumière — où trônait une bibliothèque discrète et un ancien secrétaire, usé par le temps et les lettres qu’elle y écrivait parfois. Dans un coin de la véranda, un petit coffre en bois repose discrètement, dissimulé tant bien que mal sous les lianes de ses plantes et un pan de rideau épais. Cela faisait des années que je l’avais remarqué — malgré ses efforts pour le cacher, mon œil curieux et attentif n’avait rien laissé passer. Aujourd’hui, l’envie de découvrir ce qu’il renferme me prend. Je m’installe alors dans la véranda, sur la marche en bois usée par le temps, et, le cœur un peu battant, j’ouvre doucement le coffre. À l’intérieur, soigneusement rangés, se trouvent plusieurs carnets aux couvertures patinées, remplis de notes manuscrites de ma grand-mère. Il y a aussi un petit sachet en tissu, renfermant des pierres de différentes couleurs — noire, rose, verte, bleue — comme autant de secrets silencieux. Et puis, un trousseau de clés anciennes, aux formes toutes différentes, dont chacune semble porter sa propre histoire. J’ai eu un pincement au cœur en ouvrant le coffre et en découvrant tous les souvenirs enfermés là, comme une capsule temporelle soigneusement scellée. Un concentré d’instants figés, porteurs d’émotions encore trop vives. C’est pourquoi je décide de refermer le couvercle, pour ne pas brusquer le passé. Je garde encore cachés les derniers fragments que je n’ai pas le courage de découvrir… pas maintenant.

C’est alors que, dans le fond du jardin, je le vois. Gaspard. Abrité sous les branches noueuses du grand chêne, immobile.

— Gaspard ! Viens, mon pépère, viens te mettre à l’abri !

Il me regarde fixement, assis, sans bouger d’un poil. Une statue vivante. Ses yeux sont ancrés dans les miens, comme s’il lisait en moi… ou veillait sur quelque chose.

Je l’appelle encore. Rien. Je referme alors la porte de la véranda. Mais à peine ai-je franchi la marche en bois que j’entends un clic. La porte se verrouille toute seule. Pourtant, je n’ai rien touché…

Troublée, je fais le tour de la maison. Je ferme fenêtres, volets, portes, une à une. Puis je monte dans la voiture, le petit coffre de ma grand-mère posé sur le siège passager.

C’est alors que je le vois dans mon rétroviseur. Gaspard.

Assis sur le pas de la porte. Toujours là.

À me regarder partir. Silencieux.

Il est vraiment étrange, ce chat… parfois, j’ai l’impression qu’il sait bien plus de choses que moi.

Une fois de retour chez moi, je m’occupe des choses habituelles, comme pour éloigner l’étrangeté de ces dernières heures. Mais mes pensées reviennent sans cesse au coffre. Il est là, posé dans un coin, comme s’il attendait que je vienne vers lui.

Je finis par le reprendre sur mes genoux, soulève le couvercle avec une certaine retenue. En fouillant un peu plus en profondeur, mes doigts rencontrent une texture lisse, froide. Je sors une paire de gants.

Des gants noirs, en cuir. Rien d’extravagant. Élégants. Raffinés. Le genre qu’une femme de goût porterait par habitude, ou par nécessité.

Je les observe un instant. Ils n’ont pas l’air si anciens, mais quelque chose m’intrigue. Je les retourne. Pas d’étiquette. Pas d’odeur particulière. Il devait certainement être à ma grand-mère.

Puis, dans le fond du coffre, dissimulé derrière toutes ces babioles soigneusement rangées au fil des années, quelque chose attire mon regard. Une matière différente, un éclat particulier… Je pousse doucement quelques objets sur le côté, et là, je l’aperçois.

La couverture d’un livre.

Épaisse. Usée. D’un vert profond tirant sur le bordeaux, ornée de dorures fines et discrètes. Aucune inscription. Aucun titre.

Et pourtant… quelque chose en lui m’est familier. Comme si je l’avais déjà vu. Ou tenu. Dans un rêve, peut-être. Ou… dans un souvenir.

Je tends la main, hésitante. Mon cœur bat plus fort. Je saisis alors le livre, mes doigts glissant doucement sur la couverture. Il est étonnamment tiède, presque vivant. Pourtant, sur le moment, il ne se passe rien de particulier. Aucune vibration, aucun frisson. Juste un silence étrange, presque solennel.

Je l’ouvre.

Les pages sont épaisses, légèrement jaunies par le temps, mais parfaitement blanches. Aucune inscription, aucun dessin, aucun mot. Rien. Je les feuillette une à une, espérant y trouver une trace, un indice… Mais non. Le vide.

Et pourtant, je sens qu’il ne s’agit pas d’un simple livre.

Il cache quelque chose. Il attend peut-être. Sur la toute première page de celui-ci, il y a le prénom et nom de ma grand-mère : Virginie Digiolli, écrit à la plume. L’écriture est fine et élégante. Et soudain, en revenant à la toute première page, un détail attire mon regard. Là, tout en haut, discrètement inscrit à la plume, un nom apparaît.

Virginie Digiolli.

Le prénom et nom de ma grand-mère.

L’écriture est fine, élégante, presque calligraphiée. Une encre légèrement délavée, mais encore parfaitement lisible. Ce n’est pas une écriture banale — c’est celle de ma mamie, j’en suis sûre. Elle signait toujours ses lettres avec cette douce précision.

Mon souffle se coupe un instant. Ce livre lui a appartenu. Elle savait. Et pourtant elle ne m’en a jamais parlé. Pas directement.

Pourquoi ce silence ? Pourquoi ne m’en avoir jamais parlé ? Peut-être n'a-t-elle jamais eu l’occasion ou le courage. Peut-être que ce n’était qu’un simple livre pour elle. Ou simplement voulait-elle garder les personnes de sa famille en dehors de tout ça… Peut-être n’a-t-elle jamais eu l’occasion… ou le courage.
Peut-être que, pour elle, ce n’était qu’un simple livre.
Ou peut-être, au contraire, savait-elle exactement ce qu’il contenait, ce qu’il représentait.
Et qu’elle avait choisi de garder les siens loin de tout ça. De ce monde. De cette responsabilité.

Un choix d’amour. Ou de peur. Peut-être un peu des deux.

Je referme doucement le livre, le tenant contre moi. Il semble plus lourd qu’il ne l’était quelques instants plus tôt.

Et au fond de moi, une conviction commence à grandir.

Ce n’est pas un hasard. Rien de tout cela n’est un hasard. Après l’avoir refermé, tout s’éclaire dans mon esprit.
Je ne comprends pas encore tout, non.
Mais une chose est sûre : la connexion que j’avais avec ma grand-mère allait bien au-delà des mots échangés, des gestes tendres, ou des souvenirs d’enfance. C’était autre chose. Plus ancien. Plus profond. Comme un héritage silencieux qui venait, enfin, de se révéler. Ce livre. Ce coffre. Tout ce qu’ils renferment…
Je sais, au fond de moi, qu’ils me serviront un jour. Je l’ignore encore comment, ni quand. Mais je le sens.

20h46.
Je décide alors de laisser tout ça de côté, au moins pour le reste de la soirée. Mon ventre me rappelle à l’ordre — j’ai à peine mangé. Je me prépare quelque chose de simple, rapide, sans trop y penser.

Cette journée de révélations et de prise de conscience m’a lessivée.

Demain est un autre jour.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Marie Louise ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0