15. Poser ses ovaires sur la table

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Julia

- Hector, laisse-moi voir ma nièce, bordel, pousse-toi ! bougonné-je devant mon ordinateur alors que mon frangin s’amuse à cacher la caméra.

Après une bonne balade dans le camp, un moment agréable avec les Silvaniens et Lila en particulier, j’ai bouclé mon rapport au Colonel et décidé de faire un petit break alors que Snow est finalement parti avec Arthur, Dan et quelques hommes à la grotte. Arthur… Bon sang, Arthur. Je me suis détestée d’être si froide avec lui, mais c’est mon instinct de protection qui agit, là, mon besoin de tout contrôler et de ne rien laisser déborder. Moi qui n’aime pas les cases, je les trouve parfois rassurantes.

- Tête à claques ? On t’a perdue ? ricane mon imbécile de cadet.

- Je suis là, Microbe. Oh là là, mais qu’est-ce qu’elle a grandi ! Elle te ressemble tellement, Sarah, ça devrait m’énerver qu’elle n’ait pas un trait des Vidal, mais quand je vois la tronche de mon frère, je trouve ça rassurant, ris-je. Bon sang, je suis tellement dégoûtée que Sacha soit chez tes parents, vous me manquez.

- Profite encore deux minutes, frangine, il est l’heure d’aller au lit pour la demoiselle.

- Déjà ? Merde…

- Eh, pas de gros mots devant la petite, bougonne Sarah avant de me faire un clin d'œil. On doit parler, de toute façon, toi et moi. File la mettre au lit, Hector.

- Bien Madame. Allez, Elise, dis bonne nuit à ta tante indigne, même pas là pour changer tes couches.

- Va te faire f… Cuire un œuf, Microbe. Bonne nuit ma petite beauté ! Fais-lui des bisous de la part de sa tante, au lieu de raconter des âneries !

Hector attrape la petite main d’Elise et me fait coucou, me tirant un sourire niais et stupide, avant de quitter le champ de la caméra sous l’oeil attendri de ma meilleure amie.

- Alors, y a un problème ? De quoi tu veux parler ? lui demandé-je en allant m’installer sur mon lit avec mon ordinateur.

- Moi ? Un problème ? Tu veux dire, en dehors du baby-blues, des réveils nocturnes plus nombreux que les lignes de métro parisiennes, les crevasses, le retour de couche et tout le tintouin ? Tout roule pour moi, rit-elle. Et pour toi ? Le camp ? Les soldats ? Snow ? L’humanitaire ?

Je pouffe sans parvenir à le cacher, recevant un doigt d’honneur en compensation. Ok, si on part là-dessus, Sarah vit des trucs bien plus pourris que moi. Bordel, ça ne donne absolument pas envie d’avoir des gosses.

- Le camp va pas trop mal, les soldats sont à peu près matés, Snow reste Snow en version amoureux, et l’humanitaire est un sujet tabou. J’ai oublié quelque chose ?

- Attends, Snow est amoureux ? Oh non ! C’est nul ça, enfin sauf si c’est de toi !

- Moi ? Mais t’es dingue !

- Tu devrais y réfléchir, hormis son penchant pour tous les lits de personnes ayant une foufoune, il est gentil, attentionné et tu peux compter sur lui quoi qu’il arrive. Je suis sûre qu’il se jetterait sous un train pour toi.

- Quel destin tragique, Roméo et Juliette version vingt-et-unième siècle, ris-je.

- Certes ! Bon, et l’humanitaire ?

- Est un sujet tabou.

- Pourquoi ? Il est nul au pieu ? Il a une petite quéquette ? Il t’a marché sur les pieds ou a osé te dire que tu avais un gros cul ?

- Parce que. Non. Non. Non. Et non.

- Ok, dit-elle en réfléchissant. Tu as couché avec lui, hein ? Plusieurs fois ? Bonne alchimie ? Orgasmes ?

- Oui, oui, oui et oui.

- C’est cool, merde ! Pourquoi tabou alors ?

- Tu sais que l’objectif de dire “sujet tabou”, c’est de ne pas en parler ?

- Oui, enfin, c’est moi. On parle de mes vergetures et de mon épisiotomie si tu préfères.

- Tu devrais être politicienne, Sarah. Ok, soupiré-je, pour la faire courte, mes hommes ont appris que je fricotais avec Arthur, et j’ai déjà pu repérer quelques ricanements, nombre de regards beaucoup moins professionnels, enfin encore moins qu’avant, et quelques remarques graveleuses. Bref, je suis, encore, dans la merde. Comme l’an dernier au Mali, je suis douée pour me foutre dans la panade.

Sarah reste un moment silencieuse, me jaugeant du regard, et j’ai l’impression que la connexion s’est coupée tant je n’ai pas l’habitude de la voir silencieuse. Un sourire se dessine finalement sur ses lèvres.

- Et alors ? T’as pris ton pied, non ?

- Oui.

- T’as kiffé ?

- Oui.

- T’as encore envie de kiffer ?

- Putain, oui, ris-je.

- Donc, tu t’en bats les ovaires.

- Oui, mais…

- Pas de mais, me coupe-t-elle en levant son index comme quand elle reprend Sacha. Écoute, on sait toi et moi que tu vas les mater, les crétins qui vont t’emmerder, non ?

- C’est pas facile…

- Oh arrête, Ju, s’esclaffe-t-elle. Je paierais cher pour avoir ton charisme. Tu vas les remettre à leur place. Tu as appris de ta dernière expérience. Il en vaut le coup, ce Arthur, non ? Tu n’aurais pas merdé une fois de plus sans ça.

- Il en vaut la peine, oui. Et… Pas que pour le sexe.

- Ju, t’es amoureuse ?

- Joker ?

- Il est chez tes parents, pas à la maison. Donc, Juju est amoureuse. T’entends ça, Hector ? beugle-t-elle. Ta soeur est amoureuse !

- La ferme, Sarah ! bougonné-je.

- Nom de dieu, Julia, arrête de te poser mille questions et fonce ! C’est quand même fou que tu aies autant confiance en toi au beau milieu d’un champ de bataille, et que tu doutes autant dès qu’il s’agit de ton cœur.

- Tu peux pas comprendre, soupiré-je.

- Ju, je me suis retrouvée au milieu de la famille Vidal pour ton frangin, je suis passée de ta meilleure amie à la fille qui piquait le fiston à ses parents, rit-elle. Bien sûr que je peux comprendre.

- Arrête, mes parents t’adorent.

- Allez, dégage de là, arrête de te plaindre et bouge ton joli cul. Montre leur, à tous ces queutards, qu’une femme garde son cerveau même quand elle prend son pied, qu’elle gère d’une main de maître des couillons et peut les écraser comme des mouches. Pose tes ovaires sur la table, merde !

- J’ai dit politique ? Laisse tomber, en fait, la dictature c’est moyen, ris-je. Et arrête de balancer à Hector, je t’en prie, je parle à ma meilleure amie, là, pas à ma belle-sœur.

- Trop tard, préviens-moi avant le début de la conversation, la prochaine fois ! Allez, je te laisse, ma poule, je vais retrouver les amours de ma vie. Prends soin de toi, Juju, et fais-toi du bien, baise, jouis, aime, merde !

- Cheffe, oui, Cheffe, ris-je en lui faisant un salut militaire. Je t’aime, Sarah, merci.

- Je sais que tu me kiffes, mais mon coeur est à un autre Vidal, beauté, désolée ! Bisous !

Cette folle raccroche en riant comme une sorcière, et j’avoue avoir du mal à calmer le sourire qui s’est imprimé sur mon visage. J’ai du mal à reprendre pied avec ma réalité, beaucoup moins drôle et joviale, mais le moteur du PVP finit d’éclater la bulle dans laquelle je m’étais réfugiée. J’enfile ma veste et descends rejoindre l’équipe partie à la grotte.

- Alors ? demandé-je à Snow et Arthur, en train de discuter devant le véhicule tous les deux.

- Parfait ! C’est la solution qu’il nous fallait ! Si on a une alerte, on peut y amener tout le monde rapidement, Julia, me répond Snow, tout content.

- Super, souris-je. Le camion de provision reste prêt à partir, demain matin un VAB supplémentaire arrivera pour transporter les gens au besoin. On est bon, je crois.

- Oui Lieutenant, me dit Arthur doucement. Tout est réfléchi, ça fait du bien d’avoir quelqu’un comme toi à la barre.

- Il vaut mieux anticiper, on parle de vies humaines… Vous venez dîner ? Enfin… A moins que Lila t’attende, Arthur ? lui demandé-je, pas très à l’aise après mon comportement du jour.

- Je ne sais pas si je suis le bienvenu, répond-il froidement. Tu n’as pas peur qu’on induise que c’est une nouvelle tentative de séduction de ma part ?

- Je suis déjà séduite, je te rappelle… Allez, viens manger avec nous, Arthur. Au pire, les gars penseront que j’organise un plan à trois, ris-je.

- Ah oui, bonne idée. Je préfère te voir dans cet état d’esprit, Julia. Et peut-être que j’aurai droit à un bisou, ce soir, dit-il en souriant en grand vers Snow.

- Si c’est un baiser de Snow que tu attends, bon courage, me moqué-je en prenant la direction du réfectoire.

- Ah, cette femme va me rendre fou, l’entends-je rigoler dans mon dos alors que je souris.

Nous gagnons le réfectoire dans une ambiance plutôt agréable, mais je déchante rapidement une fois à l’intérieur. Morin et Dumont sont en train de s’engueuler avec Collins et deux de ses copains, et si la scène me dérange, mes yeux sont, eux, attirés par les pages du journal déposés sur les tables et accrochées aux murs. Le réfectoire devient quasiment silencieux à notre arrivée, et les éclats de voix de ces cinq-là accentuent le malaise de toutes les personnes présentes.

- Tu vois pourquoi je le vis mal ? ne puis-je m’empêcher de murmurer à Arthur en soupirant avant d’avancer dans la pièce. Je peux savoir ce qu’il se passe ici ?

- Collins a dit qu’il allait vous baiser, Lieutenant, parce qu’il le fait mieux qu’un civil et qu’il en a une plus grosse. J’ai pas pu laisser passer, dit un Morin visiblement gêné de ce qu’il est en train de dire.

- Bon sang, ris-je, c’est fou comme les hommes se pensent tous des bêtes au pieu. Merci, Sergent, d’avoir un minimum de respect et de ne pas me considérer simplement comme un vagin sur pattes.

- Ouais, ben il faudrait peut-être penser à plus gérer les choses ici dans le camp, plutôt que de baiser tout le temps, lance un Collins provocateur. Parce qu’ici, c’est le bordel, quand même.

- Tu as raison, Collins, c’est vraiment le bordel ici. Il y a du laisser-aller. La preuve, tu me parles comme si j’étais ton chien. Il me semble que la corvée de latrines t’a trop manqué, non ? Tu en prends pour la semaine. Tu as quelque chose à ajouter, soldat ?

- Je vais faire un rapport au Colonel. On verra qui rira le dernier. Et quand vous serez partis, vous et le Sergent, plus personne ne protégera votre petit humanitaire de merde.

- Tu sais ce qu’il te dit l’humanitaire de merde ? demande Arthur, énervé, en s’approchant dangereusement de Collins.

- Quoi ? Tu penses que parce que tu baises la Lieutenant, tu vas me baiser aussi ? Tu es fou, ou quoi ?

- Ça suffit, bordel ! vociféré-je, hors de moi.

Qu’est-ce que ça m’exaspère, ces batailles de testostérone. Je n’en ai rien à faire de savoir qui pisse le plus loin, moi. Tout ce que je voudrais, c’est éviter l’anarchie ici, et que la belle gueule d’Arthur ne soit pas abîmée. En revanche, s’il veut cogner cet enfoiré de Collins, je m’en fiche un peu, mais il risquerait d’avoir des problèmes.

- On va rester civilisés, messieurs, s’il vous plaît, soupiré-je en me glissant entre eux avant de m’adresser à l’assemblée, bien trop attentive à tout ça. Il me semble que je n’ai interdit à personne ici de se faire plaisir, n’est-ce pas ? Je ne me suis jamais, durant les quatre mois qui se sont écoulés, immiscée dans vos petites sauteries dans la maison principale, dans les tours de garde, on est d’accord ? Est-ce que l’un de vous s’est pris une remarque concernant sa vie sexuelle sur ce camp ?

Je jette un coup d'œil à Snow, le seul qui pourrait se manifester à ce sujet étant donné que je le charrie, mais il a l’intelligence de ne pas piper mot alors qu’il s’est approché de Collins et Arthur, lui aussi. Les soldats installés aux tables ne bronchent pas, beaucoup font même non de la tête alors que je reprends.

- Bien. Nous sommes tous des êtres humains, non ? Je vous prierai de ne pas vous occuper de ma propre vie sexuelle. Il me semble que le boulot n’en pâtit pas, que je reste professionnelle et, soyons honnêtes, si le Président n’avait pas balancé sa petite propagande pour foutre la merde sur le camp et nous désorganiser, vous n’en sauriez absolument rien. Si mon comportement n’est pas professionnel parce qu’effectivement, j’entretiens une relation avec Arthur, je vous autorise à venir m’en parler. En revanche, et ça vaut surtout pour toi, Collins, je ne suis pas un objet sexuel, c’est clair ? Si tu veux fantasmer, tu le gardes pour ta douche, ton petit plaisir solitaire dans ta couchette ou je ne sais quoi, mais tes réflexions à la con, non merci, dis-je avant de baisser la voix pour qu’il soit le seul à m’entendre. Et crois-moi, à ta place je ne m’avancerais pas trop sur tes capacités comparées à celles de l’humanitaire de merde.

- Et le prochain qui fait une remarque sur la Lieutenant, il aura aussi affaire à moi, ajoute Snow. C’est une femme, mais franchement, elle a plus de couilles que beaucoup d’entre nous ! Alors, on la boucle, les gars, on la mate parce qu’elle le vaut bien, mais on ferme sa gueule. C’est clair ?

Les gars acquiescent et reprennent leur repas comme si de rien n’était, comme si on ne venait absolument pas de parler de ma vie sexuelle à vingt ou vingt-cinq personnes, alors que moi je suis hyper mal à l’aise, même si je n’en montre rien.

- Collins, vire-moi toute cette merde de journal que tu as fourré partout, rajouté-je, exaspérée. Et arrêtez de vous prendre pour des cow-boy, tous les deux, on n’est pas là pour se battre entre nous. Merci de penser avec votre cerveau plutôt qu’avec vos couilles, bon sang !

Je les laisse là et attrape le bras de Snow pour récupérer nos plateaux. J’entends Collins râler, mais le bruit de papier froissé se fait entendre dans l’étable encore relativement silencieuse, et je m’installe à table en contenant le sourire qui veut se pointer. Arthur prend place face à nous peu de temps après, sans moufter ni oser me regarder. Il faudra que je pense à remercier Sarah pour le discours d’encouragement, et j’espère que cette petite mise au point suffira à calmer les ardeurs de mes hommes. C’est déjà suffisamment la merde sans qu’en plus nous devions gérer ce genre de situations quotidiennement.

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