Chapitre 3
Thomas s’affairait à analyser des prises de vue effectuées sur les fouilles du Centre Bourse depuis son arrivée à Marseille, lorsqu’il reçut un courrier électronique de Pablo. Enfin, pensa-t-il, Que la lumière soit !
Le message sans texte était intitulé « Tu sais ce qu’il te reste à faire » et contenait une image unique. Thomas sourit en répondant « Déjeuner ? » et copia néanmoins l’image sur son ordinateur. Il l’ouvrit et constata qu’il s’agissait d’une empreinte de pouce gauche, noire sur fond blanc, à peine moins nette que celle qu’il avait relevée dans le vase.
Enthousiaste, Thomas rassembla dans un répertoire les images réalisées à Aubagne et y ajouta l’empreinte originale reçue de Pablo. Il n’avait maintenant plus qu’à lancer une comparaison multiple à l’aide de son logiciel personnel. Il régla les paramètres au plus restrictif, car il était hors de question de laisser la moindre place au hasard. Il voulait démontrer de façon indiscutable que Picasso avait bien apposé son empreinte à l’intérieur de ce vase.
Pablo s’étira longuement sur son siège de bureau. Oui, déjeuner, c’est une idée pensa-t-il. Il ne lui avait pas été si difficile de se procurer une empreinte du Maître finalement. Son contact au Musée Picasso de Barcelone avait répondu rapidement. Pendant ses premières années, Picasso n’avait pas été avare d’empreintes laissées négligemment sur le dos de ses toiles. Pablo avait même obtenu une empreinte de pouce qui correspondrait évidemment à celle du Vase en forme de femme. A dire vrai, il espérait secrètement tirer bénéfice de la situation. Après la clôture de l’exposition d’Aubagne, rien n’interdisait de révéler la découverte à son directeur de thèse. Celui-ci saurait lui rendre le vase accessible pour confirmation et publication dans une revue spécialisée.
Satisfait, Pablo se leva et sortit de son bureau. Il se rendit au bout du couloir et héla son camarade :
- Alors Thomas, on fait des heures supp’ ?
Celui-ci était assis face à son écran, hagard.
- Pablo assieds-toi, c’est complètement dingue ce qui arrive !
- Tu m’inquiètes, de quoi s’agit-il ?
- L’empreinte du vase – ce n’est pas celle de Picasso !
- Oh, allez parigot, tu crois que tu vas m’avoir comme ça…
- Mais regarde ! Même à l’œil c’est évident !
Thomas lui montrait deux empreintes dissemblables sur son écran.
- Les implications de cette découverte, c’est dingue !
Pablo ne semblait pas impressionné.
- Si ça n’est pas du flan alors tu t’es trompé, c’est certain.
- Mais pas du tout, j’ai vérifié dix fois ! Cette découverte, c’est de la bombe !
- Tu as fini ? Tu crois tenir quelque chose, vraiment ? Tu connais assez l’œuvre de Picasso et ses habitudes de travail pour pouvoir t’extasier ? Tu es devenu spécialiste depuis que tu as fourré un appareil photo dans un vase ou quoi ?
- Je dis juste qu’on tient un résultat majeur qu’il faut faire connaitre au monde entier !
- Jamais de la vie, tu m’entends ? Tu as réalisé une action illégale dans un cadre qui contrevient à toutes les règles d’éthique de la recherche. Si tu insistes c’est à l’école doctorale que tu auras à faire, et ton renouvellement de bourse, tu peux t’asseoir dessus !
- Qu’est-ce qui t’arrive, Pablo ? Tu ne supportes pas de voir ton idole fléchir sur son piédestal ? Mais il en a vu d’autres ton héros misogyne, homophobe, violent, manipulateur…
Pablo se rapprocha brutalement de Thomas, le poing droit levé, prêt à l’abattre sur son visage. Furieux, il le dévisagea quelques secondes et quitta finalement la pièce en claquant la porte. Connard ! pensa Thomas, choqué. Evidemment que je vais en parler à mon directeur de thèse, qu’est-ce que tu crois ?

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