Chapitre 2
Le lundi matin n’était pas la période la plus active dans les sous-sols du MuCEM, surtout en période estivale. Thomas appréciait ces moments calmes pendant lesquels il se sentait particulièrement efficace. Son stage doctoral de deux mois à Marseille touchait à sa fin. Bientôt, il retournerait à Paris pour rédiger son manuscrit de thèse. D’ici là, il comptait bien profiter de son accès privilégié aux collections.
Après une nuit courte et encore réjoui de son succès de la veille, il sortit de son sac la caméra miniaturisée et la baguette télescopique. C’était la première fois qu’il utilisait son instrument dans un temps limité et il espérait que la qualité des images n’avait pas souffert de sa nervosité. Relever le défi et lire l’angoisse dans les yeux de ses camarades avait été intéressant mais il comptait maintenant mener l’expérience jusqu’à son terme. Voyons ce que tu as dans le ventre, Picasso, pensa-t-il.
Thomas relia la caméra à son ordinateur de bureau et copia la série d’images prises la veille. Une minute, soixante photos. Il avait l’intention de les passer en revue soigneusement.
Intérieur de vase aux teintes terre de Sienne, sans intérêt, se lamentait-il après avoir visualisé les quarante premières. A la suivante cependant, Thomas resta bouche bée. Il parcourut du regard les trois suivantes et confirma sa première impression. Il copia les quatre clichés et les superposa pour composer une image parfaitement claire. "In-cro-ya-ble", s’exclama-t-il.
Puis il saisit son téléphone portable et composa frénétiquement.
- Pablo, tu ne vas jamais le croire ! Il y a une empreinte dans le Picasso ! Une belle empreinte bien nette juste sous le col. On dirait même qu’elle a été faite exprès !
La voix empâtée, Pablo répondit lentement :
- Ca dort jamais les parigots ?
- Mais tu te rends compte Pablo, j’ai une empreinte du Maître sous les yeux !
Piqué de curiosité, Pablo commençait à émerger de son sommeil.
- De quoi parles-tu, là ?
- Dis-donc, tu as la mémoire courte ! Hier après-midi… le vase en forme de femme… les photos ?
- Ah oui d’accord, surtout fais pas ton modeste. On le saura que tu l’as relevé ton défi.
- Mais n’as-tu donc rien compris ? J’ai réellement effectué le relevé d’empreintes du Vase en forme de femme et je te dis qu’il y en a une magnifique.
- Sérieux ?
- Carrément !
*
Une heure plus tard, les deux étudiants fixaient béatement une image sur l’écran. On y voyait une empreinte digitale parfaitement distincte, apposée dans la terre cuite. Thomas avait expliqué que la netteté renforçait l’hypothèse d’une empreinte intentionnelle. Il était certain que son auteur avait pressé son pouce fermement dans la terre, juste avant la cuisson.
Pablo ne l’entendait pas de cette oreille. Il était titulaire de la prestigieuse bourse du réseau "Art et Nature" et s'était spécialisé dans le rapport entre le territoire méditerranéen et les oeuvres de Picasso. Or cette découverte semblait absolument anachronique ; en 1948, son artiste préféré disposait d'une renommée internationale et n'avait rien à prouver. De nombreuses photographies le montrant à l’atelier de Vallauris avec ses créations attestaient amplement de leur origine.
- Et maintenant ? fit-il, laconique.
- Maintenant, tu trouves un modèle, répondit Thomas dont l’excitation n’était pas retombée.
- Un modèle de quoi ?
- Une empreinte de Picasso, voyons ! Cette photo est tellement nette que je peux la comparer à n’importe quelle autre, avec une fiabilité totale !

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