Chapitre 5
Six mois plus tard, l'auditorium Jean Rouch du Musée de l'Homme bruissait des chuchotis de l'auditoire. C'était le jour de la soutenance de thèse de Thomas, ce qui le rendait nerveux et excité à la fois. Ses quelques amis de fac et de lycée étaient présents, ainsi que toute l'équipe d'Art Néolithique du musée.
Il était 14h02 et le jury n'était pas revenu de déjeuner. C’était un classique du genre, mais la nervosité le gagnait. Il sortit de l'auditorium pour guetter et entendit un groupe monter les escaliers. Il s'agissait bien des membres de son jury qu'il accueillit en haut des marches, soulagé.
Tandis qu’ils s'installaient au premier rang de l'auditorium, Thomas vérifiait sur son ordinateur que sa présentation allait être projetée correctement. Il leva la tête et aperçut un retardataire qui se glissait par la porte entrebâillée. Sans y faire attention, son regard le suivit jusqu'à ce qu'il se tourne pour s'assoir.
C'était Pablo ! Pablo de Marseille !
Il contint sa surprise, mais ne put s'empêcher d'être intrigué par la présence de son camarade d'été.
Il fut rapidement rappelé à la réalité par son directeur de thèse dont il n'avait pas écouté la brève introduction et qui s'adressait maintenant à lui : "Thomas, je te laisse la parole".
*
En soirée, le pot de fin de thèse de Thomas s’étiolait au Mokus de l'avenue Kléber ; l’excitation d’après soutenance avait laissé place à une ambiance plus feutrée. Thomas bavardait avec quelques camarades attablés qui lui portaient régulièrement un toast. Il se sentait détendu à ce moment précis, pas mécontent d’avoir conclu ce chapitre de sa vie. Il avait à peine eu le temps de penser à Pablo qu’il n’avait pas revu depuis l’auditorium. Peut-être que son imagination lui avait joué un tour ?
Il se rendit aux toilettes « les plus mythiques de Paris » d’après les réseaux sociaux et se lavait les mains au lavabo lorsqu’il fut interrompu par une voix familière :
- Alors, parigot, on savoure ?
Thomas se retourna et considéra le Marseillais dont l’attitude moqueuse l’agaçait déjà.
- Tu comprendras quand tu y seras, répondit-il.
Il se dévisagèrent encore un peu. Puis Pablo sourit et se rapprocha en ouvrant les bras :
- Allez va, j’ai fait du chemin pour te retrouver !
Thomas accepta l’embrassade, tout en restant sur ses gardes. Ils sortirent des toilettes et s’installèrent à une petite table à l’écart. Pablo reprit la parole :
- Bravo pour ta thèse, docteur ! Que des vieilles empreintes alors, rien de plus moderne ?
Un silence embarrassé s’installait entre les deux étudiants. Pablo poursuivit :
- Ecoute, je ne t’ai pas tout dit quand tu m'as parlé de cette empreinte. Je me suis mis en colère au moment de tes allégations concernant Picasso, parce que mon histoire avec lui est… personnelle. Et je n’ai pas supporté que tu mettes en doute son génie.
- Mais je n’ai jamais – protesta Thomas.
- Je sais Thomas, mais sur le moment, je ne l’ai pas supporté. D’autant plus que j’étais déjà intrigué par cette pièce, précisément, le Vase en forme de femme. J’avais pris la peine de calculer les dimensions de son col, son ouverture, son évasement et ses proportions différent clairement de celles de ses autres œuvres.
- Mais pourquoi n’as-tu jamais creusé cet aspect ?
- Parce que c’est la seule pièce dans ce cas, la seule ! Impossible de la raccrocher à quoi que ce soit. Alors que des influences méditerranéennes dans l’œuvre de Picasso, j’en ai bien d’autres à explorer !
Pablo mit la main à la poche et en sortit une enveloppe en kraft au format A5. Il la posa sur la table et la poussa devant Thomas.
- Qu’est-ce que c’est ? demanda-t-il.
- Ouvre, répondit Pablo.
Thomas sortit de l’enveloppe plusieurs photos anciennes, sur lesquelles il reconnut Picasso.
- Je la reconnais celle-ci, elle représentait l’exposition à Aubagne !
- C’est la photo originale en fait. Tu as entre les mains des photos de famille. Picasso est mon grand-père.

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